Affaire C-489/23

AF contre Guvernul României e.a. (gouvernement roumain et autres)

Arrêt du 4 septembre 2025

Renvoi préjudiciel - Sécurité sociale - Assurance maladie - Article 56 TFUE - Libre prestation des services - Règlement (CE) n° 883/2004 - Article 20, paragraphes 1 et 2 - Soins médicaux reçus dans un Etat membre autre que celui de résidence de la personne assurée - Directive 2011/24/UE - Article 7, paragraphe 7 - Prise en charge des coûts des soins engagés par la personne assurée - Remboursement - Réglementation nationale conditionnant la prise en charge à la réalisation d'un examen médical effectué exclusivement par un médecin relevant du régime public d'assurance maladie de l'Etat membre de résidence de la personne assurée, ayant donné lieu à la délivrance, par ce médecin, d'un document autorisant l'hospitalisation de cette personne - Limitation significative du remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers

  1. L'article 7§7 de la directive 2011/24/UE relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, lu à la lumière de l'article 56 TFUE, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui subordonne le remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers engagés par la personne assurée dans l'Etat membre d'affiliation à un examen médical par un médecin relevant du système public d'assurance maladie de cet Etat, ayant donné lieu à la délivrance, par ce médecin, d'un document autorisant l'hospitalisation de cette personne.
  2. L'article 20§1 et 2 R883/2004, lu à la lumière de l'article 56 TFUE, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle, lorsqu'une personne assurée s'est vu refuser, de manière fondée, l'autorisation préalable requise en vue de se voir dispenser certains soins de santé transfrontaliers, le montant de leur remboursement par l'Etat membre d'affiliation est limité à celui prévu par le régime d'assurance maladie de cet Etat, en appliquant à cet effet un mode de calcul qui limite de manière significative le montant de ce remboursement par rapport aux coûts effectivement supportés par cette personne dans l'Etat membre où ces soins de santé lui ont été prodigués, pour autant que ce mode de calcul repose sur des critères objectifs, non discriminatoires et transparents. Néanmoins, si, pour des raisons liées à son état de santé ou à la nécessité de recevoir des soins en urgence dans un établissement hospitalier, cette personne a été empêchée de solliciter une autorisation préalable ou n'a pu attendre la décision de l'institution compétente sur la demande d'autorisation présentée, elle est en droit d'obtenir le remboursement, par l'institution compétente, d'un montant équivalent à celui qui aurait normalement été pris en charge si elle avait disposé d'une autorisation.

I. Faits et procédure

Dans cette affaire, la juridiction roumaine interroge la CJUE dans le cadre d'un litige opposant une personne résidant en Roumanie et affiliée à un régime national d'assurance maladie (AF) aux autorités roumaines compétentes (gouvernement, ministère de la santé et caisse régionale d'assurance maladie), au sujet de leur refus de rembourser à AF les frais engagés pour recevoir des soins de santé (opération du cancer de la prostate s'élevant à 13 069 €) en Allemagne sans autorisation préalable. La réglementation roumaine subordonne la prise en charge de tels soins transfrontaliers à la condition que l'hospitalisation soit autorisée par un médecin relevant du système public d'assurance maladie national à l'issue d'un examen médical.

Le juge roumain se demande si le droit national est conforme à la directive 2011/24/UE sur les soins de santé transfrontaliers (article 7§7 intitulé Principes généraux applicables au remboursement des coûts), ainsi qu'à l'article 20§1 et 2 R883/2004 relatif aux soins programmés en dehors de l'Etat de résidence, interprétés à la lumière de la libre prestation des services (article 56 TFUE).

II. Réponse de la Cour

Dans ce contexte, la Cour vérifie d'abord si la condition imposée par la réglementation roumaine respecte les limites énoncées à l'article 7§7 de la directive 2011/24. Cette disposition laisse une marge d'appréciation aux Etats membres pour déterminer les conditions de prise en charge des soins de santé transfrontaliersToutefois, ces modalités ne peuvent ni être discriminatoires ni entraver la libre prestation des services ou circulation des patients, sauf justification objective (impératifs de planification visant un accès à des soins de qualité élevée ou une maîtrise des coûts et ressources financières/techniques/humaines). En l'espèce, la condition litigieuse (examen médical par un médecin relevant du système public d'assurance maladie roumain autorisant l'hospitalisation) s'applique indifféremment aux soins hospitaliers dispensés en Roumanie ou dans un autre Etat membre. Elle n'est pas discriminatoire. En revanche, cette exigence constitue une restriction à la libre prestation des services, dans la mesure où l'examen médical autorisant l'hospitalisation est le plus souvent réalisé par un professionnel de santé exerçant dans l'Etat prodiguant les soins. Elle a un effet dissuasif sur le recours à des prestations de santé transfrontalières.

S'agissant de sa justification éventuelle, les autorités roumaines invoquent la nécessité de préserver l'équilibre financier du système de sécurité sociale national et de maîtriser les dépenses publiques. La CJUE estime néanmoins que la réglementation roumaine viole le principe de proportionnalité, car des mesures moins restrictives peuvent être envisagées (comme la mise en place d'une procédure de reconnaissance des documents médicaux équivalents permettant de contrôler la justesse du diagnostic et la pertinence du traitement).

La Cour précise ensuite l'articulation entre la directive 2011/24 et les règlements de coordination (points 60 et 61). En matière de soins transfrontaliers, l'application des règlements ou de la directive dépend du choix de l'assuré et du devoir de l'Etat d'affiliation de conseiller le patient à son avantage (voir considérants 30 et 31 de la directive).

En réponse aux questions du juge roumain, la CJUE rappelle enfin sa jurisprudence établie sur les soins programmés en dehors de l'Etat de résidence/d'affiliation. L'article 20 R883/2004 pose le principe de l'autorisation préalable aux soins dans l'Etat de séjour en vue de leur remboursement par l'Etat compétent. La Cour a déjà identifié 2 situations dans lesquelles les soins programmés peuvent être pris en charge dans leur intégralité en l'absence d'autorisation : caractère non fondé du refus d'autorisation reconnu par l'institution compétente ou une décision juridictionnelle ; impossibilité de solliciter l'autorisation ou d'attendre la réponse en raison de l'urgence des soins (arrêt CJUE n° C-777/18 du 23/09/2020, voir § III.A ; arrêt CJUE n° C-538/19 du 06/10/2021, voir § II.A). Dans cette dernière affaire, la réglementation roumaine est déjà jugée contraire au règlement de base en ce qu'elle impose une condition (traitement recommandé par un médecin relevant du système public d'assurance maladie roumain) allant au-delà de celles prévues à l'article 20 (voir § II.B).

Cependant, en l'absence de demande d'autorisation ou en présence d'un refus fondé, l'Etat d'affiliation peut limiter le montant du remboursement des coûts des soins transfrontaliers à la couverture garantie par le régime d'assurance maladie nationalCe montant peut être inférieur aux frais payés par l'assuré, pour autant que le mode de calcul repose sur des critères objectifs, non discriminatoires et transparants.