Affaire C 45/12

Office national d'allocations familiales pour travailleurs salariés (ONAFTS) contre Radia Hadj Ahmed

Arrêt du 13 juin 2013

Règlement (CEE) n° 1408/71 - Champ d'application personnel - Octroi de prestations familiales à une ressortissante d'un État tiers bénéficiant d'un droit au séjour dans un État membre - Règlement (CE) n° 859/2003 - Directive 2004/38/CE - Règlement (CEE) n° 1612/68 - Condition de durée de résidence

1. « Le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, doit être interprété en ce sens qu'une ressortissante d'un État tiers ou sa fille, qui est également ressortissante d'un État tiers, dès lors que celles-ci se trouvent dans la situation suivante:

  • cette ressortissante d'un État tiers a obtenu, depuis moins de cinq ans, un titre de séjour dans un État membre pour rejoindre, hors mariage ou partenariat enregistré, un ressortissant d'un autre État membre, dont elle a un enfant ayant la nationalité de ce dernier État membre ;
  • seul ce ressortissant d'un autre État membre a le statut de travailleur ;
  • la cohabitation entre ladite ressortissante d'un État tiers et ledit ressortissant d'un autre État membre a entre-temps pris fin, et
  • les deux enfants font partie du ménage de leur mère,

ne relèvent pas du champ d'application personnel de ce règlement, sauf si cette ressortissante d'un État tiers ou sa fille peuvent être considérées, au sens de la loi nationale et pour l'application de celle-ci, comme «membres de la famille» de ce ressortissant d'un autre État membre ou, dans la négative, si elles peuvent être regardées comme étant «principalement à la charge» de celui-ci.

2. Les articles 13, paragraphe 2, et 14 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, lus en combinaison avec l'article 18 TFUE, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une réglementation d'un État membre, par laquelle celui-ci impose à une ressortissante d'un État tiers, dès lors que celle-ci se trouve dans la situation visée au point 1 du dispositif du présent arrêt, une condition de durée de résidence de cinq ans pour l'octroi des prestations familiales garanties, alors qu'il ne l'impose pas à ses propres ressortissants. »

Madame Hadj Ahmed, ressortissante algérienne a rejoint en Belgique un partenaire de nationalité française et à ce titre elle a pu bénéficier d'un titre de séjour pour résider en Belgique à compter du 18 janvier 2006. L'intéressée et son partenaire ont un enfant en commun, de nationalité française, né le 18 décembre 2003. Au cours de l'année 2006, Madame Hadj Ahmed a fait venir en Belgique sa fille, de nationalité algérienne, née le 28 janvier 1993.

Tant qu'elle vivait avec son partenaire, Madame Hadj Ahmed qui n'a jamais eu le statut de travailleur en Belgique, bénéficiait des allocations familiales belges pour ses deux enfants sur la base de l'activité de son partenaire en Belgique.

Depuis sa séparation avec son partenaire en juin 2007, l'intéressée n'est plus à la charge de ce dernier et elle bénéficie de l'aide sociale. L'ONAFT a maintenu les allocations familiales pour l'enfant français, mais pas pour la fille de nationalité algérienne.

La Cour de justice de l'Union européenne examine tout d'abord si une mère et une fille toutes les deux ressortissantes d'un État tiers relèvent du champ d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 alors que la mère qui n'a jamais eu le statut de travailleur a obtenu un titre de séjour depuis moins de 5 ans pour rejoindre hors mariage et hors partenariat un ressortissant communautaire avec lequel elle a eu un enfant ayant la même nationalité que le père, que la cohabitation a pris fin et que la fille et l'enfant commun font partie du ménage de la mère.

Pour la Cour si selon la loi nationale les intéressées ne peuvent pas être considérées comme membre de la famille, il appartient à la juridiction nationale de vérifier qu'elles sont « principalement » à charge du travailleur.

Elle précise que le seul fait que l'enfant commun fasse partie du ménage de la mère n'est pas suffisant pour permettre de qualifier la mère et la fille de « membre de la famille » au sens de l'article 1er, sous f), i), du règlement n° 1408/71.

En second lieu la Cour examine si le règlement n° 859/2003 étendant le champ d'application du règlement n° 1408/71 ne peut pas trouver application au cas d'espèce. Elle observe que la non application du règlement n° 1408/71 à la mère et la fille ne dépend pas de leur nationalité, mais du fait qu'elles ne peuvent pas être considérées comme membres de la famille. Elle ajoute que pour ce règlement soit applicable, il faut que le ressortissant concerné réside légalement sur le territoire d'un État membre, mais également qu'il ne se trouve pas dans une situation limitée à un seul État membre. Si Madame Hadj Ahmed et sa fille résident légalement en Belgique, elles sont venues directement d'Algérie en Belgique ; le règlement n° 859/2003 ne leur est donc pas applicable.

En troisième lieu la Cour examine si les articles 13, paragraphe 2, et 14 de la directive 2004/38, lus en combinaison avec l'article 18 TFUE, s'opposent à la règlementation d'un État membre qui impose à la personne se trouvant dans la situation de Madame Hadj Ahmed une condition d'une durée de résidence de 5 ans pour l'octroi de prestations familiales garanties. En Belgique le régime des prestations familiales garanties, qui octroie des prestations familiales sans qu'il existe une quelconque relation de travail du chef du demandeur, est réservé aux familles les plus démunies.

Sur ce dernier point la Cour observe que selon l'article 13, paragraphe 2, de la directive 2004/38 le droit au séjour des membres de la famille d'un citoyen de l'Union qui n'ont pas la nationalité d'un État membre peut être maintenu, sous certaines conditions, en cas de divorce, annulation du mariage ou rupture d'un partenariat enregistré. Dans le cas d'espèce il n'existe ni mariage, ni partenariat enregistré entre Madame Hadj Ahmed et son ex-partenaire de nationalité française. Elle ne peut donc pas se prévaloir de ces dispositions.

S'agissant de la référence à l'article 18 TFUE, la Cour indique qu'il n'est pas possible de transposer à un ressortissant d'État tiers disposant d'une carte de séjour la jurisprudence Trojani (C-456/02 du 7 septembre 2004) qui prévoyait qu'un citoyen européen disposant d'une carte de séjour dans un État membre pouvait bénéficier d'une prestation sociale dans les mêmes conditions que les ressortissants de l'État concerné.

La Cour rejette également l'application du règlement n° 1612/68 qui dans le cadre de l'intégration de la famille dans l'État membre d'accueil offre la possibilité à l'enfant d'un travailleur migrant d'entreprendre sa scolarité et ses études dans l'État membre d'accueil ainsi qu'un droit au séjour correspondant au membre de la famille assurant effectivement la garde de l'enfant, au motif que l'intéressée n'est ni conjoint, ni partenaire d'un ressortissant d'un autre État membre et ne l'a jamais été. Sa fille ne peut donc pas être considérée comme l'enfant du conjoint d'un travailleur migrant.