Affaires jointes C 95/99, C 96/99, C 180/99

Khalil, Chaaban, Osseili contre Bundesanstalt für Arbeit / Nasser contre Landeshauptstadt Stuttgart / Addou contre Land Nordrhein-Westfalen

Arrêt du 11 octobre 2001

Sécurité sociale - Article 51 du Traité CEE (devenu article 51 du Traité CE, lui-même devenu, après modification, article 42 CE) - Règlement (CEE) n° 1408/71, article 2, § 1 - Apatrides - Réfugiés

1) " L'examen de la première question préjudicielle n'a pas révélé d'éléments de nature à affecter la validité du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, en ce qu'il inclut dans son champ d'application personnel les apatrides et les réfugiés résidant sur le territoire de l'un des États membres ainsi que les membres de leur famille.

2) Les travailleurs qui sont des apatrides ou des réfugiés résidant sur le territoire de l'un des États membres, ainsi que les membres de leur famille, ne peuvent pas invoquer les droits conférés par le règlement (CEE) n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 2001/83, lorsqu'ils se trouvent dans une situation dont tous les éléments se cantonnent à l'intérieur de ce seul État membre ".

Dans le cadre de litiges intervenus en Allemagne le Bundessozialgericht a posé à la Cour plusieurs questions préjudicielles sur l'interprétation du règlement (CEE) n° 1408/71.

Affaire Khalil :

Mme Khalil et son époux sont des Palestiniens originaires du Liban. Fuyant la guerre civile au Liban, ils sont arrivés en Allemagne respectivement, en 1984 et en 1986 et ont depuis, habité en Allemagne de façon continue. La reconnaissance du statut de réfugié politique leur a été refusée.

Affaire Chaaban :

M. et Mme Chaaban de nationalité libanaise, sont des Kurdes originaires du Liban. Ils sont arrivés en Allemagne en 1985 et y ont résidé sans interruption. La reconnaissance du statut de réfugié leur a été refusée.

Affaire Osseili :

M. et Mme Osseili sont arrivés en Allemagne en 1986. Malgré la détention par M. Osseili d'un document de voyage pour réfugiés palestiniens, ce dernier s'est vu refuser sa demande de droit d'asile.

Affaire Nasser :

M. Nasser, en possession d'un document de voyage libanais séjourne en Allemagne avec sa famille depuis 1985 et dispose d'un permis de séjour depuis le 30 avril 1998. La reconnaissance du statut de réfugié politique lui a été refusée.
A la lecture des ordonnances de renvoi dans ces affaires, M. et Mme Khalil, Mme Chaaban, MM Osseili et Nasser sont à considérer comme des apatrides en application du droit allemand. Suite à une modification de la loi, l'octroi des allocations familiales a été supprimé aux requérants de décembre 1993 à mars 1994 dans la mesure où désormais seuls les étrangers en possession d'une carte de séjour ou d'un permis de séjour pouvaient prétendre à des allocations familiales.

Les demandeurs soutiennent qu'eux même et leurs conjoints auraient dû être considérés comme des apatrides et bénéficier par la même, des dispositions du règlement (CEE)
n° 1408/71. En conséquence, ils auraient du être assimilés aux ressortissants allemands et aux autres ressortissants des États membres de l'Union pour l'octroi des prestations familiales.

Les juridictions allemandes saisies en première instance ont rejeté les recours. Mme Khalil et M. Nasser ont alors, introduit des recours en révision devant le Bundessocialgericht.

Affaire Addou :

M. et Mme Addou ont émigré en Allemagne en 1988 et y ont vécu depuis sans interruption. Au cours de la période en cause, M. Addou avait la nationalité marocaine, le 13 janvier 1994, il a bénéficié du statut de réfugié et est ensuite devenu ressortissant allemand par naturalisation. La reconnaissance du droit d'asile leur a été refusée, mais en février 1994, ils ont reçu une autorisation de séjour et en mai 1996, un permis de séjour.

A compter du 13 janvier 1994, l'allocation d'éducation leur a été supprimée au motif que Mme Addou ne possédait, ni la carte, ni le permis de séjour, exigés par la loi nouvellement modifiée.

