Affaire C 503/09

Lucy Stewart c/Secretary State of work and pensions

Arrêt du 21 juillet 2011

Citoyen de l'Union européenne - Sécurité sociale - Règlement (CEE) n° 1408/71 - Articles 4, 10 et 10 bis - Prestation d'incapacité de courte durée pour jeunes handicapés - Prestation de maladie ou prestation d'invalidité - Conditions de résidence, de présence au moment du dépôt de la demande et de présence antérieure - Proportionnalité

1) Une prestation d’incapacité de courte durée pour jeunes handicapés, telle que celle en cause au principal, constitue une prestation d’invalidité au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, s’il est constant que, à la date de l’introduction de la demande, le demandeur est atteint d’un handicap permanent ou durable.

2) L’article 10, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 1408/71, dans ladite version, tel que modifié par le règlement n° 647/2005, s’oppose à ce qu’un État membre soumette l’octroi d’une prestation d’incapacité de courte durée pour jeunes handicapés, telle que celle en cause au principal, à une condition de résidence habituelle du demandeur sur son territoire.

L’article 21, paragraphe 1, TFUE s’oppose à ce qu’un État membre soumette l’octroi d’une telle prestation:

  • à une condition de présence antérieure du demandeur sur son territoire à l’exclusion de tout autre élément permettant d’établir l’existence d’un lien réel entre le demandeur et cet État membre, et
  • à une condition de présence du demandeur sur son territoire au moment du dépôt de la demande.

Madame Stewart, née en 1989, souffre du syndrome de Down. En août 2000, elle s'est installée avec ses parents en Espagne. Elle s'est vue attribuer à titre rétroactif l'allocation de subsistance pour handicapés (disability living allowance) à partir de la création de cette allocation en avril 1992. Cette prestation est servie en Espagne au titre des droits acquis [article 95 ter du règlement (CEE) n° 1408/71]. Le père de l'intéressée reçoit depuis octobre 2009 une pension de retraite après avoir perçu depuis la date de son installation en Espagne une pension professionnelle. La mère de Madame Stewart a perçu une prestation d'incapacité avant de recevoir en juillet 2005 une pension de retraite. La requérante n'a jamais exercé d'activité et compte tenu de son état de santé elle ne sera pas en mesure d'en exercer une. Une demande de prestations d'incapacité de courte durée pour jeune handicapé a été formulée. Il s'agit d'une prestation qui est servie pendant 364 jours. A l'expiration de cette durée, si l'état de santé le nécessite, une prestation de longue durée est servie jusqu'à ce que le titulaire atteigne l'âge de la retraite. Les salariés qui perçoivent l'indemnité légale de la part de leur employeur ne peuvent pas prétendre à la prestation de courte durée. Les personnes incapables de travailler dès leur jeunesse ont droit de recevoir cette prestation servie sans conditions de ressources, ni de versement de cotisations préalable, son bénéfice est toutefois soumis à certaines conditions de résidence sur le territoire britannique. Le tribunal britannique saisi à la suite du refus d'attribution de la prestation est intervenu auprès la Cour de justice de l'Union européenne afin de connaitre la nature de la prestation en cause et de savoir si les conditions de résidence au Royaume Uni pour son attribution  étaient justifiées.

Pour la Cour il s'agit d'une prestation destinée à couvrir selon le cas le risque de maladie ou d'invalidité, qui relève du champ matériel du règlement. De plus, l'intéressée en sa qualité de membre de la famille d'un ancien travailleur relève quant à elle du champ personnel du règlement. La Cour observe que compte tenu de la gravité du handicap de Madame Stewart, la prestation de longue durée serait attribuée automatiquement à la fin de la perception de la prestation de courte durée. Toutefois, la prestation de longue durée ne peut pas être attribuée dès le départ, avant de la percevoir il faut avoir bénéficié de la prestation de courte durée. De ce fait pour la Cour, en dépit de leur structure interne, les prestations de courte et de longue durée constituent une prestation unique qui se rapporte directement au risque invalidité.

Sur les conditions de résidence sur le territoire britannique pour bénéficier de la prestation (résidence habituelle, durée minimale de résidence et résidence sur le territoire au moment de la demande), la Cour observe que la prestation d'incapacité de courte durée n'est pas mentionnée à l'annexe II bis du règlement 1408/71, la levée des clauses de résidence figurant à l'article 10, § 1 du règlement devrait donc s'appliquer et on ne devrait pas pouvoir opposer la résidence habituelle.

Sur la condition de durée de résidence minimale au Royaume Uni antérieurement à la demande, la Cour précise que l'intéressée est citoyenne européenne et qu'à ce titre elle a le droit de circuler librement dans l'Union européenne, droit qu'elle a exercé en séjournant dans un État membre autre que son État membre d'origine.

La Cour reconnait au législateur national le droit de s'assurer de l'existence d'un lien réel entre le demandeur d'une prestation et l'État membre compétent, comme également celui de garantir l'équilibre financier des régimes.

Elle ajoute que si les conditions de durée de résidence sont tout à fait raisonnables, l'exclusion de tout autre élément représentatif du rattachement du demandeur à l'État membre compétent va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but poursuivi. Pour la Cour les liens de rattachement de la requérante au Royaume Uni sont réels et suffisants : elle bénéficie déjà d'une allocation du régime britannique, des cotisations sont créditées sur son compte, son père et sa mère ont travaillé au Royaume Uni et sont titulaires d'avantages retraite de cet État, enfin elle a passé une partie significative de sa vie au Royaume Uni.

La Cour estime que soumettre l'acquisition d'un droit à une prestation d'incapacité de courte durée pour jeune handicapés à une condition de résidence antérieure sur le territoire à l'exclusion de tout autre élément permettant d'établir l'existence d'un lien réel entre le demandeur et l'État en cause va au delà de ce qui est nécessaire et constitue une restriction injustifiée à la liberté de circulation du citoyen de l'Union européenne et est contraire à l'article 21, paragraphe 1 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne.