Affaire C-173/09

Georgi Ivanov Elchinov contre Natsionalna zdravnoosiguritelna kasa

Arrêt du 05 octobre 2010

Sécurité sociale - Libre prestation des services - Assurance maladie - Soins hospitaliers dispensés dans un autre État membre - Autorisation préalable - Conditions d'application de l'article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement (CEE) n° 1408/71 - Modalités de remboursement à l'assuré social des frais hospitaliers engagés dans un autre État membre - Obligation pour une juridiction inférieure de se conformer à des instructions d'une juridiction supérieure

1) Le droit de l'Union s'oppose à ce qu'une juridiction nationale, à laquelle il incombe de statuer à la suite du renvoi qui lui a été fait par une juridiction supérieure saisie sur pourvoi, soit liée, conformément au droit procédural national, par des appréciations portées en droit par la juridiction supérieure, si elle estime, eu égard à l'interprétation qu'elle a sollicitée de la Cour, que lesdites appréciations ne sont pas conformes au droit de l'Union.

2) Les articles 49 CE et 22 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, s'opposent à une réglementation d'un État membre interprétée en ce sens qu'elle exclut, dans tous les cas, la prise en charge des soins hospitaliers dispensés sans autorisation préalable dans un autre État membre.

3) S'agissant de soins ne pouvant être dispensés dans l'État membre sur le territoire duquel réside l'assuré social, l'article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118/97, tel que modifié par le règlement n° 1992/2006, doit être interprété en ce sens qu'une autorisation requise au titre du paragraphe 1, sous c), i), du même article ne peut être refusée:

  • si, lorsque les prestations prévues par la législation nationale font l'objet d'une liste ne mentionnant pas expressément et précisément la méthode de traitement appliquée mais définissant des types de traitements pris en charge par l'institution compétente, il est établi, en application des principes d'interprétation usuels et à la suite d'un examen fondé sur des critères objectifs et non discriminatoires, prenant en considération tous les éléments médicaux pertinents et les données scientifiques disponibles, que cette méthode de traitement correspond à des types de traitements mentionnés dans cette liste, et
  • si un traitement alternatif présentant le même degré d'efficacité ne peut être prodigué en temps opportun dans l'État membre sur le territoire duquel réside l'assuré social.

Le même article s'oppose à ce que les organes nationaux appelés à se prononcer sur une demande d'autorisation préalable présument, lors de l'application de cette disposition, que les soins hospitaliers ne pouvant être dispensés dans l'État membre sur le territoire duquel réside l'assuré social ne figurent pas parmi les prestations dont la prise en charge est prévue par la législation de cet État et, inversement, que les soins hospitaliers figurant parmi ces prestations peuvent être prodigués dans ledit État membre.

4) Lorsqu'il est établi que le refus de délivrance d'une autorisation requise au titre de l'article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118/97, tel que modifié par le règlement n° 1992/2006, n'était pas fondé, alors que les soins hospitaliers sont achevés et que les frais y afférents ont été exposés par l'assuré social, la juridiction nationale doit obliger l'institution compétente, selon les règles de procédure nationales, à rembourser audit assuré social le montant qui aurait normalement été acquitté par cette dernière si l'autorisation avait été dûment délivrée.

Ledit montant est égal à celui déterminé selon les dispositions de la législation à laquelle est soumise l'institution de l'État membre sur le territoire duquel ont été dispensés les soins hospitaliers. Si ce montant est inférieur à celui qui aurait résulté de l'application de la législation en vigueur dans l'État membre de résidence en cas d'hospitalisation dans ce dernier, il doit en outre être accordé à l'assuré social un remboursement complémentaire, à charge de l'institution compétente, correspondant à la différence entre ces ceux montants, dans la limite des frais réellement exposés.

La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 49 CE (libre prestations de service) et 22 du règlement (CEE) 1408/71, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membes de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté. Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant M. Elchinov à la caisse nationale d'assurance maladie bulgare «NZOK», au sujet du refus de cette dernière de lui délivrer une autorisation de recevoir des soins hospitaliers en Allemagne.

