Affaire C-421/23

Procédure pénale (ministère public belge et office national de sécurité sociale) contre EX

Arrêt du 23 janvier 2025

Renvoi préjudiciel - Travailleurs migrants - Sécurité sociale - Législation applicable - Travailleurs détachés - Documents revêtant la forme de certificats A1 prétendument émis par l'institution compétente pour délivrer ces certificats - Règlement (CE) n° 883/2004 - Article 76, paragraphe 6 - Obligation des autorités de l'Etat membre d'accueil d'enclencher une procédure de dialogue et conciliation aux fins de la détermination de l'existence de fraudes

  1. Le règlement n° 883/2004 doit être interprété en ce sens que : dans une situation dans laquelle des ressortissants d'un Etat membre employés par un entrepreneur établi dans cet Etat effectuent, au moyen de documents revêtant la forme de certificats A1 prétendument émis par l'institution dudit Etat compétente pour délivrer ce type de certificats, un travail pour le compte de cet entrepreneur dans un autre Etat membre, pour lequel cette institution perçoit des cotisations de sécurité sociale, ce règlement s'applique, y compris lorsque, dans le cadre d'une procédure pénale engagée contre ledit entrepreneur, devant les juridictions de ce dernier Etat, pour la commission de fraudes en matière de sécurité sociale, ces juridictions constatent, sans être contredites par le même entrepreneur, que ces documents sont de faux documents.
  2. L'article 76, paragraphe 6, du règlement n° 883/2004 doit être interprété en ce sens que : dans une situation dans laquelle des ressortissants d'un Etat membre employés par un entrepreneur établi dans cet Etat effectuent, au moyen de documents revêtant la forme de certificats A1 prétendument émis par l'institution dudit Etat compétente pour délivrer ce type de certificats, un travail pour le compte de cet entrepreneur dans un autre Etat membre, pour lequel cette institution perçoit des cotisations de sécurité sociale, la procédure de dialogue et conciliation visée à cette disposition constitue un préalable obligatoire à la constatation, par une juridiction de ce dernier Etat, saisie dans le cadre d'une procédure pénale engagée contre ledit entrepreneur pour avoir eu recours de manière frauduleuse au détachement de ces travailleurs, sous couvert de faux certificats A1, d'une telle fraude.

I. Faits et procédure

Dans cette affaire, la juridiction belge interroge la CJUE dans le cadre d'une procédure pénale engagée contre EX, entrepreneur établi au Portugal, pour fraude en matière de cotisations de sécurité sociale. De 2012 à 2017, il a employé via plusieurs sociétés 650 travailleurs portugais détachés sur des chantiers de construction en Belgique. Ces travailleurs ont été affiliés au régime de sécurité sociale portugais (des cotisations ont été versées), sur la base de faux documents revêtant la forme de certificats A1 prétendument émis par l'institution portugaise compétente.

Avant l'engagement de la procédure pénale contre EX, les institutions belge et portugaise ont enclenché la procédure de dialogue au sujet de l'authenticité des documents fournis par l'entrepreneur. Dans ce cadre, l'institution portugaise a confirmé ne pas les avoir délivrés, ce qu'EX n'a pas contesté.

Le juge national se demande si la procédure de dialogue et conciliation prévue à l'article 76, paragraphe 6, du règlement n° 883/2004 (saisir l'institution émettrice d'une demande de réexamen et retrait, puis la commission administrative à défaut d'accord entre institutions) constitue un préalable obligatoire au constat de fraude pour écarter les faux documents dans le cadre de la procédure pénale.

II. Réponse de la Cour

Dans ce contexte, la Cour rappelle sa jurisprudence (codifiée à l'article 5 du règlement n° 987/2009) sur l'effet juridique contraignant des documents portables A1 - DPA1 (présomption de régularité de l'affiliation). Les DPA1 s'imposent aux institutions/juridictions des Etats membres autres que l'Etat d'émission (voir affaire C-422/22 : retrait d'office d'un DPA1 par l'institution émettrice en cas d'incohérence avec la situation réelle du travailleur). Ce caractère contraignant repose sur les principes de coopération loyale, de sécurité juridique et d'unicité de la législation nationale de sécurité sociale applicable.

En présence d'indices de fraude, l'institution émettrice détient une compétence exclusive pour réexaminer l'authenticité et la validité des certificats, puis les retirer au besoin. L'institution compétente d'un autre Etat membre doit, avant tout constat de fraude en vue de les écarter, recourir à la procédure de dialogue et conciliation prévue par le législateur de l'Union pour résoudre les différends entre institutions au sujet de la législation applicable (voir affaires jointes C-370/17 et C-37/18 Vueling Airlines).

En l'espèce, la procédure de dialogue entre les institutions belge et portugaise a été enclenchée. Dans ce cadre, l'institution portugaise a confirmé ne pas avoir émis les certificats litigieux. En conséquence, le juge pénal belge peut constater l'usage de faux documents et n'est pas lié par les mentions y figurant.

Dans des affaires similaires où la procédure de dialogue a été engagée (voir affaires jointes C-410/21 et C-661/21), l'institution émettrice s'est abstenue de procéder au réexamen et prendre position, dans un délai raisonnable. La CJUE a également jugé que ces éléments doivent pouvoir être invoqués dans le cadre de la procédure pénale pour obtenir du juge de l'Etat dans lequel le travail est effectué qu'il constate l'existence d'une fraude et écarte les DPA1, dans le respect des garanties inhérentes au droit à un procès équitable qui doivent être accordées à l'accusé.