Arrêt du 7 mars 2018
Renvoi préjudiciel - Sécurité sociale - Allocation de maternité - Calcul du montant sur la base des revenus de l’assurée pendant une période de référence de douze mois - Personne ayant été, au cours de cette période, au service d’une institution de l’Union européenne - Réglementation nationale prévoyant la fixation du montant en cause à 70 % de la base moyenne de cotisation d’assurance - Restriction à la libre circulation des travailleurs - Principe de coopération loyale
L’article 45 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui, aux fins de déterminer la base moyenne de cotisation d’assurance servant à calculer le montant de l’allocation de maternité, assimile les mois de la période de référence pendant lesquels la personne concernée a travaillé pour une institution de l’Union européenne et pendant lesquels elle n’a pas été affiliée au régime de la sécurité sociale de cet État membre, à une période de non-emploi et leur applique la base moyenne de cotisation fixée dans ledit État membre, ce qui a pour effet de réduire substantiellement le montant de l’allocation de maternité octroyée à cette personne par rapport à celui auquel cette dernière aurait pu prétendre si elle avait exercé une activité professionnelle uniquement dans ce même État membre.
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) ainsi que de l’article 4, §3, du traité sur l’Union Européenne (TUE).
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant DW à l’Agence nationale de sécurité sociale de Lettonie au sujet de la détermination du montant de l’allocation de maternité déposée auprès de cette caisse en 2014 et qui lui a été accordée pour la période allant du 02 janvier au 21 mai 2014.
En effet, étant donné que, sur la période de référence de douze mois retenue pour le calcul de cette allocation, DW a travaillé pendant onze mois pour une institution de l’Union européenne et qu’elle n’a donc pas été enregistrée en tant que travailleuse salariée en Lettonie, l’Agence nationale de sécurité sociale lettone a fixé la base de cotisation pour chacun de ces mois à 70 % de la base moyenne de cotisation fixée en Lettonie, conformément aux dispositions de la loi nationale. En revanche, pour le mois où DW avait cotisé en Lettonie, il a été tenu compte de la base moyenne de cotisation effective de ce mois. Il en résulte que, pour les 11 mois d’activité en dehors de Lettonie, la base de cotisation moyenne retenue est considérablement inférieure à celle retenue pour le mois d’activité effectuée en Lettonie.
En premiers recours, le tribunal de district de Lettonie a fait droit à la contestation de DW en se fondant sur les dispositions du règlement (CE) 883/2004 ainsi que sur l’article 45 du TFUE relatif à la libre circulation des personnes. L’agence nationale de sécurité sociale a interjeté appel de cette décision devant la cour administrative qui a jugé que le règlement susvisé n’est pas applicable, dès lors que pour l’octroi de l’allocation maternité lettone, aucune période préalable d’affiliation à la sécurité sociale lettone n’est exigée. DW s’est alors pourvue en cassation devant la cour suprême de Lettonie.
La juridiction de renvoi a éprouvé des doutes pour déterminer si les dispositions du droit letton relatives au calcul de l’allocation de maternité sont conformes au droit de l’Union. Elle a constaté que l’intéressée a été désavantagée après avoir exercé sa liberté de circulation en allant travailler pour une institution de l’Union, le mode de calcul utilisé visant à faire dépendre le montant de l’allocation de maternité de la durée d’activité du travailleur en Lettonie.
Elle a donc décidé de poser une question préjudicielle à la Cour de justice européenne, à savoir si l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) ainsi que de l’article 4, §3, du traité sur l’Union Européenne (TUE) concernant la coopération loyale entre Etats membres, s’opposent à une réglementation d’un État membre, laquelle pour déterminer la base moyenne de cotisation d’assurance servant à calculer le montant de l’allocation de maternité, assimile les mois de la période de référence pendant lesquels la personne concernée a travaillé pour une institution de l’Union et pendant lesquels elle n’a pas été affiliée au régime de la sécurité sociale de cet État membre à une période de non-emploi et leur applique la base moyenne de cotisation fixée dans cet État membre, ce qui a pour effet de réduire substantiellement le montant de l’allocation de maternité octroyée à cette personne par rapport à celui auquel cette dernière aurait pu prétendre si elle avait exercé une activité professionnelle uniquement dans ce même État membre.
La Cour de justice européenne rappelle sa jurisprudence antérieure, à savoir qu’un ressortissant de l’Union, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité, qui fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs et qui a exercé une activité professionnelle dans un État membre autre que celui dont il est originaire, relève du champ d’application de l’article 45 TFUE, y compris si cette activité professionnelle est exercée auprès d’une organisation internationale, ce ressortissant de l’Union conservant sa qualité de travailleur. DW relève donc bien du champ d’application de l’article 45 du TFUE.
Afin de déterminer si les dispositions du droit letton constituent une entrave au droit de l’Union, la Cour de justice rappelle que les dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur l’ensemble du territoire de l’Union et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre. L’article 45 TFUE a pour objet notamment d’éviter qu’un travailleur qui, en faisant usage de son droit de libre circulation, a occupé des emplois dans plus d’un État membre soit, sans justification objective, traité de façon plus défavorable que celui qui a effectué toute sa carrière dans un seul État membre.
La Cour en conclut que la réglementation lettone constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs, susceptible de décourager l’exercice d’une activité professionnelle en dehors de l’État membre concerné dans la mesure où, en acceptant un tel emploi, un travailleur ayant été précédemment ou postérieurement affilié au régime de sécurité sociale de l’État membre concerné bénéficie, au titre de ce régime, d’une prestation d’un montant substantiellement inférieur à celui auquel il aurait eu droit s’il n’avait pas fait usage de son droit à la libre circulation.
La Cour poursuit, néanmoins, son raisonnement afin de déterminer si cette entrave à la libre circulation des personnes est justifiée par des motifs légitimes et compatibles avec les traités et respectant le principe de proportionnalité, puisque la juridiction de renvoi a invoqué des raisons d’intérêt général et soutenu que l’allocation de maternité repose sur un princpe de solidarité et qu’elle a été instituée pour garantir la stabilité du système national de sécurité sociale.
A ce sujet, la Cour rappelle qu’il incombe aux autorités nationales compétentes, lorsqu’elles adoptent une mesure dérogatoire à un principe consacré par le droit de l’Union, de prouver que cette mesure est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. Les raisons justificatives susceptibles d’être invoquées par un État membre doivent donc être accompagnées de preuves appropriées ou d’une analyse de l’aptitude et de la proportionnalité de la mesure restrictive adoptée par cet État, ainsi que des éléments précis permettant d’étayer son argumentation. Il importe qu’une telle analyse objective, circonstanciée et chiffrée soit en mesure de démontrer, à l’aide de données sérieuses, convergentes et de nature probante, qu’il existe effectivement des risques pour l’équilibre du système de sécurité sociale.
Or, la Cour constate qu’une telle analyse fait défaut. Par ailleurs, elle rejette l’argument selon lequel la réglementation nationale lettone serait justifiée par des raisons d’intérêt général, notamment la prétendue justification tirée du lien direct existant entre les cotisations payées et le montant de l’allocation octroyée, étant donné que l’octroi de l’allocation elle-même n’est pas soumis à une quelconque obligation de cotisation.
La Cour constatant que la réglementation lettone est incompatible avec le principe de libre circulation des travailleurs visée à l’article 45 du TFUE, elle considère qu’il n’y a plus lieu de se prononcer sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, TUE.