Arrêt du 16 mai 2024
Renvoi préjudiciel - Article 45 TFUE - Libre circulation des travailleurs - Égalité de traitement - Avantages sociaux - Règlement (UE) n° 492/2011 - Article 7, paragraphe 2 - Allocation familiale -Travailleur assumant la garde d'un enfant placé auprès de lui par décision judiciaire - Travailleur résident et travailleur non-résident - Différence de traitement - Absence de justification
Les articles 45 TFUE et 7§2 R492/2011 relatifs à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à la législation d'un Etat membre en vertu de laquelle un travailleur non-résident ne peut pas percevoir une allocation familiale liée à l'exercice d'une activité salariée dans cet Etat pour un enfant placé auprès de lui par décision judiciaire et dont il assume la garde, alors qu'un enfant ayant fait l'objet d'un placement judiciaire et résidant dans cet Etat a le droit de percevoir cette allocation versée à la personne physique ou morale investie de la garde de cet enfant. La circonstance que le travailleur non-résident pourvoit à l'entretien de l'enfant placé dans son foyer ne saurait être prise en compte dans le cadre de l'octroi d'une allocation familiale que si la législation nationale applicable prévoit une telle condition pour l'octroi de cette allocation à un travailleur résident investi de la garde d'un enfant placé auprès de lui.
Dans cette affaire, la juridiction luxembourgeoise interroge la CJUE dans le cadre d'un litige opposant un travailleur frontalier FV à la Caisse pour l'avenir des enfants, au sujet du refus d'octroyer une allocation familiale à un enfant placé par décision judicaire dans le foyer du travailleur. FV exerce son activité professionnelle au Luxembourg et réside en Belgique assumant la garde de cet enfant placé.
Le juge national se demande si la législation luxembourgeoise est conforme au principe d'égalité de traitement, sur lequel repose la liberté de circulation des travailleurs (article 45 TFUE) et qui est garanti par le droit de l'Union (articles 7§2 R492/2011 en matière d'avantages sociaux et 4 R883/2004 en matière de prestations de sécurité sociale). En effet, cette législation crée des conditions d'octroi d'une allocation familiale différenciées selon un critère de résidence, dans la mesure où le travailleur résident au Luxembourg peut percevoir cette prestation pour un enfant placé auprès de lui, contrairement au travailleur frontalier (non-résident).
Dans ce contexte, la CJUE rappelle sa jurisprudence dans l'affaire C-802/18. Par un arrêt du 2 avril 2020, elle a déjà jugé que la législation luxembourgeoise violait le principe d'égalité de traitement en excluant du bénéfice des allocations familiales l'enfant du conjoint d'un travailleur frontalier, à la différence de l'enfant du conjoint d'un travailleur résident. Dès lors que les travailleurs frontaliers contribuent au financement des politiques sociales de l'Etat d'accueil par les contributions fiscales et sociales qu'ils paient dans cet Etat du fait de leur activité professionnelle, ils doivent pouvoir bénéficier des prestations familiales ainsi que des avantages sociaux et fiscaux dans les mêmes conditions que les travailleurs résidents.
En l'espèce, la Cour estime que la législation luxembourgeoise constitue une discrimination indirecte fondée sur la nationalité, en impliquant une différence de traitement basée sur la résidence, qui risque de jouer davantage au détriment des ressortissants d'autres Etats membres (les non-résidents étant le plus souvent des non-nationaux). Cette discrimination ne peut être admise car elle n'est pas justifiée, aucun objectif légitime n'ayant été invoqué.