Affaire C-589/10

Janina Wencel c/ Zaklad Ubezpieczen Spolecznych w Bialymstoku

Arrêt du 16 mai 2013

Règlement (CEE) n° 1408/71 - Levée des clauses de résidence - Prestations de vieillesse - Résidence habituelle dans deux États membres différents - Bénéfice d'une pension de survie dans l'un des États et d'une retraite personnel dans l'autre État - Suppression de l'une de ces prestations Recouvrement des prestations prétendument indues.

L’article 10 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 592/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, doit être interprété en ce sens que, pour les besoins de l’application dudit règlement, une personne ne saurait disposer, de façon concomitante, de deux lieux de résidence habituelle sur le territoire de deux États membres différents.

En vertu des dispositions dudit règlement n° 1408/71, et plus particulièrement de ses articles 12, paragraphe 2, et 46 bis, une institution compétente d’un État membre ne peut pas valablement, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, procéder à la suppression rétroactive du droit à une pension de retraite du bénéficiaire et exiger le remboursement des pensions prétendument indûment versées au motif que celui-ci touche une pension de survie dans un autre État membre sur le territoire duquel il a également eu une résidence. Toutefois, le montant de cette pension de retraite perçue dans le premier État membre est susceptible de subir une réduction dans la limite du montant des prestations touchées dans l’autre État membre en vertu de l’application d’une éventuelle règle anticumul nationale.

L’article 45 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, à une décision ordonnant la réduction du montant de la pension de retraite perçue dans le premier État membre dans la limite du montant des prestations touchées dans l’autre État membre en vertu de l’application d’une éventuelle règle anticumul, pour autant qu’elle n’aboutisse pas, dans le chef du bénéficiaire de ces prestations, à une situation défavorable par rapport à celle dans laquelle se trouve une personne dont la situation ne présente aucun élément transfrontalier et, dès lors que l’existence d’un tel désavantage serait constatée, qu’elle soit justifiée par des considérations objectives et qu’elle soit proportionnée par rapport à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

Madame Wencel, ressortissante polonaise, née en 1930 est inscrite depuis 1954 au registre de la ville de Bialystock en Pologne. Son mari de nationalité polonaise également est installé depuis 1975 à Francfort-sur-le-Main en Allemagne où il exerce une activité professionnelle et est inscrit en qualité de résident. Madame Wencel se rend fréquemment en Allemagne auprès de son époux et ce dernier passe la totalité de ses vacances en Pologne.

Selon l’attestation de déclaration de domicile délivrée par la ville de Francfort-sur-le-Main, Madame Wencel depuis 1984 a séjourné de manière permanente en Allemagne sans y exercer d’activité professionnelle. Toutefois, de 1984 à 1990 elle a été employée comme garde d’enfants auprès de sa belle fille en Pologne. Depuis le 24 octobre 1990 elle bénéficie d’une pension de retraite attribuée par le ZUS. Par ailleurs depuis le décès de son époux en 2008 une pension de survie est versée par l’institution allemande au titre des périodes d’assurance accomplies par son époux en Allemagne. Actuellement elle réside avec ses enfants et petits enfants en Pologne.

Par décision du 26 novembre 2009 le ZUS a annulé sa décision d’octroi d’une pension de retraite du 24 octobre 1990 et en a suspendu le versement au motif que selon la convention germano polonaise seule l’institution du lieu de résidence est compétente pour se prononcer sur une demande de pension. Dans la mesure où Madame Wencel résidait de manière permanente en Allemagne depuis 1975, elle ne pouvait pas prétendre à une pension du régime polonais. De plus l’institution polonaise réclame le remboursement des sommes indûment perçues au cours des trois années précédentes.

La juridiction polonaise saisie de l’affaire demande à la Cour de justice si une institution de sécurité sociale peut supprimer rétroactivement une pension de retraite dont a bénéficié une personne qui dispose de façon concomitante de deux lieux de résidence habituelle dans deux États membres différents et exiger le remboursement des prestations prétendument indument versées au motif que l’intéressée bénéficie d’une pension de survie dans l’autre EM où elle a également une résidence.

La Cour examine tout d’abord si le règlement 1408/71 est applicable à cette affaire. En ce qui concerne l’application dans le temps, ce texte est entré en vigueur à l’égard de la Pologne le 1er mai 2004. Certes la retraite de l’intéressée a été attribuée en 1990, mais la décision de suppression et la demande de restitution des prestations indues sont intervenues en novembre et décembre 2009, donc postérieurement à l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne. Elle ajoute que si le règlement est applicable à la Pologne à partir du 1er mai 2004 et en principe pour l’avenir, il est susceptible de s’appliquer aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la loi ancienne. C’est pour cette raison que les décisions du ZUS de novembre et décembre 2009 doivent être appréciées au regard du règlement 1408/71.

S’agissant du champ matériel, la convention germano polonaise du 9 octobre 1975 qui est mentionnée à l’annexe III du règlement n° 1408/71 demeure en principe applicable, même après l’entrée en vigueur du règlement à la Pologne, a condition que l’application de ce texte soit plus favorable que le règlement. Le droit européen s’applique à toutes les situations qui ne sont pas couvertes par le champ d’application de la convention, mais également lorsque les dispositions de ce texte ne sont pas conformes aux principes sur lesquels le règlement est fondé. Madame Wencel a fait usage de son droit à la libre circulation, sa situation relève donc des principes sur lesquels le règlement est fondé. La situation de l’intéressée doit donc être appréciée sur le fondement du règlement (CEE) n° 1408/71.

Sur le fait de disposer de façon concomitante de deux résidences dans deux États membres différents, la Cour observe que le système mis en place dans le règlement retient la résidence comme facteur de rattachement pour la détermination de la législation applicable. Au fil de sa jurisprudence la Cour a élaboré une liste d’éléments à prendre en considération dans la détermination du lieu de résidence habituelle d’une personne, liste qui a été reprise dans le règlement (CE) n° 987/2009. Elle en conclut que pour les besoins de l’application de l’article 10 du règlement 1408/71 prévoyant l’exportation des prestations, une personne ne peut pas disposer de façon concomitante de deux résidences habituelles sur le territoire de deux États membres différents.

S’agissant du cumul des prestations la Cour observe que la pension polonaise a été calculée sur la carrière personnelle de l’intéressée et la pension allemande sur celle de son conjoint décédé. Ces deux prestations ne sont donc pas des prestations de même nature et en principe les règles de cumul des législations nationales peuvent s’appliquer dans les limites prévues par le règlement. Sur ce point la Cour observe que l’article 46 bis, paragraphe 3, sous d), du règlement n° 1408/71 prévoit que l’on ne peut réduire une prestation que dans la limite du montant des prestations dues dans un autre État membre. La pension polonaise serait donc susceptible de subir une réduction, mais seulement dans la limite de la prestation allemande.

Au regard de l’article 45 TFUE les règles de cumul telles qu’énoncées ci-dessus peuvent être admises à condition qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

La Cour renvoie donc à la juridiction nationale le soin d’apprécier la compatibilité de la règlementation nationale avec les exigences de l’Union, en vérifiant qu’une règle qui s’applique à tous, nationaux et non nationaux, n’aboutit pas en fait à une situation défavorable par rapport à celle dans laquelle se trouve une personne dont la situation ne présente aucun élément transfrontalier.