Suite au rejet en première instance du recours dirigé par Mme Addou contre cette décision de refus de l'allocation, elle a effectué un appel qui a été accueilli. La caisse allemande a introduit un recours en révision devant le Bundessozialgericht contre la décision de la juridiction d'appel.

Le Bundessozialgericht relève que les apatrides et les réfugiés ne bénéficient pas expressément d'un droit à la liberté de circulation à l'intérieur de la Communauté en vertu du traité CE. Dans le cas où ledit traité permettrait le régime d'assimilation, la Cour rappelle qu'il convient de déterminer si ce régime s'applique d'une part, au réfugié ou à l'apatride quittant un État membre pour se rendre dans un autre État membre et d'autre part, celui venu sur le territoire d'un État membre, mais venant d'un État tiers. La juridiction allemande s'interroge sur le fait de savoir si la jurisprudence de la Cour selon laquelle le bénéficie des allocations familiales ne dépend pas du fait de savoir quel membre de la famille est habilité à solliciter, en application de la législation locale, l'octroi desdites prestations, est transposable en l'espèce.

Au vu de ces considérations, le Bundessozialgericht a sursis à statuer et a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour :

1ère question

Certains États membres se sont prononcés sur le point de savoir si les apatrides et les réfugiés font partie du champ d'application personnel du règlement (CEE) n° 1408/71 même s'ils ne bénéficient pas du droit à la liberté de circulation. Les États relèvent que de nombreuses conventions incluent dans leur champ d'application personnel cette catégorie de personnes. Ils rappellent également qu'il résulte de la jurisprudence communautaire que l'article 51 du traité CE et le règlement (CEE) n° 1408/71 ont notamment comme objectif de coordonner les législations nationales de protection sociale pour des travailleurs ne bénéficiant pas nécessairement du droit à la liberté de circulation. Par conséquent, le Gouvernement suédois insiste sur le fait que la situation précaire des apatrides et des réfugiés nécessite une coordination des systèmes de sécurité sociale. De surcroît, la Commission soutient que l'adoption des règlements communautaires dans le cadre de la sécurité sociale ne doit pas aller en deçà des normes européennes et doit prévoir une réglementation commune à toutes les catégories de personnes visées dans le champ d'application personnel (notamment les apatrides et les réfugiés).

La Cour rappelle que dès l'origine le règlement (CEE) n° 1408/71 visait dans son champ d'application personnel les apatrides et les réfugiés. Le fondement juridique de cette inclusion résulte notamment de l'article 51 du traité CE.

Aussi, la Cour va s'efforcer de déterminer si le règlement (CEE) n° 1408/71 est contraire à l'article 51 du traité CE.

La Cour examine d'abord le contexte historique de l'inclusion de cette catégorie de personnes dans le champ d'application du règlement (CEE) n° 1408/71.

Elle relève que les six États fondateurs de la Communauté économique européenne s'étaient en principe engagés au niveau international à faire bénéficier les apatrides et les réfugiés des règles applicables en matière de protection sociale.

La Cour rappelle que la liberté de circulation des travailleurs constitue le but ultime de l'article 51 du traité CE. En vue du respect de ce droit, l'article 51 prévoit le recours à la technique de coordination des régimes nationaux en matière de sécurité sociale.

Au vu du raisonnement de la Cour, aucun élément ne vise à affecter la validité du règlement (CEE) n° 1408/71 en ce qu'il inclut dans son champ d'application les réfugiés et les apatrides résidant sur le territoire d'un des États membres.

2ème question

En ce qui concerne les apatrides et les réfugiés et les membres de leur famille venus s'installer dans un État membre au départ d'un pays tiers, la Cour rappelle qu'il faut interpréter le règlement (CEE) n° 1408/71 à la lumière de l'article 51 du traité CE. Cet article vise principalement la coordination des régimes de sécurité sociale des États membres.

La Cour relève que le règlement (CEE) n° 1408/71 établit un ensemble de règles fondées notamment sur l'interdiction de toute discrimination.

La Cour conclut que les travailleurs apatrides ou réfugiés résidant sur le territoire de l'un des États membres et les membres de leur famille ne peuvent pas invoquer les droits conférés par le règlement (CEE) n°1408/71 lorsqu'ils se trouvent dans une situation dont tous les éléments se cantonnent à l'intérieur de ce seul État membre.