Arrêt du 12 juin 2025
Renvoi préjudiciel - Sécurité sociale - Travailleurs migrants - Coordination des systèmes de sécurité sociale - Règlement (CE) n° 883/2004 - Article 85, paragraphe 1 - Prestations dues en vertu de la législation d'un État membre pour des dommages survenus sur le territoire d'un autre État membre - Droit de recours des institutions débitrices contre le tiers responsable - Droits détenus par la victime - Subrogation - Limites
L'article 85§1 R883/2004 doit être interprété en ce sens que : lorsqu'une personne bénéficie, en vertu de la législation de l'État membre où elle est domiciliée, d'une pension de veuvage à la suite du décès de son conjoint consécutif à un accident du travail survenu sur le territoire d'un autre État membre, et que la législation du premier État prévoit, en faveur de l'institution débitrice de cette pension, un droit de subrogation à l'égard du tiers tenu à la réparation du dommage résultant de cet accident du travail, l'action récursoire de cette institution débitrice n'est pas subordonnée à l'existence, dans le second État, d'une base juridique permettant l'obtention d'une telle pension ou d'une prestation équivalente, dans la mesure où il suffit que les prestations prévues à la suite d'un événement déclencheur, tel un accident du travail, par les législations des États membres concernés soient suffisamment comparables quant à leur objet et à leurs finalités respectifs pour que le droit de subrogation prévu par la législation du premier État et visé à cet article 85§1, puisse s'étendre à la prestation prévue par le second État.
Dans cette affaire, la juridiction danoise interroge la CJUE dans le cadre d'un litige opposant des assureurs allemands (DRV-N et BG-V) et danois (GF) au sujet d'une action récursoire relative à des prestations versées à la veuve d'un ressortissant allemand décédé à la suite d'un accident du travail survenu au Danemark. DRV-N et BG-V ont payé une pension de veuvage en tant qu'assureurs du travailleur allemand défunt. GF a versé une indemnité pour perte de soutien familial en tant qu'assureur de la société reconnue responsable civilement du décès au Danemark. La réglementation allemande leur conférant un droit de subrogation à l'égard du tiers tenu à la réparation du dommage ayant entraîné le versement de prestations, les assureurs allemands ont demandé le remboursement de la pension à l'assureur danois.
Le juge national s'interroge sur l'interprétation de l'article 85§1 R883/2004, qui impose la reconnaissance par chaque Etat membre du droit de recours de l'institution débitrice d'un Etat contre le responsable du dommage survenu dans un autre Etat (action directe, ou subrogation dans les droits détenus par la victime ou ses ayants droits). Il se demande si le droit de subrogation de l'institution allemande débitrice de la pension peut être conditionné à l'existence d'une base juridique danoise permettant l'obtention d'une prestation équivalente.
Dans ce contexte, la CJUE rappelle sa jurisprudence pertinente relative à l'article 85§1 R883/2004 (points 28 à 35). Il convient d'appliquer la législation de l'Etat membre dont relève l'institution débitrice pour déterminer l'existence, la nature et l'étendue de son droit de recours contre le tiers responsable. En l'espèce, le droit allemand prévoit la subrogation dans les droits de la veuve du travailleur défunt au bénéfice du débiteur de la pension versée. La subrogation est toutefois limitée. Elle ne crée pas de droits additionnels à l'égard du tiers. Elle couvre les indemnisations reconnues aux survivants par la législation de l'Etat de survenance du dommage, qui correspondent aux prestations versées par l'institution débitrice. En l'espèce, le droit danois confère aux survivants différentes prestations : indemnité pour perte de soutien familial déjà versée à la veuve, indemnité pour préjudice moral et indemnité transitoire pour le conjoint survivant.
La Cour précise que le droit de subrogation prévu par la législation d'un Etat membre s'étend aux prestations prévues par d'autres législations nationales suffisament comparables quant à leurs objet et finalités. Elle estime que la pension de veuvage allemande et l'indemnité pour perte de soutien familial danoise sont comparables dans la mesure où elles sont octroyées à la suite du décès du soutien de famille et visent à indemniser les survivants proches pour le manque à gagner lié à la disparition des revenus du défunt. La subrogation couvre donc cette indemnité dans les limites des plafonds prévus par la législation danoise. En revanche, la CJUE considère que l'indemnité visant à réparer le préjudice moral subi n'est pas comparable avec la pension de veuvage. Elle renvoie enfin au juge national l'examen du caractère comparable de l'indemnité transitoire danoise et la pension allemande à défaut d'éléments suffisants produits devant elle.