Affaire C-679/16

Monsieur A. contre Espoon kaupungin sosiaali- ja terveyslautakunnan yksilöasioiden jaosto (division des affaires individuelles de la commission aux affaires sociales et médicales de la ville d'Espoo, Finlande)

Arrêt du 25 juillet 2018

Renvoi préjudiciel - Citoyenneté de l'Union - Articles 20 et 21 TFUE - Liberté de circuler et de séjourner dans les États membres - Sécurité sociale - Règlement (CE) no 883/2004 - Assistance sociale - Prestations de maladie - Services aux personnes handicapées - Obligation incombant à la commune d'un État membre de fournir à l'un de ses résidents une aide à la personne prévue par la législation nationale pendant les études supérieures effectuées par ce résident dans un autre État membre

L'article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) no 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, doit être interprété en ce sens qu'une prestation telle que l'aide à la personne en cause au principal, qui consiste, notamment, en la prise en charge des coûts engendrés par des activités quotidiennes d'une personne gravement handicapée, dans le but de permettre à cette dernière, économiquement inactive, de poursuivre des études supérieures, ne relève pas de la notion de « prestation de maladie », au sens de cette disposition et est, partant, exclue du champ d'application de ce règlement.

Les articles 20 et 21 TFUE s'opposent à ce qu'un résident d'un État membre gravement handicapé se voie refuser, par sa commune de résidence, une prestation telle que l'aide à la personne en cause au principal, au motif qu'il séjourne dans un autre État membre pour y poursuivre ses études supérieures.

Monsieur A a demandé à conserver une aide à la personne dont il bénéficie de la part de la commune d'Espoo en Finlande, son Etat de résidence habituel, et de pouvoir bénéficier ce cette aide en Estonie où il effectue un cycle de trois années d'études supérieures à temps complet. Il s'agit d'une aide à la prise en charge des activités quotidiennes (courses, ménage et lavage). Monsieur A conserve sa résidence habituelle en Finlande où il doit rentrer chaque fin de semaine.

La commune d'Espoo a rejeté sa demande et considéré que le séjour en dehors de la Finlande était habituel et durable et qu'elle n'est pas tenue de verser cette aide dans un cas similaire, les versements étant maintenus seulement en cas de vacances ou de déplacements professionnels, décision confirmée par le tribunal administratif d'Helsinki.

La  Cour administrative suprême de Finlande, saisie du pourvoi, a souhaité une interprétation visant à déterminer si une prestation d'aide à la personne handicapée doit être qualifiée de prestation maladie au regard des règlements communautaires en matière de sécurité sociale (CE 883/2004), auquel cas elle relèverait de ces règlements et serait exportable ou, si elle doit être considérée comme relevant de l'assistance sociale qui est exclue du champ d'application matériel de ces règlements.

Dans la seconde hypothèse, cette Cour se demande si les dispositions du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne relatives à la citoyenneté de l'Union s'opposent au refus du versement de l'aide à la personne, si elle séjourne dans un autre Etat membre pour y poursuivre ses études supérieures et si ce refus peut être justifié par des motifs impérieux d'intérêt général relatifs à l'obligation de la commune de surveiller l'organisation de l'aide à la personne, aux possibilités de la commune de choisir des modalités d'aide appropriées ainsi qu'à la préservation de la cohérence et de l'efficacité du régime d'aide à la personne prévu par la loi sur les services aux personnes handicapées.

Pour ce qui a trait à la première question, la Cour de Justice Européenne confirme sa jurisprudence antérieure et rappelle qu'une prestation peut être considérée comme une prestation de sécurité sociale dans la mesure où :

et

La Cour de justice européenne considère que la première condition est remplie dès lors que l'aide à la personne doit être fournie à toute personne gravement handicapée qui réside sur  le territoire finlandais, indépendamment des revenus de la personne, les communes ne pouvant agir que sur les modalités de service et le volume de la prestation.

