Arrêt du 4 septembre 2025
Renvoi préjudiciel - Sécurité sociale - Travailleurs migrants - Législation applicable - Règlement (CE) n° 883/2004 - Article 13, paragraphe 1 - Règlement (CE) n° 987/2009 - Article 14, paragraphes 8 et 10 - Travailleur exerçant normalement une activité salariée dans plusieurs Etats membres - Exercice de moins de 25 % de l'activité dans l'Etat membre de résidence - Notion de “partie substantielle de l'activité” - Critères de rattachement liés au temps de travail et/ou à la rémunération - Prise en considération d'autres circonstances - Durée de la période d'appréciation - Pouvoir d'appréciation des institutions compétentes
Dans cette affaire, la juridiction néerlandaise interroge la CJUE dans le cadre d'un litige opposant un salarié (KN) au conseil d'administration de la caisse d'assurance sociale des Pays-Bas, au sujet de la détermination provisoire de la législation de sécurité sociale applicable à KN. En 2016, il résidait aux Pays-Bas. Du 4 février au 31 décembre 2016, il a travaillé sur un bateau naviguant en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas (environ 22 % du temps total de navigation dans ce dernier Etat). Pendant cette période, il figurait sur le registre du personnel d'un employeur établi au Liechtenstein.
Le juge national émet des doutes quant à l'interprétation de l'article 14§8 R987/2009. Cette disposition d'application de l'article 13§1 et 2 R883/2004 précise comment apprécier si un travailleur pluriactif exerce une partie substantielle de son activité dans son Etat de résidence (dans l'affirmative, la législation de sécurité sociale de cet Etat lui est applicable). En cas d'activité salariée, l'article 14§8 R987/2009 mentionne le temps de travail et/ou la rémunération comme critères indicatifs, dont la réunion de 25 % dans l'Etat de résidence permet de conclure à l'application de sa législation (article 13§1a R883/2004). Le juge néerlandais se demande si l'institution compétente dispose d'une marge d'appréciation l'autorisant à prendre en compte d'autres circonstances.
Dans ce contexte, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une disposition du droit de l'UE doit être interprétée en fonction de ses termes, sans privilégier une version linguistique, mais également du contexte et de la finalité de la réglementation dont elle fait partie. Les règles de conflit de lois prévues au titre II R883/2004 se fondent sur les principes d'unicité de la législation de sécurité sociale applicable à un assuré et de la lex loci laboris. Des situations particulières, comme la pluriactivité, nécessitent des exceptions à la règle de l'Etat d'emploi, que sont les dérogations de l'article 13 R883/2004. En présence d'une activité salariée, elles garantissent l'application de la législation de l'Etat de résidence si le travailleur y accomplit une part quantitativement importante de l'ensemble de ses activités (§1a) ou, à défaut, celle de l'Etat d'établissement de l'employeur (§1bi, ii et iii).
La CJUE interprète strictement ces dispositions dérogatoires en excluant tout autre lien de rattachement. La prise en compte d'autres circonstances ne permet pas de compenser l'absence de réunion des critères précités (temps de travail et rémunération dans le cas d'une activité salariée). En l'espèce, le seuil de 25 % n'étant pas atteint, l'article 13§1b R883/2004 s'applique (législation de l'Etat d'établissement de l'employeur). D'aucuns déploreront un manque de souplesse. La Cour fonde sa position sur le principe de sécurité juridique et le souci de préserver des règles de conflit de lois simples pour faciliter la liberté de circulation des travailleurs.
Affaire similaire : arrêt n° C-610/18 du 16/07/2020 (voir § III.B)