M. Elchinov, ressortissant bulgare affilié à la NZOK, est atteint d'une grave maladie, en raison de laquelle il a sollicité de cette caisse la délivrance d'un formulaire E 112,  en vue de subir un traitement de pointe dans une clinique spécialisée à Berlin (Allemagne), ce traitement n'étant pas pratiqué en Bulgarie. Compte tenu de son état de santé, M. Elchinov est, cependant, entré en clinique en Allemagne et y a reçu des soins avant d'obtenir la réponse de la NZOK. Le NZOK a refusé d'accorder l'autorisation sollicitée, au motif, notamment, que les conditions d'octroi d'une telle autorisation prévues à l'article 22 du règlement n° 1408/71 n'étaient pas remplies, ledit traitement ne figurant pas parmi les prestations prévues par la législation bulgare et prises en charge par la NZOK.

M. Elchinov a introduit un recours contre cette décision devant le tribunal administratif de Sofia. Une expertise médico-légale réalisée en cours de procédure a confirmé que le traitement en cause constituait une thérapie de pointe qui n'était pas encore pratiquée en Bulgarie et a annulé ladite décision, en considérant que les conditions d'octroi d'une autorisation prévues à l'article 22, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 étaient remplies. Cette juridiction a notamment relevé que le traitement en cause n'existait pas en Bulgarie mais correspondait à des prestations figurant dans la liste des traitements cliniques pris en charge.  La NZOK s'est pourvue en cassation contre ce jugement devant la Cour suprême administrative qui a annulé cette décision et a renvoyé l'affaire devant une autre chambre de la juridiction de renvoi laquelle a jugé qu'était erronée la constatation des juges du premier degré selon laquelle les soins reçus par M. Elchinov entraient dans la liste des prestations remboursables. Il a relevé en outre que, si des soins concrets, pour lesquels la délivrance du formulaire E 112 est demandée, sont pris en charge par la NZOK, il convient de présumer que ceux-ci peuvent être dispensés dans un établissement de soins bulgare, de sorte que les premiers juges auraient dû se prononcer sur la question de savoir si ces soins pouvaient être fournis dans un tel établissement dans un délai ne présentant aucun danger pour la santé de l'intéressé. Dans le cadre du nouvel examen de l'affaire, une nouvelle expertise a confirmé qu'un traitement, tel que celui administré à M. Elchinov en Allemagne, n'était pas pratiqué en Bulgarie.

La juridiction de renvoi a donc décidé de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de Jutice de l'Union Européenne :

1) convient-il d'interpréter l'article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement 1408/71 en ce sens que, lorsque le traitement concret, pour lequel la délivrance du formulaire E 112 est demandée, ne peut pas être dispensé dans un établissement de soins bulgare, il faut supposer que ce traitement n'est pas financé par le budget de la NZOK ou du ministère de la Santé et, inversement, que, lorsque ce traitement est financé par le budget de la NZOK ou du ministère de la Santé, il faut supposer que ce traitement peut être dispensé dans un établissement de soins bulgare ?

2) convient-il d'interpréter l'expression ‘les soins dont il s'agit ne peuvent pas être dispensés à l'intéressé sur le territoire de l'État membre où il réside', figurant à l'article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement 1408/71, en ce sens qu'elle inclut les cas dans lesquels le traitement dispensé sur le territoire de l'État membre dans lequel réside l'assuré est, en tant que type de traitement, de loin plus inefficace et radical que celui qui est dispensé dans un autre État membre ou qu'elle inclut uniquement les cas dans lesquels l'intéressé ne peut pas être traité en temps opportun ?

3) faut-il, compte tenu du principe de l'autonomie procédurale, que la juridiction nationale se conforme aux indications contraignantes données par l'instance juridictionnelle supérieure dans le cadre de l'annulation de sa décision et du renvoi de l'affaire en vue d'un nouvel examen, lorsqu'il y a des raisons de supposer que ces indications sont contraires au droit communautaire ?

4) lorsque les soins dont il s'agit ne peuvent pas être dispensés sur le territoire de l'État membre de résidence de l'assuré, suffit-il, pour que cet État membre soit tenu de délivrer une autorisation en vue de soins dans un autre État membre au titre de l'article 22, paragraphe 1, sous c), du règlement 1408/71, que le type de traitement en cause fasse partie des prestations prévues par la réglementation de l'État membre de résidence, même si cette réglementation n'indique pas expressément la méthode de traitement concrète ?

5) l'article 49 CE et l'article 22 du règlement 1408/71 s'opposent-ils à des dispositions nationales comme celles de l'article 36, paragraphe 1, de la loi relative à l'assurance maladie, selon lesquelles les assurés obligatoires ont le droit d'obtenir le remboursement de la valeur partielle ou totale des dépenses effectuées pour une aide médicale à l'étranger uniquement s'ils ont obtenu une autorisation préalable en ce sens ?

