Affaire C 451/11

Natthaya Dülger c/ Wetteraukreis

Arrêt du 19 juillet 2012

Accord d'association CEE-Turquie - Décision n° 1/80 du conseil d'association - Article 7, premier alinéa - Droit de séjour des membres de la famille d'un travailler turc appartenant au marché régulier de l'emploi d'un État membre - Ressortissante thaïlandaise ayant été mariée au travailleur turc et ayant cohabité avec lui pendant plus de trois ans.

L’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association, adoptée par le conseil d’association institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963, doit être interprété en ce sens qu’un membre de la famille d’un travailleur turc, ressortissant d’un pays tiers autre que la Turquie, peut invoquer, dans l’État membre d’accueil, les droits qui résultent de cette disposition, dès lors que toutes les autres conditions prévues par celle-ci sont remplies.

Le 30 juin 2002 la requérante est entrée en Allemagne avec un visa de touriste. Le 12 septembre de la même année elle a épousée Monsieur Dülger, ressortissant turc, au Danemark.

Depuis 1988, Monsieur Dülger est en possession d’un titre de séjour illimité en Allemagne et pendant la vie commune du couple l’intéressé a été occupé par divers employeurs en Allemagne.

Le 18 septembre 2002, Madame Dülger a sollicité la délivrance d’un permis de séjour en indiquant qu’elle était mariée et avait deux enfants, nés en 1996 et 1998 en Thaïlande. Elle a obtenu des autorisations de séjour à durée limitée prorogées plusieurs fois jusqu’au 26 juin 2011 et depuis le 21 juin 2011 elle est en possession d’un « certificat de fiction légale de maintien d’un droit au séjour ».

Les filles de Madame Dülger sont entrées en Allemagne le 1er juillet 2006.

L’intéressée s’est séparée de son conjoint le 3 juin 2009 et s’est installée avec ses deux filles dans un foyer d’accueil pour femmes en Allemagne. Elle bénéficie depuis lors d’une prestation en faveur des demandeurs d’emploi. Le 3 février 2011 le divorce a été prononcé.

Par lettre du 9 septembre 2009, le service des étrangers a indiqué à l’intéressée qu’elle avait acquis après sa séparation un droit de séjour autonome d’une année sans obligation de faire la preuve qu’elle peut subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants. Il lui a été précisé toutefois, que si elle devait continuer à dépendre de l’aide sociale au-delà du 9 juin 2010, elle devrait quitter le territoire allemand avec ses enfants.

En septembre 2009, Madame Dülger a demandé à bénéficier d’un permis de séjour en sa qualité de membre de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi et avec lequel elle avait résidé pendant 3 ans au moins.

Par décision du 15 mars 2010, le service des étrangers a refusé la demande de l’intéressée au motif qu’elle n’avait acquis aucun droit au titre de l’article 7, de la décision n° 1/80, et que seuls les membres turcs de la famille d’un travailleur turc étaient en droit de se prévaloir de cette disposition.

Madame Dülger ayant contesté cette décision, la juridiction de renvoi demande à la Cour de justice de l’Union européenne si l’article 7 de la décision n° 1/80 permet à membre de la famille d’un ressortissant turc, ressortissant d’un pays tiers autre que la Turquie, de bénéficier des droits qui résultent de cette disposition, dès lors que toutes les autres conditions sont remplies.

La Cour observe que Madame Dülger a été mariée à un travailleur turc qui appartenait au marché régulier de l’emploi en Allemagne ; elle a été autorisée par les instances compétentes à rejoindre le travailleur en Allemagne et elle a vécu de manière ininterrompue avec ce dernier de septembre 2002 jusqu’à sa séparation en juin 2009.

Pour la Cour le fait que l’intéressée soit de nationalité thaïlandaise ne change rien à ses droits dans la mesure où l’article 7, premier alinéa ne comporte, ni de définition de la notion de membre de la famille du travailleur, ni de renvoi exprès aux droits des États membres pour déterminer la portée de cette notion et aucune condition de nationalité ne figure dans ces dispositions.

La Cour précise que l’article 7, premier alinéa poursuit un double objectif : la première période de trois ans est destinée au moyen du regroupement familial à favoriser l’emploi et le séjour du travailleur turc régulièrement intégré dans l’État membre d’accueil. Dans un second temps, ces dispositions renforcent l’insertion durable de la famille du travailleur migrant en accordant au membre de la famille après trois ans de résidence régulière sur le territoire d’accueil la possibilité d’accéder au marché du travail.

Sur la portée de la notion de « membre de la famille » au sens de l’article 7, premier alinéa de la décision 1/80, la Cour indique qu’il convient de se référer à l’interprétation déjà donnée de cette notion en matière de libre circulation des travailleurs ressortissants des États membres de l’Union européenne et plus particulièrement à l’article 10 du règlement n° 1612/68 qui prévoyait que les membres de la famille d’un travailleur avaient le droit de s’installer dans l’État membre où le travailleur était employé quelle que soit la nationalité des membres de la famille.

Ce principe a été réaffirmé dans la directive 2004/38 (articles 6, paragraphe 2, et 7, paragraphe 2).

Une limitation du droit au regroupement familial irait également à l’encontre du droit au respect de la vie privée et familiale prévu par l’article 7 de la Charte des droits sociaux fondamentaux de l’Union européenne. L’article 7, alinéa premier de la décision 1/80 faisant partie intégrante du droit de l’Union européenne, les États membres sont tenus de respecter les obligations résultant de cette Charte qui a la même valeur juridique que les traités.

De plus comme l’a observé l’avocat général selon la décision n° 3/80 du conseil d’association du 19 septembre 1980 l’expression « membre de la famille » a la signification qui lui est donnée à l’article 1er du règlement (CEE) n° 1408/71, selon lequel aucune condition de nationalité n’est exigée pour les membres de la famille du travailleur ressortissant de l’Union européenne.