Affaire C 58/93

Zoubir Yousfi contre État Belge

Arrêt du 20 Avril 1994

Accord de coopération CEE-Maroc, article 41 § 1 - Interdiction de discrimination - Effet direct - Champ d'application personnel - Champ d'application matériel - Allocation pour handicapés

"L'article 41, paragraphe 1, de l'accord entre la Communauté économique européenne et le royaume du Maroc, signé à Rabat le 17 avril 1976 et approuvé au nom de la Communauté par le règlement (C.E.E.) n° 2211/78 du Conseil, du 26 septembre 1978, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un État membre refuse d'accorder une allocation pour handicapés, prévue par sa législation en faveur des nationaux ayant leur résidence dans cet État depuis au moins 5 ans, à un ressortissant marocain qui est atteint d'une incapacité de travail à la suite d'un accident du travail survenu dans cet État et qui réside sur le territoire de celui-ci depuis plus de 5 ans, au motif que l'intéressé est de nationalité marocaine".

La décision de la Cour de Justice rendue dans l'affaire n°C 58/93, Zoubir YOUSFI confirme la position déjà prise dans l'affaire n° C 18/90, KZIBER.

Monsieur YOUSFI, ressortissant marocain né en Belgique et y résidant, a été victime d'un accident du travail en juillet 1984. Le montant des indemnités d'invalidité devant revenir à l'intéressé n'ayant pas été fixé, ce dernier qui vivait à la charge de son père, a formulé une demande d'allocation pour handicapés du régime belge.

L'article 4 de la loi belge du 27 février 1987 prévoyait le versement d'une telle allocation aux belges, aux réfugiés politiques et aux apatrides. La loi du 20 juillet 1991 a étendu le bénéfice de ces allocations à toutes les personnes entrant dans le champ d'application du règlement n° 1408/71.

Devant le refus des autorités belges au motif de sa nationalité, Monsieur YOUSFI a saisi le Tribunal du travail de Bruxelles, en faisant valoir qu'il pouvait prétendre aux allocations pour handicapés, conformément à l'article 41 § 1 de l'accord C.E.E. - Maroc. Il invoquait notamment, à l'appui de sa demande, l'arrêt de la Cour du 31 janvier 1991 (affaire KZIBER), dans lequel la Cour avait affirmé que l'article précité avait un effet direct et que la notion de sécurité sociale y figurant devait être comprise par analogie avec la notion identique figurant dans le règlement n° 1408/71.

L'État belge par contre soutenait que Monsieur YOUSFI n'appartenait à aucune des catégories de bénéficiaires de l'allocation pour handicapés prévues par la législation belge, que l'allocation pour handicapés n'était pas visée dans le champ d'application de la convention belgo - marocaine, et qu'enfin cette allocation ne faisait pas partie de la sécurité sociale dans la mesure où elle était financée par le Trésor Public dans un but d'assistance.

La Cour, confirmant sa jurisprudence antérieure (affaire KZIBER), reconnait à l'article 41 § 1 un effet direct permettant aux personnes auxquelles cette disposition s'applique de s'en prévaloir devant les juridictions nationales. L'effet direct de cet article étant établi, il s'agissait pour la Cour de déterminer si Monsieur YOUSFI avait la qualité de travailleur, et si l'allocation pour handicapés relevait du domaine de la sécurité sociale.

S'agissant de la notion de travailleur, la Cour rappelle que cette notion, comme elle l'a déjà précisé dans l'arrêt KZIBER, englobe à la fois les travailleurs actifs et ceux qui ont quitté le marché du travail après avoir atteint l'âge de la retraite ou après avoir été victime d'un des risques ouvrant droit à des allocations au titre d'une des branches de la sécurité sociale.

Il ne fait aucun doute que le requérant possède la qualité de travailleur dans la mesure où il est atteint d'une incapacité de travail après l'exercice d'une activité salariée en Belgique.

En ce qui concerne la notion de sécurité sociale, il avait déjà été précisé dans l'arrêt KZIBER que cette notion est identique à celle figurant dans le règlement n° 1408/71.

Certes, avant la modification par le règlement n° 1247/92, le règlement n°1408/71 ne mentionnait pas de manière spécifique les prestations aux handicapés. Toutefois, selon une jurisprudence constante, la Cour a toujours affirmé qu'une loi relative aux allocations pour handicapés "remplit en réalité une double fonction consistant d'une part, à garantir un minimum de moyens d'existence à des handicapés placés entièrement en dehors du système de sécurité sociale et, d'autre part, à assurer un complément de revenus aux bénéficiaires de prestations de sécurité sociale atteints d'une incapacité permanente au travail".

Dans le cas d'espèce, le demandeur ayant la qualité de travailleur, l'allocation pour handicapés doit être considérée comme une prestation de sécurité sociale, visée dans le champ d'application du règlement n° 1408/71, à l'article 4 § 1, sous b), dans la mesure où elle est destinée à être versée à un travailleur.

La Cour conclut donc que l'allocation pour handicapés relève de l'accord C.E.E. - Maroc et que cette allocation ne peut pas être refusée à Monsieur YOUSFI qui a quitté le marché du travail après avoir été victime d'un des risques ouvrant droit à prestations et qui donc, de ce fait, a la qualité de travailleur.

Il avait été fait observé à la Cour qu'il ressortait de l'échange de lettres relatif à la "main d'oeuvre marocaine employée dans la Communauté", annexé à l'accord C.E.E. - Maroc, que les Parties n'avaient pas entendu attribuer un effet direct à l'article 41 § 1, et qu'une position contraire serait de nature à avoir une incidence négative sur le contenu des accords en voie de conclusion. Cela pourrait rendre les États membres "frileux".

L'avocat général, sur ce point, a rappelé l'indépendance de la Cour en indiquant que "l'interprétation donnée par la Cour ne peut ni ne doit dépendre d'éventuel agrément de la part des États membres".

Il convient toutefois d'observer que les accords d'association signés récemment avec des États tiers ne visent pas l'égalité de traitement. Tant les États membres que la Commission semblent avoir voulu éviter les problèmes posés par le principe de l'égalité de traitement fixé dans les accords de coopération.