Affaire C-33/18

V contre Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants (Inasti) et Securex Integrity ASBL

Arrêt du 6 juin 2019

Renvoi préjudiciel - Coordination des systèmes de sécurité sociale - Travailleurs migrants - Règlement (CE) n° 883/2004 - Dispositions transitoires - Article 87, paragraphe 8 - Règlement (CEE) n° 1408/71 - Article 14 quater, sous b) - Travailleur exerçant une activité salariée et une activité non salariée dans différents États membres - Dérogations au principe d'unicité de la législation nationale applicable - Double affiliation - Introduction d'une demande en vue d'être soumis à la législation applicable en vertu du règlement n° 883/2004

L'article 87, paragraphe 8, du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, doit être interprété en ce sens qu'une personne qui, à la date d'application du règlement n° 883/2004, exerçait une activité salariée dans un État membre et une activité non salariée dans un autre État membre, étant donc simultanément assujettie aux législations applicables en matière de sécurité sociale de ces deux États membres, ne devait pas, afin d'être soumise à la législation applicable en vertu du règlement n° 883/2004, tel que modifié par le règlement n° 988/2009, introduire une demande expresse en ce sens.

I. Faits

M. V travaille en tant qu'avocat au barreau de Bruxelles (Belgique) de septembre 1980 au 30 septembre 2007. Durant cette période, il est inscrit à l'Inasti et affilié à la caisse d'assurances sociales belge Securex Integrity ASBL.

Le 30 septembre 2007, M. V demande son retrait de l'ordre des avocats et se désaffilie de Securex. Le même jour, le cabinet au sein duquel il exerçait est mis en liquidation et M. V désigné liquidateur.

Depuis le 1er octobre 2007, M. V travaille comme directeur juridique dans une société établie au Luxembourg et est assujetti, en tant que salarié, au régime de sécurité sociale luxembourgeois.

Le 23 décembre 2013, au regard des informations fournies par l'Inasti relatives au mandat de liquidateur de M. V et à ses revenus perçus à ce titre, Securex lui notifie une dette d'un montant de 35 198,42 € de cotisations et majorations pour la période du quatrième trimestre 2007 au quatrième trimestre 2013, au motif qu'il est soumis à la législation sociale belge en qualité de travailleur indépendant du fait de son activité de liquidateur.

II. Litige national et question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)

M. V conteste son assujettissement au régime de sécurité sociale belge en qualité de travailleur indépendant à titre complémentaire et la demande de paiement des cotisations sociales formulée par Securex, devant le Tribunal du travail de Liège, puis en appel devant la juridiction de renvoi.

Conformément à l'article 14 quater, sous b), du règlement n° 1408/71 et son annexe VII, point 1, une personne exerçant simultanément une activité non salariée en Belgique et salariée dans un autre Etat membre est soumise à la législation des 2 pays. L'article 13, paragraphe 3, du règlement n° 883/2004, applicable à compter du 1er mai 2010, prévoit qu'une telle personne est soumise à la législation de l'État dans lequel elle exerce une activité salariée.

Dans ce cadre, la Cour du travail de Liège pose à la CJUE une question portant sur l'interprétation de l'article 87, paragraphe 8, du règlement n° 883/2004. Cette disposition transitoire prévoit, en faveur d'une personne qui, en conséquence de ce règlement, est soumise à la législation d'un État membre autre que celui à la législation duquel elle était soumise en vertu du règlement n° 1408/71, le maintien de cette dernière législation pendant maximum 10 ans après l'entrée en vigueur du règlement n° 883/2004 (1er mai 2010), sous réserve que la situation de l'intéressé reste inchangée et en l'absence de demande expresse contraire de sa part :

L'article 87, paragraphe 8, du règlement n° 883/2004 doit-il être interprété en ce sens qu'une personne qui, à la date d'application de ce règlement, exerçait une activité salariée dans un État membre et une activité non salariée dans un autre, étant donc simultanément assujettie aux législations en matière de sécurité sociale de ces 2 États conformément au règlement n° 1408/71, devait, afin d'être soumise exclusivement à la législation déterminée au titre du règlement n° 883/2004, présenter une demande ?

