Affaire C 391/93

Umberto Perrotta contre Allgemeine Ortskrankenkasse München

Arrêt du 13 juillet 1995

Chômage - Séjour autorisé sur le territoire d'un autre État membre que l'État compétent pour chercher un emploi - Prestations de l'assurance maladie - Prolongation du séjour - Notion de force majeure

"L'article 25, paragraphe 4, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version codifiée par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, doit être interprété en ce sens que l'institution compétente est tenue de statuer sur une demande de prolongation de la durée de prise en charge des prestations de maladie, alors même que cette demande n'a pas été explicitement formulée par le chômeur, mais peut se déduire d'une demande d'octroi de prestations de maladie en espèces, introduite, peu avant l'expiration du délai visé à l'article 25, paragraphe 1, du même règlement, auprès de l'institution d'assurance maladie du lieu où le chômeur s'est rendu.

Pour vérifier l'existence d'un cas de force majeure, au sens de l'article 25, paragraphe 4, du règlement n° 1408/71, l'institution compétente doit procéder à une appréciation des circonstances de l'espèce afin de déterminer s'il peut raisonnablement être exigé du chômeur qu'il retourne dans l'État compétent, eu égard non seulement aux risques de dégradation de son état de santé ou de diminution de ses chances de guérison que comporterait le voyage de retour, mais également à la pénibilité de l'épreuve qu'il serait ainsi contraint d'endurer, étant entendu, d'une part, que la notion de force majeure ne peut être limitée à celle de l'impossibilité absolue de retourner dans l'État compétent, et, d'autre part, que l'aptitude physique à voyager ne peut, comme telle, empêcher la constatation de l'existence d'un tel cas de force majeure".

Monsieur Perrotta, ressortissant italien, a travaillé en Allemagne avant d'être inscrit comme demandeur d'emploi le 8 janvier 1985 et de bénéficier de prestations de l'assurance chômage allemande. L'intéressé a été autorisé par les services pour l'emploi, dans le cadre de l'article 69 du règlement n° 1408/71 à transférer sa résidence en Italie pour y chercher un emploi. L'article 69 permet au travailleur en chômage complet de se rendre sur le territoire d'un État membre autre que l'État compétent pour chercher un travail tout en conservant le bénéfice des prestations de chômage de l'État compétent.

Pour bénéficier de ces dispositions, le travailleur doit s'inscrire comme demandeur d'emploi dans l'État compétent et rester à la disposition des services de l'emploi de cet État durant au moins quatre semaines, puis il doit s'inscrire auprès des services de l'emploi de l'État où il se rend et se soumettre au contrôle qui est organisé dans cet État. Si toutes ces conditions sont remplies, l'intéressé bénéficie durant une période de trois mois maximum des prestations de chômage du pays compétent. L'autorisation de transfert de résidence donnée par l'institution allemande était valable jusqu'au 19 mars 1985.

S'agissant des prestations de l'assurance maladie, l'article 25 § 1 du règlement n° 1408/71 précise qu'en cas de transfert de résidence pour chercher un emploi, les prestations en nature de l'assurance maladie sont servies pour le compte de l'institution compétente par l'institution de l'État membre dans lequel l'intéressé cherche un emploi, les prestations en espèces étant servies par l'institution compétente. De plus, le paragraphe 4 de l'article précité prévoit que la durée du service des prestations peut être prorogée par l'institution compétente en cas de force majeure.

Durant son séjour en Italie, Monsieur Perrotta a perçu les prestations de chômage du régime allemand par l'intermédiaire de l'institution italienne du lieu de séjour. Le 15 mars 1985, l'intéressé est tombé malade et a été hospitalisé en Italie du 25 avril au 9 mai 1985. Le 19 mars 1985, c'est à dire le dernier jour de la période de trois mois pendant laquelle il avait été autorisé à séjourner en Italie, il a formulé par l'intermédiaire de l'institution italienne, une demande de prestations en espèces de l'assurance maladie. Le formulaire E 115, accompagné du rapport médical italien est parvenu à la caisse allemande le 28 mars 1985. La maladie de Monsieur Perrotta s'est prolongée jusqu'au 19 juin 1985 et après cette date, l'intéressé est rentré en Allemagne. La caisse maladie allemande a accordé des prestations maladie pour les cinq jours restant sur la période de trois mois, à savoir du 15 mars au 19 mars 1985. Pour les jours d'incapacité au delà du 19 mars, elle a rejeté la demande d'indemnisation au motif que la période visée à l'article 69 du règlement 1408/71 avait expirée le 19 mars 1985.