6) la juridiction nationale doit-elle contraindre l'institution compétente de l'État dans lequel l'intéressé est assuré à délivrer le document en vue de soins à l'étranger (formulaire E 112) si elle considère que le refus de délivrer un tel document est illégal, dans l'hypothèse où la demande de délivrance du document a été introduite avant la réalisation du traitement à l'étranger et alors que le traitement était achevé au moment du prononcé de la décision juridictionnelle ?

7) s'il est répondu de manière affirmative à la question précédente et si la juridiction considère que le refus de délivrer une autorisation en vue d'un traitement à l'étranger est illégal, de quelle manière les dépenses effectuées par l'assuré en vue de son traitement doivent-elles être remboursées:

a) directement par l'État dans lequel il est assuré ou par l'État dans lequel le traitement est intervenu, après la présentation de l'autorisation en vue de soins à l'étranger ?

b) jusqu'à quel montant, dans l'hypothèse où le montant des prestations prévues par la législation de l'État membre de résidence se distingue du montant des prestations prévues par la législation de l'État membre dans lequel le traitement a été dispensé, compte tenu des dispositions de l'article 49 CE instituant une interdiction des restrictions à la libre prestation des services ?

La Cour décide de répondre d'abord à la troisième question et rappelle sa jurisprudence en la matière :

La Cour conclut que le droit de l'Union s'oppose à ce qu'une juridiction nationale, à laquelle il incombe de statuer à la suite du renvoi qui lui a été fait par une juridiction supérieure saisie sur pourvoi, soit liée, conformément au droit procédural national, par des appréciations portées en droit par la juridiction supérieure, si la juridiction de renvoi estime, eu égard à l'interprétation qu'elle a sollicitée de la Cour, que lesdites appréciations ne sont pas conformes au droit de l'Union.

Ensuite, la Cour traite la cinquième question et rappelle aussi les conclusions d'arrêts précédents : si le droit de l'Union ne s'oppose pas en principe à un système d'autorisation préalable, il est néanmoins nécessaire, d'une part, que les conditions mises à l'octroi d'une telle autorisation soient justifiées au regard de l'objectif de garantir, sur le territoire de l'État membre concerné, une accessibilité suffisante et permanente à une gamme équilibrée de soins hospitaliers de qualité, d'assurer une maîtrise des coûts et d'éviter, dans la mesure du possible, tout gaspillage de ressources financières, techniques et humaines. D'autre part, il faut que ces conditions n'excèdent pas ce qui est objectivement nécessaire à ces fins et que le même résultat ne puisse pas être obtenu par des règles moins contraignantes. Un tel système doit en outre être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l'avance, de manière à encadrer l'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités nationales afin que celui-ci ne soit pas exercé de manière arbitraire.

Une réglementation nationale qui exclut dans tous les cas la prise en charge des soins hospitaliers dispensés sans autorisation préalable prive l'assuré social, qui, pour des raisons liées à son état de santé ou à la nécessité de recevoir des soins en urgence dans un établissement hospitalier, a été empêché de solliciter une telle autorisation ou n'a pu attendre la réponse de l'institution compétente, de la prise en charge, par cette institution, de tels soins, quand bien même les conditions d'une telle prise en charge seraient par ailleurs réunies. Or, la prise en charge de tels soins n'est pas de nature à compromettre la réalisation des objectifs de planification hospitalière ni à porter gravement atteinte à l'équilibre financier du système de sécurité sociale. Elle n'affecte pas le maintien d'un service hospitalier équilibré et accessible à tous non plus que celui d'une capacité de soins et d'une compétence médicale sur le territoire national. Par conséquent, une telle réglementation n'est pas justifiée par lesdits impératifs et, en tout état de cause, ne satisfait pas à l'exigence de proportionnalité. Partant, elle comporte une restriction injustifiée à la libre prestation des services.

La Cour conclut que les articles 49 CE et 22 du règlement nº 1408/71 s'opposent à une réglementation d'un État membre interprétée en ce sens qu'elle exclut, dans tous les cas, la prise en charge des soins hospitaliers dispensés sans autorisation préalable dans un autre État membre.