III. Réponse de la Cour

A. Interprétation de l'article 87, paragraphe 8, du règlement n° 883/2004 à la lumière du principe d'unicité de législation applicable

Selon une jurisprudence constante, il convient, pour l'interprétation d'une disposition du droit de l'Union, de tenir compte de ses termes, son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie.

Libellé

L'article 87, paragraphe 8, du règlement n° 883/2004 prévoit le cas d'une personne qui, en conséquence du règlement n° 883/2004, « est soumise à la législation d'un État membre autre que celui à la législation duquel elle est soumise en vertu du titre II du règlement (CEE) n° 1408/71 ». En ce que l'adjectif « autre » fait référence au mot « État », le législateur de l'Union vise la situation dans laquelle l'application d'une législation d'un État membre succède à l'application d'une législation d'un État membre différent.

Ainsi, selon une interprétation littérale, cette disposition ne semble pas concerner une personne qui, sous l'empire du règlement n° 1408/71, était soumise à l'application simultanée des législations de 2 États membres, puis, en vertu du règlement n° 883/2004, continue d'être soumise à la législation d'un de ces 2 États.

Contexte

La Cour souligne que le règlement n° 883/2004 modernise et simplifie les règles contenues dans le règlement n° 1408/71. L'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 réaffirme le principe d'unicité de la législation applicable, qui vise à éviter les complications résultant de l'application simultanée de plusieurs législations nationales et supprimer les inégalités de traitement pour les personnes se déplaçant à l'intérieur de l'Union en cas de cumul partiel ou total des législations applicables. Le règlement n° 883/2004 supprime aussi toutes les exceptions à ce principe qui existaient dans le règlement n° 1408/71.

Elle conclut qu'une interprétation contextuelle de l'article 87, paragraphe 8, du règlement n° 883/2004 ne saurait plaider en faveur de la perpétuation du régime dérogatoire prévoyant une double affiliation, laquelle serait incohérente avec le système mis en place par ce règlement fondé sur le principe d'unicité de la législation nationale applicable.

Finalité

L'article 87, paragraphe 8, du règlement n° 883/2004 vise à éviter de nombreux changements de législation applicable lors du passage au règlement n° 883/2004 et permettre une « transition douce » à l'intéressé en cas d'écart entre la législation applicable selon le règlement n° 1408/71 et celle conformément au règlement n° 883/2004. Au moyen de cette disposition transitoire, le législateur de l'Union assure aux travailleurs un temps d'adaptation pour prendre connaissance de la législation d'un autre État membre nouvelle pour eux.

La CJUE observe que, pour une personne soumise, sous l'empire du règlement n° 1408/71, simultanément aux législations de 2 États membres, l'entrée en vigueur du règlement n° 883/2004 ne conduit pas à l'application nouvelle d'une législation d'un autre État membre, mais entraîne la cessation de l'application de la législation d'un des 2 États.

B. Inapplicabilité de l'article 87, paragraphe 8, du règlement n° 883/2004

La Cour conclut que l'article 87, paragraphe 8, du règlement n° 883/2004 n'est pas applicable à une situation telle que celle de M. V qui, à la date d'application du règlement n° 883/2004, était assujetti, en vertu de l'article 14 quater, sous b), du règlement n° 1408/71, simultanément à la législation de 2 États membres.

En conséquence, à partir du 1er mai 2010, pour être assujetti exclusivement à la législation déterminée par le règlement n° 883/2004 (en l'occurrence, en vertu de l'article 13, paragraphe 3, de ce règlement, à la législation luxembourgeoise), une personne se trouvant dans une situation telle que celle en cause au principal n'est pas tenue de présenter la demande prévue à l'article 87, paragraphe 8, du règlement n° 883/2004.