Dans sa contestation de la décision de la caisse allemande, l'intéressé fait valoir qu'à partir du 15 mars 1995, il était hors d'état de travailler et de voyager et il demande à la caisse maladie, en application de son pouvoir discrétionnaire de lui accorder des prestations maladie pour toute la durée de son incapacité de travail. La caisse maladie allemande a demandé à l'office du travail de se prononcer sur une éventuelle prolongation du délai conformément à l'article 69 § 2 du règlement 1408/71. Ce dernier refuse de prendre une décision en ce sens au motif qu'en l'espèce, il s'agissait d'une demande de prolongation du délai pour le versement des prestations maladie basée sur l'article 25 § 4 et relevant uniquement de la compétence de la caisse maladie. Cette dernière, par décision du 29 avril 1986, rejette la réclamation du requérant au motif que le droit aux prestations en espèces de maladie prenait fin à l'expiration de la période de séjour autorisé et qu'une prolongation éventuelle de délai ne pouvait se justifier qu'en présence d'un cas de force majeure "au sens de l'article 25 § 4 du règlement auquel la maladie de l'intéressé ne pouvait pas être assimilée".

La juridiction allemande pose à la Cour trois questions : dans la première question, il est demandé à la Cour si, selon l'article 25 § 4, l'institution compétente est tenue de statuer sur une demande de prolongation de prise en charge des prestations maladie, alors même que la demande n'a pas été explicitement formulée par le chômeur, mais peut toutefois se déduire de la demande de prestations en espèces formulée auprès de l'institution du lieu de séjour.

La Cour observe que "ni l'article 25 § 4 du règlement n° 1408/71, ni l'article 26 § 6 du règlement d'application n'imposent l'introduction d'une demande formelle de la part du chômeur en vue de la prolongation de la durée de prise en charge des prestations de maladie". Elle ajoute que, dans le cas d'espèce, le fait d'introduire une demande de prestations de maladie juste avant l'expiration du délai de trois mois peut raisonnablement faire penser à la caisse maladie compétente que l'intéressé souhaite continuer à percevoir ces prestations durant toute la maladie et donc demande implicitement à bénéficier d'une prolongation de la durée de prise en charge visée à l'article 25 § 1.

Après avoir répondu positivement à la première question, la Cour examine les deuxième et troisième questions par lesquelles l'institution allemande demande si l'institution compétente dispose d'un pouvoir d'appréciation sur l'existence ou non de la force majeure et si on peut admettre l'existence d'un cas de force majeure conformément à l'article 25 § 4 lorsque le chômeur est hors d'état de travailler du fait de sa maladie, mais pas inapte à voyager. L'avocat général, dans ses conclusions, rappelle que la notion de force majeure utilisée dans l'article 25 § 4 du règlement n° 1408/71 est plus étroite que la notion de «cas exceptionnel» utilisée à l'article 69 § 2. Dans le cadre de ce dernier article, les services pour l'emploi, pour prendre leur décision sur une éventuelle prolongation devraient apprécier si dans l'État où le chômeur s'est rendu, les perspectives en matière d'emploi sont telles qu'il convient d'accorder un délai supplémentaire. Par contre, l'institution compétente d'assurance maladie n'est pas tenue de procéder à la même évaluation que les services de l'emploi. S'agissant de la notion de force majeure selon une jurisprudence constante, cette notion varie en fonction des différents domaines d'application du droit communautaire.

La Cour indique la notion de force majeure au sens de l'article 25 § 4 du règlement n°1408/71 qui implique que l'institution compétente tienne compte des circonstances de l'espèce et détermine si le retour du chômeur dans l'État compétent "est de nature à compromettre ses chances de guérison ou à lui imposer une épreuve qu'il ne devrait raisonnablement pas être appelé à supporter", la force majeure ne peut donc pas être limitée à l'impossibilité absolue de retourner sur le territoire de l'État compétent. Elle en conclut que l'aptitude à voyager ne pourrait pas à priori exclure le bénéfice de la prolongation au titre de l'article 25 § 4.

Bien que la Cour indique que la simple notion de maladie ou d'incapacité de travail n'entraîne pas la force majeure et ne permette pas de déroger automatiquement à l'obligation de retourner sur le territoire de l'État compétent avant l'expiration du délai fixé à l'article 25 § 1, il sera quand même très difficile pour une institution compétente de prouver en cas de maladie que le retour dans le pays compétent ne risque pas de diminuer les chances de guérison du travailleur.