Pour la seconde condition, certes la Cour a jugé que des prestations portant sur le risque de dépendance, tout en présentant des caractéristiques qui leur sont propres, doivent être assimilées à des « prestations de maladie », au sens de l'article 3, paragraphe 1, du règlement no 883/2004. Toutefois, une telle assimilation du risque de dépendance au risque de maladie suppose que des prestations destinées à couvrir le risque de dépendance visent à améliorer l'état de santé et la vie des personnes dépendantes. Dans le cas d'espèce, l'aide à la personne ne saurait être considérée comme visant à améliorer l'état de santé du bénéficiaire lié au handicap mais elle a pour objectif de créer des conditions permettant aux personnes handicapées de vivre et d'être actives avec les autres en tant que membres égaux de la société ainsi que de prévenir et d'éliminer les inconvénients et les obstacles causés par le handicap.

La prestation en cause au principal ne relève donc pas du champ d'application du règlement no 883/2004 puisqu'elle ne répond pas aux conditions cumulatives fixées par cette jurisprudence.

Pour la deuxième question, la Cour de justice rappelle que le statut de l'Union reconnaît des droits égaux pour l'ensemble de ses citoyens, indépendamment de leur nationalité et que, parmi les situations relevant du domaine d'application ratione materiæ du droit de l'Union, figurent celles relatives à l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité, notamment celles relevant de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres.

La Cour a déjà jugé qu'une réglementation nationale désavantageant certains ressortissants d'un État membre du seul fait qu'ils ont exercé leur liberté de circuler et de séjourner dans un autre État membre constitue une restriction aux libertés et que les facilités offertes par le traité en matière de circulation des citoyens de l'Union ne pourraient produire leurs pleins effets si un ressortissant d'un État membre pouvait être dissuadé d'en faire usage, par les obstacles dus à son séjour dans un autre État membre, en raison d'une réglementation de son État d'origine le pénalisant du seul fait qu'il les a exercées.

L'aide à la personne ayant été refusée au seul motif que les études supérieures auxquelles se destinait Monsieur A, (qui satisfaisait, par ailleurs, à l'ensemble des autres conditions pour bénéficier de cette aide en Finlande), se poursuivaient dans un autre État, la Cour estime qu'un tel refus doit être considéré comme une restriction à la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres.

La Cour rappelle qu'une telle restriction ne peut être justifiée au regard du droit de l'Union que si elle est fondée sur des considérations objectives d'intérêt général, indépendantes de la nationalité des personnes concernées, et si elle est proportionnée à l'objectif légitimement poursuivi par le droit national. Il ressort de la jurisprudence de la Cour qu'une mesure est proportionnée lorsque, tout en étant apte à la réalisation de l'objectif poursuivi, elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.

A ce titre, les objectifs poursuivis par une réglementation nationale, visant à établir un lien réel entre le demandeur d'une prestation d'incapacité de courte durée pour jeunes handicapés et l'État membre compétent ainsi qu'à préserver l'équilibre financier du système national de sécurité sociale, constituent, en principe, des objectifs légitimes susceptibles de justifier des restrictions aux droits de libre circulation et de séjour.

De son côté, la Cour administrative de Finlande mentionne, dans sa décision de renvoi, à titre d'objectif d'intérêt général susceptible de justifier une telle restriction, la préservation de la cohérence et de l'efficacité du régime d'aide à la personne prévu par la loi finlandaise sur les services aux personnes handicapées ainsi que l'assurance de l'existence d'un lien réel entre le demandeur de l'aide et l'État membre compétent pour l'octroyer.

La Cour réfute cet argument en rappelant que Monsieur A a conservé son domicile habituel dans la commune d'Espoo, auprès de laquelle il a déposé sa demande d'aide à la personne, et qu'il y retourne de manière hebdomadaire pendant la durée de ses études en Estonie. Dès lors, il ne saurait être valablement soutenu que cette commune puisse rencontrer des difficultés particulières en termes de surveillance du respect des conditions d'octroi ainsi que des modalités d'organisation et d'attribution de cette aide.

D'autre part, le gouvernement finlandais a précisé qu'aucun élément ne permettait de considérer que l'octroi d'une aide à la personne puisse menacer l'équilibre du système national de sécurité sociale.