Affaire C 451/93

Claudine Delavant contre Allgemeine Ortskrankenkasse Fur Das Saarland

Arrêt du 8 juin 1995

Travailleur résidant dans un État autre que l'État compétent - Prestations en nature aux membres de la famille

"L'article 19 paragraphe 2 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté dans sa version codifiée par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, doit être interprété en ce sens que, lorsqu'un travailleur réside, avec les membres de sa famille, sur le territoire d'un État membre autre que l'État membre d'emploi, sous la législation duquel il est affilié en vertu du règlement, les conditions d'ouverture du droit aux prestations de maladie en nature, en faveur des membres de la famille dudit travailleur, sont également régies par la législation de l'État d'emploi, pour autant que ceux-ci n'aient pas droit à ces prestations en vertu de la législation de l'État de leur résidence "

Madame Délavant, ressortissante française, travaille en France où elle est affiliée auprès de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Metz. Elle réside en Allemagne avec ses deux enfants mineurs et son mari qui travaille en Allemagne et est assuré auprès d'une compagnie d'assurances privée allemande dans la mesure où son salaire dépasse le plafond d'assujettissement obligatoire (1) auprès d'une caisse maladie légale. Selon la législation allemande (article 10 § 3 du Sozialgesetzbuch Gesetzliche Krankenversicherung, code social, SGBV), les enfants des assurés maladie allemands ne sont pas assurés lorsque le conjoint de l'assuré ayant un lien de parenté avec les enfants de celui-ci n'est pas affilié à une caisse maladie légale et que son revenu mensuel total excède normalement un douzième du plafond de rémunération annuelle et est normalement supérieur au revenu total de l'assuré.

L'A.O.K. auprès de laquelle Madame Délavant était inscrite avait refusé dans un premier temps de prendre en charge les frais d'hospitalisation d'un des enfants du fait du niveau de revenu de Monsieur Délavant. Après réclamation et un nouveau calcul du revenu, elle avait procédé au remboursement, mais avait refusé d'établir une déclaration selon laquelle les enfants de Madame Délavant avaient droit aux prestations en Allemagne comme s'ils étaient affiliés auprès de l'A.O.K. et ce, quels que soient les revenus des parents. L'A.O.K. fondait sa position de rejet sur le fait que selon les articles 19 et 1er sous f) du règlement 1408/71, elle devait faire application de l'article 10 § 3 du code social allemand.

(1) Ce plafond au 1er janvier 1995 est fixé à 5 850 DM par mois (4 425 DM dans les nouveaux Länder).

Dans leurs observations écrites, la Commission et les gouvernements belge, allemand, français et néerlandais sont d'accord pour indiquer que dans le cas d'espèce, selon les articles 19 et 1er sous f) point i) du règlement, c'est le droit allemand qui détermine qui est membre de la famille et qui est habilité à bénéficier des prestations en nature en Allemagne. Ils précisent que rien dans les règlements n'empêche le droit allemand de refuser le bénéfice des prestations en nature aux enfants de Madame Délavant dès lors que son époux, père des enfants, n'est pas lui-même affilié auprès d'une caisse maladie légale allemande et qu'il dispose d'un revenu régulièrement supérieur au revenu de son épouse.

L'avocat général lui aussi se rallie à la conclusion de la Commission et des gouvernements précités. Il demande pourquoi le fait de travailler en France plutôt qu'en Allemagne devrait faire acquérir un droit à l'assurance maladie aux enfants de Madame Délavant. Cette position serait contraire au principe de l'article 19 selon lequel lorsqu'un travailleur réside dans un État autre que l'État compétent, il doit être traité dans son pays de résidence comme s'il y était assuré.

Pour la Cour, selon l'article 19 § 1, le travailleur qui réside hors de l'État d'emploi est soumis à la législation de l'État d'emploi pour les conditions d'ouverture du droit aux prestations. Une fois le droit reconnu, les prestations en nature servies dans le pays de résidence pour le compte du pays d'emploi le sont selon les limites et les modalités prévues par la législation du pays de résidence. Elle précise que selon le paragraphe 2 de l'article 19, les dispositions du paragraphe 1 sont applicables par analogie aux membres de la famille du travailleur pour autant qu'ils n'aient pas droit aux prestations en vertu de la législation de l'État de résidence. Elle en conclut que, sous réserve que les membres de la famille n'aient pas de droit dans l'État de résidence, ils sont soumis à la législation du pays d'emploi en ce qui concerne les conditions d'ouverture du droit et lorsque ce droit est reconnu, ils bénéficient des prestations en nature servies par l'institution du pays de résidence dans la limite et selon les modalités que celle-ci applique.

Cette position de la Cour de Justice remet en cause un principe retenu dans les règlements comme dans les accords internationaux de sécurité sociale, à savoir le principe de l'égalité de traitement qui consiste à traiter le travailleur et les membres de sa famille comme si le travailleur exerçait une activité professionnelle dans le pays de résidence.