Affaire C-777/18

WO contre Vas Megyei Kormányhivatal (services administratifs du département de Vas, Hongrie)

Arrêt du 23 septembre 2020

Renvoi préjudiciel - Sécurité sociale - Assurance maladie - Règlement (CE) n° 883/2004 - Article 20 - Soins programmés - Autorisation préalable - Octroi obligatoire - Conditions - Empêchement de la personne assurée de solliciter une autorisation préalable - Règlement (CE) n° 987/2009 - Article 26 - Prise en charge des coûts des soins programmés engagés par la personne assurée - Modalités de remboursement - Directive 2011/24/UE - Soins de santé transfrontaliers - Article 8, paragraphe 1 - Soins de santé susceptibles d'être soumis à autorisation préalable - Principe de proportionnalité - Article 9, paragraphe 3 - Traitement des demandes de soins de santé transfrontaliers - Éléments à prendre en compte - Délai raisonnable - Libre prestation des services - Article 56 TFUE

1) Les dispositions combinées de l'article 20 du règlement (CE) n° 883/2004 et de l'article 26 du règlement (CE) n° 987/2009 relatif aux soins programmés, lues à la lumière de l'article 56 TFUE, doivent être interprétées en ce sens que :

  • les soins médicaux reçus dans un État membre autre que celui où réside la personne assurée, à la seule volonté de celle-ci, au motif que, selon elle, ces soins ou des soins présentant un même degré d'efficacité étaient indisponibles dans l'État membre de résidence dans un délai médicalement acceptable, relèvent de la notion de « soins programmés », au sens de ces dispositions, de sorte que le bénéfice de tels soins, selon les conditions prévues par le règlement (CE) n° 883/2004, est, en principe, soumis à la délivrance d'une autorisation par l'institution compétente de l'État membre de résidence ;
  • la personne assurée qui a reçu des soins programmés dans un État membre autre que celui de sa résidence, sans pour autant avoir sollicité une autorisation de l'institution compétente, conformément à l'article 20, paragraphe 1, de ce règlement, a droit au remboursement, dans les conditions prévues par le règlement, des frais de ces soins, si :
    • d'une part, entre la date de la prise de rendez-vous, aux fins d'un examen médical et d'un éventuel traitement dans un autre État membre, et la date à laquelle les soins concernés lui ont été dispensés dans cet État membre, où elle a dû se déplacer, cette personne se trouvait, pour des raisons liées notamment à son état de santé ou à la nécessité d'y recevoir ces soins en urgence, dans une situation l'empêchant de solliciter auprès de l'institution compétente une telle autorisation ou d'attendre la décision de cette institution sur une telle demande, et
    • d'autre part, les autres conditions pour la prise en charge des prestations en nature, au titre de l'article 20, paragraphe 2, seconde phrase, de ce même règlement, sont, par ailleurs, satisfaites.

Il incombe à la juridiction de renvoi d'effectuer les vérifications nécessaires à cet égard.

2) L'article 56 TFUE et l'article 8, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la directive 2011/24/UE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui exclut, en l'absence d'autorisation préalable, le remboursement, dans les limites de la couverture garantie par le régime d'assurance maladie de l'État d'affiliation, des frais de consultation médicale exposés dans un autre État membre.

L'article 56 TFUE et l'article 8, paragraphe 1, de la directive 2011/24/UE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui, dans le cas où la personne assurée a été empêchée de solliciter une autorisation ou n'a pu attendre la décision de l'institution compétente sur la demande présentée, pour des raisons liées à son état de santé ou à la nécessité de recevoir des soins hospitaliers ou médicaux impliquant le recours à des équipements médicaux hautement spécialisés et coûteux en urgence, quand bien même les conditions d'une telle prise en charge seraient par ailleurs réunies, exclut, en l'absence d'autorisation préalable, le remboursement, dans les limites de la couverture garantie par le régime d'assurance maladie de l'État d'affiliation, des frais de tels soins qui lui ont été prodigués dans un autre État membre.

3) L'article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/24/UE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit un délai de 31 jours pour délivrer une autorisation préalable pour la prise en charge d'un soin transfrontalier et de 23 jours pour la refuser, tout en permettant à l'institution compétente de tenir compte des circonstances particulières et de l'urgence du cas en cause.

I. Faits

WO, ressortissant hongrois, a perdu la vision de l'oeil gauche à la suite d'un décollement de rétine. Un glaucome a été diagnostiqué à son oeil droit en 2015. Ayant reçu des soins en Hongrie demeurés sans effet, le patient a contacté un médecin exerçant en Allemagne le 29 septembre 2016 et obtenu un rendez-vous pour un examen médical le 17 octobre 2016. Ce médecin a estimé qu'une intervention ophtalmologique devait être effectuée en urgence pour sauver la vue de WO, qui a été opéré le lendemain avec succès.

