Affaire C 372/04

Yvonne Watts c/ Bedford Primary Care Trust, Secretary of State for Health

Arrêt du 16 mai 2006

Sécurité sociale - Système national de santé - Frais médicaux engagés dans un autre État membre - Articles 48 à 50 du Traité - Règlement (CEE) n° 1408/71, article 22

1) L’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leurs famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, doit être interprété en ce sens que, pour être en droit de refuser l’autorisation visée au paragraphe 1, sous c), i), de ce même article pour un motif tiré de l’existence d’un délai d’attente pour un traitement hospitalier, l’institution compétente est tenue d’établir que ce délai n’excède pas le délai acceptable reposant sur une évaluation médicale objective des besoins cliniques de l’intéressé à la lumière de l’ensemble des paramètres qui caractérisent son état pathologique au moment où la demande d’autorisation est introduite ou, le cas échéant, renouvelée.

2) L’article 49 CE s’applique à une situation dans laquelle une personne dont l’état de santé nécessite des soins hospitaliers se rend dans un autre État membre et y reçoit de tels soins contre rémunération, sans qu’il soit besoin d’examiner si les prestations de soins hospitaliers fournies dans le cadre du système national dont relève cette personne constituent en elles-mêmes des services aux sens des dispositions sur la libre prestation des services.

L’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que la prise en charge de soins hospitaliers envisagés dans un établissement situé dans un autre État membre soit subordonnée à l’obtention d’une autorisation préalable de l’institution compétente.

Le refus d’autorisation préalable ne peut être fondé sur la seule existence de listes d’attente destinées à planifier et à gérer l’offre hospitalière en fonction de priorités cliniques préétablies en termes généraux, sans qu’il ait été procédé à une évaluation médicale objective de l’état pathologique du patient, de ses antécédents, de l’évolution probable de la maladie, du degré de sa douleur et/ou de la nature de son handicap lors de l’introduction ou du renouvellement de la demande d’autorisation.

Lorsque le délai découlant de telles listes s’avère excéder le délai acceptable compte tenu d’une évaluation médicale objective des éléments précités, l’institution compétente ne peut refuser l’autorisation sollicitée en se fondant sur des motifs tirés de l’existence de ces listes d’attente, d’une prétendue atteinte portée à l’ordre normal des priorités lié au degré d’urgence respectif des cas à traiter, de la gratuité des soins hospitaliers prodigués dans le cadre du système national en cause, de l’obligation de prévoir des moyens financiers spécifiques aux fins de la prise en charge du traitement envisagé dans un autre État membre et/ou d’une comparaison des coûts de ce traitement et de ceux d’un traitement équivalent dans l’État membre compétent.

3) L’article 49 CE doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où la législation de l’État membre compétent prévoit la gratuité des soins hospitaliers prodigués dans le cadre d’un service national de santé, et où la législation de l’État membre dans lequel un patient relevant dudit service a été, ou aurait dû être, autorisé à recevoir un traitement hospitalier aux frais de ce service ne prévoit pas une prise en charge intégrale du coût dudit traitement, il doit être accordé à ce patient, par l’institution compétente, un remboursement correspondant à la différence éventuelle entre, d’une part, le montant du coût, objectivement quantifié, d’un traitement équivalent dans un établissement relevant du service en cause, plafonné, le cas échéant, à hauteur du montant global facturé pour le traitement prodigué dans l’État membre de séjour, et, d’autre part, le montant à concurrence duquel l’institution de ce dernier État membre est tenue d’intervenir, au titre de l’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118/97, pour le compte de l’institution compétente, en application des dispositions de la législation de cet État membre.

L’article 22, paragraphe 1, sous c), i), dudit règlement n° 1408/71 doit être interprété en ce sens que le droit qu’il confère au patient concerné porte exclusivement sur les dépenses liées aux soins de santé reçus par ce patient dans l’État membre de séjour, à savoir, s’agissant de soins de nature hospitalière, les coûts des prestations médicales proprement dites ainsi que les dépenses, indissociablement liées, afférentes au séjour de l’intéressé dans l’établissement hospitalier.

L’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’un patient qui a été autorisé à se rendre dans un autre État membre pour y recevoir des soins hospitaliers ou qui a essuyé un refus d’autorisation dont il est ultérieurement établi qu’il n’était pas fondé, n’est en droit de réclamer à l’institution compétente la prise en charge des frais accessoires liés à ce déplacement transfrontalier à des fins médicales que pour autant que le législation de l’État membre compétent impose au système national une obligation de prise en charge correspondante dans le cadre d’un traitement prodigué dans un établissement local relevant dudit système.

4) L’obligation pour l’institution compétente, au titre tant de l’article 22 du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118/97, que de l’article 49 CE, d’autoriser un patient relevant d’un service national de santé à obtenir, à la charge de ladite institution, un traitement hospitalier dans un autre État membre lorsque le délai d’attente excède le délai acceptable au vu d’une évaluation médicale objective de l’état et des besoins cliniques du patient concerné, ne contrevient pas à l’article 152, paragraphe 5, CE.

Souffrant d’arthrite à la hanche Madame Watts a demandé au Bedford primary care trust (caisse de soins primaires de Bedford) l’autorisation de se faire opérer à l’étranger. Un refus lui a été opposé au motif qu’un traitement pouvait être dispensé dans un hôpital local « dans un délai conforme aux objectifs du plan de sécurité sociale du gouvernement » et donc « sans retard injustifié ». L’état de santé de l’intéressée s’étant aggravé fin janvier 2003, elle a de nouveau été examinée par un médecin britannique qui a indiqué qu’elle devait être classée dans la catégorie de patients devant être opérés « bientôt », c'est-à-dire dans un délai de 3 ou 4 mois. À la suite d’un nouveau refus de délivrance du formulaire E 112 en février 2003, Madame Watts s’est fait poser une prothèse de la hanche en France, a réglé les frais liés à cette intervention et en a demandé le remboursement à l’institution britannique qui a opposé un refus.

La juridiction britannique saisie de l’affaire demande à la Cour de se prononcer sur l’interprétation de l’article 22 du règlement (CEE) n° 1408/71 et sur la portée des dispositions du traité relatives à la libre prestation de services.

La Cour indique que l’application de l’article 22 à l’affaire n’exclut pas que celle-ci puisse également relever du champ d’application de l’article 49 CE.

Sur l’application de l’article 22 du règlement 1408/71

La Cour précise que selon le paragraphe 2, second alinéa de cet article, la délivrance du formulaire E 112 est soumise à la réunion de deux conditions :

Dans cette affaire seul la deuxième condition fait l’objet du litige.

La Cour reconnaît aux autorités compétentes le droit d’instituer si elles l’estiment nécessaire des listes d’attente visant à planifier la fourniture des soins et à fixer des priorités en fonction des ressources et des capacités disponibles. Toutefois, le délai ainsi fixé doit être « acceptable compte tenu d’une évaluation médicales objective des besoins cliniques de l’intéressé au vu de son état pathologique, de ses antécédents, de l’évolution probable de sa maladie, du degré de sa douleur et/ou de la nature de son handicap au moment où l’autorisation est sollicitée ».

De plus la fixation de délais d’attente doit être souple et dynamique afin de permettre de revoir le délai initialement notifié en fonction d’une dégradation éventuelle de l’état de santé du patient qui pourrait survenir postérieurement à la première demande d’autorisation.

La Cour précise que le fait que le coût du traitement hospitalier envisagé puisse être plus cher que celui qui aurait été exposé s’il avait été dispensé par un établissement du système de santé ne peut pas constituer un motif de refus légitime.

Elle renvoie à la juridiction nationale le soin de vérifier que le délai d’attente invoqué par l’institution nationale pour rejeter la demande excédait le délai médicalement acceptable compte tenu de la situation et des besoins cliniques individuels de l’intéressé.

Sur la portée de la libre prestation de services

La Cour considère que les prestations médicales fournies contre rémunération relèvent du champ d’application des dispositions relatives à la libre prestation de services, indépendamment du mode de financement et de fonctionnement du système national de santé dont relève le patient et auprès duquel une demande de remboursement des frais a été formulée.

Après avoir démontré que l’article 49 CE était applicable à la situation de Madame WATTS, la Cour recherche l’existence de restrictions rendant plus difficile entre deux États la prestation de services que celle purement interne.