La Cour aborde ensuite les première, deuxième et quatrième questions relatives à la portée des conditions énumérées à l'article 22, §2, second alinéa du règlement 1408/71. S'agissant de la première condition, la Cour rappelle que, sans être en contradiction avec le droit de l'Union, un État membre peut procéder à l'établissement de listes limitatives des prestations médicales prises en charge par son système de sécurité sociale. Dans le cas où ces listes ne mentionnent pas expressément et précisément la méthode de traitement appliquée, mais définissent des types de traitements pris en charge, il appartient aux seuls organismes nationaux qui se prononcent sur une demande d'autorisation de soins dans un État membre, de déterminer, selon les principes d'interprétation usuels et sur la base de critères objectifs et non discriminatoires, en prenant en considération tous les éléments médicaux pertinents et les données scientifiques disponibles, si cette méthode de traitement correspond à des prestations prévues par la législation de cet État membre. Si la méthode de traitement appliquée correspond à des prestations prévues par la législation de l'État membre de résidence, l'autorisation préalable ne saurait être refusée au motif que cette méthode n'est pas pratiquée dans cet État membre.

En outre, s'agissant de la seconde condition, la Cour a déjà jugé que l'article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71 doit être interprété en ce sens que l'autorisation à laquelle se réfère cette disposition ne peut être refusée lorsqu'il apparaît que la première condition est satisfaite et qu'un traitement identique ou présentant le même degré d'efficacité ne peut être obtenu en temps opportun dans l'État membre de résidence de l'assuré. La Cour indique que, pour apprécier ce degré d'efficacité, l'institution compétente doit prendre en considération l'ensemble des circonstances caractérisant chaque cas concret, en tenant dûment compte non seulement de la situation médicale du patient au moment où l'autorisation est sollicitée et le degré de la douleur ou de la nature du handicap de ce dernier, qui pourrait, par exemple, rendre impossible ou excessivement difficile l'exercice d'une activité professionnelle, mais également de ses antécédents. De ce fait, l'institution compétente est tenue de délivrer à l'assuré social l'autorisation nécessaire à la prise en charge du coût de ce traitement lorsque le traitement alternatif pouvant être prodigué en temps opportun dans l'État membre de sa résidence ne présente pas, comme dans la situation décrite par la juridiction de renvoi, le même degré d'efficacité.

Enfin, il résulte de cette interprétation qu'une décision relative à une demande d'autorisation requise ne peut être fondée sur la présomption suivante : si les soins hospitaliers ne peuvent être dispensés dans l'État membre compétent, ces soins ne font pas partie des prestations prises en charge par le système national de sécurité sociale et, inversement, si ces soins figurent parmi les prestations prises en charge par ce dernier, ils peuvent être dispensés dans cet État membre.

La Cour conclut qu'une autorisation requise au titre du paragraphe 1, sous c), i) du règlement CE 1408/71 ne peut être refusée :

Le même article s'oppose à ce que les organes nationaux appelés à se prononcer sur une demande d'autorisation préalable présument, lors de l'application de cette disposition, que les soins hospitaliers ne pouvant être dispensés dans l'État membre sur le territoire duquel réside l'assuré social ne figurent pas parmi les prestations dont la prise en charge est prévue par la législation de cet État et, inversement, que les soins hospitaliers figurant parmi ces prestations peuvent être prodigués dans ledit État membre.

En ce qui concerne les sixième et septième questions, la Cour rappelle sa jurisprudence antérieure, à savoir qu'en cas d'émission rétroactive de l'autorisation préalable, alors même que le refus initial n'était pas fondé, que les soins hospitaliers sont achevés et que les frais y afférents ont été exposés par l'assuré social, la juridiction nationale doit obliger l'institution compétente, selon les règles de procédure nationales, à rembourser audit assuré social le montant qui aurait normalement été acquitté par cette dernière si l'autorisation avait été dûment délivrée.

Ledit montant est égal à celui déterminé selon les dispositions de la législation à laquelle est soumise l'institution de l'État membre sur le territoire duquel ont été dispensés les soins hospitaliers. Si ce montant est inférieur à celui qui aurait résulté de l'application de la législation en vigueur dans l'État membre de résidence en cas d'hospitalisation dans ce dernier, il doit, en outre, être accordé à l'assuré social un remboursement complémentaire, à charge de l'institution compétente, correspondant à la différence entre ces ceux montants, dans la limite des frais réellement exposés.