Les services administratifs hongrois ont rejeté la demande de prise en charge des soins de santé transfrontaliers introduite par WO, au motif que l'intervention ophtalmologique était un soin programmé pour lequel l'assuré n'avait pas obtenu l'autorisation préalable nécessaire au remboursement.

II. Litige national et question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)

WO a contesté ce refus de remboursement.

La juridiction nationale compétente s'interroge sur :

III. Réponse de la Cour

A. Conditions de prise en charge des soins programmés au sens des règlements de coordination

1. Notion de soins programmés nécessitant une autorisation préalable

La CJUE constate que les soins programmés couvrent les soins de santé qu'un patient se fait dispenser, à sa seule volonté, dans un autre État membre que celui dans lequel il est assuré ou réside (article 20 du règlement (CE) n° 883/2004 ; article 26 et considérant 16 du règlement (CE) n° 987/2009). Ils se distinguent des soins inopinés, visés à l'article 19 du règlement (CE) n° 883/2004 et à l'article 25 du règlement (CE) n° 987/2009, qui couvrent les soins médicalement nécessaires dispensés à un patient dans l'État membre dans lequel il s'est déplacé temporairement pour un motif autre que celui de recevoir des soins (par exemple touristique ou éducatif).

En principe, le remboursement de soins programmés est soumis à la délivrance d'une autorisation préalable de l'État membre d'affiliation/de résidence. Cette autorisation est obligatoirement accordée si 2 conditions sont remplies :

Dans cette affaire, les soins dispensés en Allemagne à WO constituent des soins programmés.

2. Droit au remboursement en l'absence d'autorisation préalable

La Cour rappelle une exception à la nécessité d'obtenir une autorisation préalable pour la prise en charge de soins programmés, en présence de circonstances particulières tenant à l'état de santé du patient et à l'évolution probable de sa maladie ou à la nécessité de recevoir les soins en urgence, qui l'ont empêché de solliciter cette autorisation ou d'attendre la décision (jurisprudence Elchinov).

Dans ce cas, le patient bénéficie d'un droit au remboursement des soins programmés, même en l'absence d'autorisation préalable, si les conditions de prise en charge sont par ailleurs satisfaites (les soins figurent parmi les prestations prévues par la législation de l'État d'affiliation/de résidence et ne peuvent y être dispensés dans un délai médicalement acceptable).

La vérification de ces conditions relève de la compétence des institutions et juridictions nationales.

Dans cette affaire, la CJUE souligne que 20 jours seulement se sont écoulés entre la date à laquelle WO a pris contact avec un médecin exerçant en Allemagne pour un examen et un éventuel traitement et la date de l'intervention ophtalmologique subie avec succès dans cet État, en raison de son état pathologique, le lendemain de l'examen ayant confirmé l'urgence de l'intervention.

B. Examen de la conformité de la réglementation nationale à la directive 2011/24/UE interprétée à la lumière de la libre prestation des services

La Cour examine ensuite si le principe de libre prestation des services et la directive 2011/24/UE s'opposent à la réglementation hongroise qui exclut dans tous les cas le remboursement des coûts afférents aux soins dispensés dans un autre État membre sans autorisation préalable, y compris en cas de risque réel de dégradation irréversible de l'état de santé du patient.

1. Régime exceptionnel d'autorisation préalable dans le cadre de la directive 2011/24/UE

La directive 2011/24/UE a codifié la jurisprudence de la CJUE relative à la libre prestation de services et au remboursement des soins de santé transfrontaliers aux fins d'une application plus générale et plus efficace des principes établis au cas par cas par la Cour (considérant 8).

L'article 8 de cette directive prévoit :

2. Un système d'autorisation préalable national injustifié et disproportionné

Dans cette affaire, la CJUE estime que le système d'autorisation préalable prévue par la réglementation hongroise, qui subordonne la prise en charge des soins transfrontaliers à autorisation préalable sans prendre en compte l'état pathologique du patient nécessitant des soins d'urgence à caractère vital, constitue une restriction à la libre prestation des services injustifiée et disproportionnée contraire à la directive 2011/24/UE.

La Cour distingue la consultation médicale, qui ne constitue ni un soin hospitalier ni un soin non hospitalier lourd soumis à autorisation préalable, et l'intervention ophtalmologique, dont l'urgence confère un caractère disproportionné à l'exigence d'une autorisation préalable.

3. Délai de procédure d'autorisation raisonnable tenant compte de l'état pathologique du patient et de l'urgence des soins

L'article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/24/UE impose aux États membres de fixer des délais raisonnables pour le traitement des demandes de soins de santé transfrontaliers, tenant compte de l'état pathologique spécifique, de l'urgence et des circonstances particulières.

Dans cette affaire, la CJUE précise que la réglementation hongroise, qui prévoit un délai de 31 jours pour délivrer une autorisation préalable et de 23 jours pour la refuser, est conforme à cette disposition car elle permet à l'institution compétente de prendre en considération les circonstances particulières et l'urgence du cas concret.