Affaire C-620/15

A-Rosa Flussschiff GmbH contre Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales d'Alsace (Urssaf), venant aux droits de l'Urssaf du Bas-Rhin, Sozialversicherungsanstalt des Kantons Graubünden

Arrêt du 27 avril 2017

Renvoi préjudiciel - Travailleurs migrants - Sécurité sociale - Législation applicable - Règlement (CEE) n° 1408/71 - Article 14, paragraphe 2, sous a) - Règlement (CEE) n° 574/72 - Article 12 bis, point 1 bis - Accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse - Personnel navigant - Travailleurs détachés dans un autre État membre - Succursale suisse - Certificat E 101 - Force probatoire

« L'article 12 bis, point 1 bis, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, doit être interprété en ce sens qu'un certificat E 101 délivré par l'institution désignée par l'autorité compétente d'un État membre, au titre de l'article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118/97, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, lie tant les institutions de sécurité sociale de l'État membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet État membre, même lorsqu'il est constaté par celles-ci que les conditions de l'activité du travailleur concerné n'entrent manifestement pas dans le champ d'application matériel de cette disposition du règlement n° 1408/71. »

Ce litige oppose la société allemande A-Rosa Flussschiff à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) et à la Sozialversicherungsanstalt des Kantons Graubünden (caisse d'assurance sociale du canton des Grisons en Suisse) au sujet d'un redressement pour le non-paiement de cotisations au régime français de sécurité sociale.

La société A-Rosa exploite notamment deux bateaux de croisière naviguant exclusivement sur le Rhône et la Saône. Elle est dotée d'une succursale en Suisse dont l'activité consiste à gérer tout ce qui concerne l'activité des bateaux, à la gestion, à l'administration et les ressources humaines. Des travailleurs saisonniers, citoyens européens non français, exercent des fonctions hôtelières à bord des deux bateaux (45 sur l'un et 46 sur le second) naviguant exclusivement en France. Tous les contrats de travail de ces travailleurs saisonniers sont soumis au droit suisse.

En 2007, l'URSSAF effectue un contrôle des deux bateaux et considère qu'il y a des irrégularités concernant la couverture sociale des salariés. La société s'est vue notifier un redressement à hauteur de 2 024 123 euros au titre d'arriérés de cotisations sociales au régime français de sécurité sociale, pour la période allant du 1er avril 2005 au 30 septembre 2007. La société A-Rosa produit un premier lot de certificats E 101 établis par l'institution suisse compétente pour l'année 2007. Elle conteste ce redressement en première instance puis en appel. Au cours de la procédure d'appel, la société A-Rosa produit un second lot de formulaires E 101 pour les années 2005 et 2006. La Cour d'appel de Colmar a rejeté l'appel formé par la société, au motif que « les travailleurs salariés dont la rémunération faisait l'objet du redressement n'exerçaient leur activité que sur le territoire français ».

Parallèlement à la procédure contentieuse devant la juridiction française, en mai 2011, l'URSSAF a sollicité la caisse d'assurance sociale suisse afin qu'elle procède au retrait de ces certificats E 101. L'institution suisse « eu égard au fait que, s'agissant de l'année 2007, toutes les cotisations de sécurité sociale concernant ces personnes avaient été décomptées et payées en Suisse », a demandé à l'institution française de « renoncer à une correction à titre rétroactif » de l'assujettissement des salariés.

La Cour de cassation, saisie en 2013, sursoit à statuer et interroge la Cour de justice de l'Union européenne sur l'effet contraignant du certificat E101 « lorsqu'il est constaté que les conditions de l'activité du travailleur salarié n'entrent manifestement pas dans le champ d'application matériel des règles dérogatoires de l'article 14, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1408/71 ». 

Devant la juridiction européenne, le gouvernement français et l'URSSAF invoquent la nécessité de prévenir la concurrence déloyale ainsi que le dumping social.

La Cour de justice de l'Union européenne rappelle que « le principe de coopération loyale, énoncé à l'article 4, paragraphe 3, TUE, impose à l'institution émettrice de procéder à une appréciation correcte des faits pertinents pour l'application des règles relatives à la détermination de la législation applicable en matière de sécurité sociale et, partant, de garantir l'exactitude des mentions figurant dans le certificat E 101 ».

Elle en conclut que « le certificat E 101, dans la mesure où il crée une présomption de régularité de l'affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de l'État membre où est établie l'entreprise qui l'occupe, s'impose à l'institution compétente de l'État membre dans lequel ce travailleur effectue un travail » et qu'« une juridiction de l'État membre d'accueil n'est pas habilitée à vérifier la validité d'un certificat E 101 au regard des éléments sur la base desquels il a été délivré ».

La juridiction européenne insiste sur les étapes de la procédure en cas de divergence d'appréciation des faits à l'origine de la délivrance des formulaires E 101 :

Ainsi, la Cour de justice de l'Union européenne précise que « les autorités françaises n'ont ni épuisé la voie de dialogue avec la caisse d'assurance sociale suisse ni même tenté de saisir la commission administrative, de sorte que les faits ayant donné lieu à ce litige ne sauraient être de nature à mettre en avant de prétendues déficiences de la procédure déterminée par la jurisprudence de la Cour ou à démontrer l'impossibilité de résoudre des situations éventuelles de concurrence déloyale ou de dumping social ».

En l'espèce, si le gouvernement français a fait valoir que « l'État émetteur des certificats E 101 est la Confédération suisse et que, partant, un éventuel recours en manquement ne saurait être engagé au regard de cet État », la juridiction européenne considère que cela « n'a aucune incidence sur le caractère contraignant des certificats E 101 en cause au principal, l'accord CE-Suisse prévoyant son propre système de règlement des différends entre les parties contractantes ».

Ainsi, la Cour de justice de l'Union européenne confirme la portée juridique des certificats E 101 en insistant sur les obligations respectives des institutions dans le cadre de la coopération loyale entre Etats.