Affaire C 445/03

Commission des Communautés européennes contre Grand-Duché de Luxembourg

Arrêt du 21 octobre 2004

Manquement d'État - Libre prestation de services - Exigences imposées par l'État membre d'accueil aux entreprises qui détachent sur son territoire des travailleurs salariés ressortissants d'un État tiers

1. « En imposant aux prestataires de services établis dans un autre État membre, qui souhaitent détacher sur son territoire des travailleurs ressortissants d’un État tiers, une exigence de permis individuels de travail dont la délivrance est subordonnée à des considérations liées au marché de l’emploi ou une exigence d’autorisation de travail collective qui n’est accordée que dans des cas exceptionnels et pour autant que les travailleurs concernés soient liés depuis six mois au moins avant le début de leur détachement à leur entreprise d’origine par des contrats de travail à durée déterminée, et en imposant à ces prestataires de services l’obligation de fournir une garantie bancaire, le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE.

2. Le Grand-duché de Luxembourg est condamné aux dépens. »

Le règlement grand-ducal du 12 mai 1972 soumet le détachement temporaire des travailleurs ressortissants d’États tiers sur le territoire luxembourgeois aux conditions applicables à l’accès à l’emploi. Une autorisation de travail collective peut être délivrée dans des cas exceptionnels pour des travailleurs étrangers à condition que le travailleur soit titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée depuis plus de six mois. Enfin, la délivrance des permis de travail et des autorisations de travail collectives est soumise à une garantie bancaire, portant sur les frais de rapatriement éventuels des travailleurs pour lesquels une autorisation est demandée, de l’employeur auprès d’un établissement financier agréé.

La commission estime que toutes ces exigences constituent des restrictions à la libre prestation de services.

Le Gouvernement du Luxembourg quant à lui met en avant des motifs de protection sociale et de stabilité du marché du travail pour justifier ces exigences. C’est ainsi que la règle de l’autorisation de travail constitue l’application du principe de la priorité d’emploi aux ressortissants communautaires. Sur l’exigence du contrat de travail à durée déterminée entré en vigueur depuis au moins six mois, il précise qu’elle vise à garantir la stabilité du lien entre l’employeur et le salarié. Enfin, s’agissant de la garantie bancaire, cette formalité en pratique se résume à l’obtention d’une lettre de garantie auprès d’un établissement bancaire d’un coût de 25 euros environ par semestre.

La Cour rappelle que l’article 49 CE exige l’élimination de toute discrimination à l’égard du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également de toute restriction même si cette restriction s’applique indifféremment aux prestataires nationaux et aux prestataires des autres États membres.

Elle observe que ces différentes exigences sont de nature à compliquer sérieusement le détachement de travailleurs ressortissants d’États tiers sur le territoire luxembourgeois et ne constituent nullement des moyens appropriés dans un but de protection desdits travailleurs.

Sur la perturbation du marché du travail luxembourgeois, la Cour rappelle qu’à différentes reprises elle a déjà été amenée à préciser que ces travailleurs détachés pour exercer une prestation de services ne prétendent nullement accéder au marché du travail local. En effet la prestation de service terminée, ils retourneront dans leur pays habituel d’emploi.

La Cour reconnaît certes le droit aux États de vérifier que sous couvert de la prestation de services l’employeur fasse venir du personnel en vue de placement ou de mise à disposition de travailleurs, mais ces contrôles doivent respecter les limites du droit communautaire et notamment celles découlant de la libre prestation de services.

Elle estime que les exigences posées par le Gouvernement luxembourgeois « sont inappropriées pour poursuivre l’objectif de prévenir une déstabilisation du marché local de l’emploi ».