Elle indique que les patients du NHS ont la possibilité d’avoir recours à une hospitalisation dans un établissement de soins situé dans un autre État membre, mais s’ils n’obtiennent pas d’autorisation préalable, ils ne peuvent obtenir aucune prise en charge pour de tels soins. À l’observation qu’un patient relevant du NHS n’avait pas le choix du moment et du lieu où les prestations d’hospitalisation lui seront fournies, la Cour réplique que les prestations en cause ne sont pas soumises à une autorisation préalable des autorités nationales compétentes.

Elle ajoute que le système de l’autorisation préalable décourage les patients concernés à s’adresser à des prestataires de services dans un autre État.

Après avoir démontré l’existence d’une restriction la Cour examine si cette restriction est objectivement justifiée.

Elle rappelle les justifications déjà reconnues d’entrave à la libre prestation de services comme le risque d’atteinte à l’équilibre financier, le maintien d’un service médical et hospitalier équilibré et accessible à tous.

Elle indique que la planification visant à garantir sur le territoire de l’État concerné une accessibilité à une gamme équilibrée de soins hospitaliers et à assurer la maîtrise des coûts justifie tout à fait l’obligation de demande d’autorisation préalable.

Elle précise donc que le droit communautaire ne s’oppose pas que soit soumis à autorisation préalable la prise en charge de soins hospitaliers dans un autre État membre.

Toutefois, dans la mesure où ce système d’autorisation préalable déroge à une liberté fondamentale, il « doit être fondé sur des critères objectifs non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales afin que celui-ci ne soit pas exercé de manière arbitraire. »

Elle observe que la réglementation britannique ne précise pas les conditions d’octroi ou de refus de l’autorisation préalable nécessaire à des soins hospitaliers sur le territoire d’un autre État membre.

Elle ajoute qu’un refus d’autorisation ne peut pas être fondé uniquement sur l’existence de listes d’attente. Il en résulte que lorsque le délai découlant des listes d’attente excède le délai acceptable compte tenu de l’évaluation objective de la situation du patient, l’institution compétente ne peut refuser l’autorisation sollicitée en se fondant uniquement sur l’existence de listes d’attente.

La juridiction britannique se posait également la question de l’étendue de la prise en charge compte tenu de la gratuité des soins hospitaliers dans le cadre du service de santé britannique et de l’absence de tarifs de remboursement. Elle s’interrogeait également sur la prise en charge des frais de voyage et de logement.

Pour le remboursement des frais dans le cadre du règlement, la Cour indique qu’il n’est pas besoin de se référer à un barème quelconque, l’institution compétente remboursant les frais à concurrence du montant des prestations servies dans l’État où les soins ont été dispensés en application de la législation de ce dernier État.

Elle précise que la gratuité des soins dans le pays compétent n’oblige pas l’institution compétente à couvrir en toute circonstances, y compris lorsque le traitement est supérieur au coût d’un traitement équivalent dans le pays compétent, l’intégralité des frais à l’étranger.

Elle renvoie pour déterminer un tarif de référence aux frais qui sont facturés par l’institution britannique aux patients étrangers qui reçoivent des soins au Royaume-Uni.

Par ailleurs en ce qui concerne les frais de voyage et de logement l’obligation incombant à l’institution nationale du fait de l’application du règlement (CEE) n° 1408/71 (articles 22 et 36) porte exclusivement sur les dépenses liées aux soins de santé. Le règlement qui n’a pas pour objet de régler les frais accessoires tels les frais de voyage et d’hébergement en dehors de l’établissement hospitalier, il ne contient aucune disposition en la matière, mais il n’interdit pas une telle prise en charge qui pourrait être réalisée dans le cadre de l’article 49 CE

Cependant l’État membre n’est tenu d’effectuer la prise en charge des frais accessoires que lorsqu’une telle obligation existe dans sa législation pour un déplacement à l’intérieur du territoire national. Elle charge la juridiction de renvoi britannique de vérifier si la législation britannique prévoit une telle prise en charge.

Selon la Cour la nature du régime ou du système de prestations dont relève le patient transfrontalier importe peu pour qualifier l’achat de services sanitaires dans un autre État membre. Cet arrêt apporte la confirmation que tous les systèmes nationaux sont concernés par la jurisprudence sur la libre prestation de services.