Affaire C-623/13

Ministre de l'Économie et des Finances contre Gérard de Ruyter

Arrêt du 26 février 2015

Renvoi préjudiciel - Sécurité sociale - Règlement (CEE) no 1408/71 - Article 4 - Champ d'application matériel - Prélèvements sur les revenus du patrimoine - Contribution sociale généralisée - Contribution pour le remboursement de la dette sociale - Prélèvement social - Contribution additionnelle au prélèvement social - Participation au financement de régimes obligatoires de sécurité sociale - Lien direct et suffisamment pertinent avec certaines branches de sécurité sociale

« Le règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) no 1606/98 du Conseil, du 29 juin 1998, doit être interprété en ce sens que des prélèvements sur les revenus du patrimoine, tels que ceux en cause au principal, présentent, lorsqu'ils participent au financement des régimes obligatoires de sécurité sociale, un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 de ce règlement no 1408/71, et relèvent donc du champ d'application dudit règlement, alors même que ces prélèvements sont assis sur les revenus du patrimoine des personnes assujetties, indépendamment de l'exercice par ces dernières de toute activité professionnelle. »

Ce litige oppose le Ministre de l'économie et des finances à M. de Ruyter, un ressortissant néerlandais domicilié en France et employé par une société néerlandaise.

Sur sa déclaration fiscale en France, M. de Ruyter a déclaré ses revenus de sources néerlandaises. Il a contesté le traitement fiscal de ses revenus de rentes viagères à titre onéreux de source néerlandaise car plusieurs contributions sociales (CSG, CRDS et contribution additionnelle) ont été prélevées sur ces rentes pour la période de 1997 et 2004.

Considérant que la double imposition de M. de Ruyter allait à l'encontre de la libre circulation des travailleurs, la Cour d'appel administrative de Marseille « a déchargé M. de Ruyter des cotisations relatives aux rentes viagères ».

Le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi en cassation, décide d'adresser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante afin d'être éclairé sur le champ d'application du règlement n°1408/71 : « Des prélèvements fiscaux sur les revenus du patrimoine, tels que la CSG sur les revenus du patrimoine, la CRDS assise sur ces mêmes revenus, le prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle à ce prélèvement, présentent-ils, du seul fait qu'ils participent au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale, un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement [no 1408/71] et entrent-ils ainsi dans le champ de ce règlement? ».

La Cour de justice de l'Union européenne retient que « le produit de ces prélèvements est affecté directement et spécifiquement au financement de certaines branches de sécurité sociale en France ou à l'apurement des déficits de ces dernières », de sorte que ces « prélèvements présentent [...] un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois qui régissent les branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement no 1408/71, indépendamment de l'absence de relation entre les revenus du patrimoine des personnes assujetties et l'exercice d'une activité professionnelle par ces dernières ».

Au soutien de son raisonnement, la Cour invoque le principe de l'unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale qui « vise à éviter les complications qui peuvent résulter de l'application simultanée de plusieurs législations nationales et à supprimer les inégalités de traitement qui, pour les personnes se déplaçant à l'intérieur de l'Union, seraient la conséquence d'un cumul partiel ou total des législations applicables ».

Par ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne fait valoir un risque d'inégalité de traitement des travailleurs ; elle expose en effet qu'« obliger ceux qui, parmi les résidents d'un État membre, sont affiliés à la sécurité sociale d'un autre État membre de financer en outre, même si ce n'est que partiellement, la sécurité sociale de l'État de résidence créerait ainsi une inégalité de traitement au regard de l'article 13 du règlement no 1408/71, étant donné que tous les autres résidents de ce dernier État membre sont uniquement tenus de cotiser au régime de sécurité sociale de celui-ci ».

La juridiction européenne rappelle que M. de Ruyter est soumis à la sécurité sociale dans son Etat d'emploi et qu'en conséquence, ses revenus, quelle qu'en soit leur nature (relation de travail ou patrimoine), n'ont pas à être soumis à des dispositions légales de son Etat de résidence (la France) prévoyant des prélèvements destinés au financement de certaines branches de la sécurité sociale.