Arrêt du 30 mai 2018
Renvoi préjudiciel - Sécurité sociale des travailleurs migrants - Coordination des systèmes de sécurité sociale - Règlement (CE) no 883/2004 - Champ d'application matériel - Article 3 - Déclaration des États membres conformément à l'article 9 - Pension de transition - Qualification - Régimes légaux de préretraite - Exclusion de la règle de la totalisation des périodes en vertu de l'article 66
1) La classification d'une prestation sociale sous l'une des branches de sécurité sociale énumérées à l'article 3 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, opérée par l'autorité nationale compétente dans la déclaration faite par l'État membre au titre de l'article 9, paragraphe 1, dudit règlement, ne revêt pas un caractère définitif. La qualification d'une prestation sociale est susceptible d'être effectuée par la juridiction nationale concernée, de manière autonome et en fonction des éléments constitutifs de la prestation sociale en cause, en saisissant, le cas échéant, la Cour d'une question préjudicielle.
2) Une prestation, telle que celle en cause au principal, doit être considérée comme une « prestation de vieillesse », au sens de l'article 3, paragraphe 1, sous d), du règlement no 883/2004.
La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 3, 1er et 9 ainsi que sur la validité de l'article 66 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.
Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant M. Stefan Czerwinski au ZUS de Gdansk (Pologne) concernant le refus par ce dernier de prendre en considération, en vue de l'octroi d'une pension de transition, des périodes de cotisation correspondant aux activités exercées par l'intéressé dans d'autres États membres de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen (EEE).
M. Czerwiński a totalisé 23 ans et 6 mois de périodes contributives et non contributives en Pologne. En outre, au cours des années 2005 à 2011, il a travaillé et cotisé comme second mécanicien sur un bateau en Allemagne et comme chef mécanicien sur un bateau en Norvège. En 2013, l'intéressé a introduit une demande de pension de transition auprès du ZUS. Le ZUS a rejeté cette demande au motif que l'intéressé n'avait pas justifié, au 1er janvier 2009, de 15 années d'ancienneté dans un emploi à caractère particulier ou exercé dans des conditions particulières, au sens de la loi sur les pensions de transition, ni de 25 années de périodes contributives et non contributives requises par cette même loi, les périodes de cotisation dans d'autres Etats membres ne pouvant pas être prises en compte.
M. Czerwiński a formé un recours contre cette décision. La juridiction de renvoi a éprouvé des doutes quant à la qualification de la pension de transition. Bien que, dans la déclaration des Etats membres telle que prévue à l'article 9 du règlement 883/2004, les autorités compétentes polonaises aient intégré la pension de transition dans la catégorie des prestations de préretraite, cette juridiction se demande si ce type de pension ne devrait pas relever de l'assurance vieillesse. Dans ce cas, pour le calcul de cette prestation, il pourrait être fait appel à la totalisation des périodes accomplies dans les autres Etats membres (article 6 du règlement 883/2004) alors que si cette prestation est considérée comme prestation de préretraite, l'article 66 du même règlement interdit cette totalisation.
La juridiction de renvoi a donc décidé de poser à la Cour de justice européenne les questions préjudicielles suivantes :
Pour la première question, la Cour de justice européenne rappelle sa jurisprudence antérieure, chaque Etat membre ayant l'obligation de déclarer les législations et les régimes nationaux qui relèvent du champ matériel du règlement 883/2004. Cette déclaration crée une présomption que les législations déclarées relèvent bien du champ matériel de ce règlement et lient, en principe, les autres Etats membres. Mais, à l'inverse, cela ne signifie pas qu'une loi ou réglementation non déclarée ne relève pas de ce champ matériel. L'inclusion ou non d'une législation repose sur ses éléments constitutifs, notamment ses finalités et ses conditions d'octroi.
Elle rappelle qu'en cas de doute quant à la qualification d'une prestation sociale par les autorités compétentes, l'Etat membre doit reconsidérer le bien fondé de sa déclaration et si besoin, la modifier. Une juridiction nationale peut être amenée à requalifier une prestation sociale et elle peut, le cas échéant, saisir la Cour d'une question préjudicielle.
Dès lors, elle en conclut que la déclaration faite par l'autorité nationale compétente au titre de l'article 9 du règlement 883/2004 ne saurait revêtir un caractère définitif puisque la qualification d'une prestation sociale, au sens du règlement no 883/2004, doit être effectuée par la juridiction nationale concernée, de manière autonome et en fonction des éléments constitutifs de la prestation sociale en cause, en saisissant, le cas échéant, la Cour d'une question préjudicielle.
Pour la seconde question concernant la détermination de la nature des prestations, la Cour rappelle qu'elles doivent être examinées indépendamment des caractéristiques propres aux législations nationales, comme étant de même nature lorsque leur objet et leur finalité ainsi que leur base de calcul et leurs conditions d'octroi sont identiques.
Alors que les prestations de vieillesse sont caractérisées essentiellement par le fait qu'elles tendent à assurer les moyens de subsistance de personnes qui quittent, lorsqu'elles atteignent un certain âge, leur emploi et ne sont plus obligées de se mettre à la disposition de l'administration de l'emploi, en revanche, les prestations de préretraite, même si elles présentent certaines similarités en ce qui concerne leur objet et leur finalité, à savoir, entre autres, assurer les moyens de subsistance de personnes ayant atteint un certain âge, elles en diffèrent notamment dans la mesure où elles poursuivent un objectif lié à la politique de l'emploi, en contribuant à libérer des places de travail occupées par des salariés proches de la retraite, au profit de personnes plus jeunes sans emploi. Il s'ensuit que les prestations de préretraite sont davantage liées au contexte de crise économique, de restructuration, de licenciements et de rationalisation.
En ce qui concerne l'objet et la finalité de la pension de transition polonaise, la Cour indique qu'elle n'est liée ni à la situation du marché du travail dans un contexte de crise économique ni à la capacité économique de l'entreprise dans le cadre d'une restructuration, mais uniquement à la nature de l'emploi, lequel présente un caractère particulier ou est exercé dans des conditions particulières. Les travailleurs qui sollicitent la pension de transition ne sont plus en mesure, avant l'âge de la retraite, d'occuper leur emploi, compte tenu de la diminution, due au vieillissement, de leurs capacités psychiques ou physiques. Par ailleurs, la base de calcul de cette prestation repose sur le montant de la pension de vieillesse, son montant ne pouvant être inférieur à celui de la pension de vieillesse minimale en Pologne.
Enfin, en ce qui concerne les conditions d'octroi de la pension de transition, il convient de souligner que la loi polonaise sur les pensions de transition définit des conditions générales relatives à l'âge, à l'ancienneté dans l'emploi ainsi qu'à la justification de périodes contributives et non contributives de longue durée, exigences relatives à l'octroi de prestations de vieillesse, différentes des conditions d'octroi généralement retenues pour des prestations de préretraite.
Dans ces conditions, la Cour de justice constate qu'il résulte tant de l'objet et de la finalité de la pension de transition que de sa base de calcul et de ses conditions d'octroi qu'une telle prestation se rapporte au risque de vieillesse visé à l'article 3, paragraphe 1, sous d), du règlement no 883/2004 et que, par conséquent, la règle de totalisation des périodes lui est applicable.
Compte tenu de la réponse apportée aux deux premières questions, la Cour ajoute qu'il n'y a pas lieu de répondre à la troisième question.