Arrêt du 25 avril 2024
Renvoi préjudiciel - Sécurité sociale - Règlement (CE) n° 883/2004 - Prestations familiales - Article 68 - Règles de priorité en cas de cumul de prestations - Obligation pour l'institution de l'Etat membre compétent en ordre subsidiaire de transmettre une demande de prestations familiales à l'institution de l'Etat membre prioritairement compétent - Absence de demande de prestations familiales dans l'Etat membre de résidence de l'enfant - Recouvrement partiel des prestations familiales versées dans l'Etat membre d'activité salariée de l'un des parents
L'article 68 du règlement n° 883/2004, qui fixe les règles de priorité en cas de cumul de prestations familiales, doit être interprété en ce sens que :
s'il ne permet pas à l'institution d'un Etat membre dont la législation n'est pas prioritaire selon les critères visés au paragraphe 1 de cet article de réclamer à la personne intéressée le remboursement partiel de telles prestations versées dans cet Etat, en raison de l'existence d'un droit à ces prestations prévu dans la législation d'un autre Etat membre applicable en priorité, dès lors qu'aucune prestation familiale n'a été fixée ni versée dans cet autre Etat, il permet toutefois à cette institution de réclamer auprès de l'institution prioritairement compétente le remboursement du montant des prestations qui excède celui qui lui incombe en application des dispositions du règlement.
Dans cette affaire, la juridiction allemande interroge la CJUE dans le cadre d'un litige opposant un ressortissant polonais qui exerce une activité salariée en Allemagne à une caisse d'allocations familiales nationale au sujet de sa demande de remboursement partiel des prestations versées au requérant. Son épouse vit en Pologne avec leur enfant mais n'y travaille pas selon les déclarations contestées du requérant.
Le juge national se demande si l'article 68 du règlement n° 883/2004, qui fixe les règles de priorité en cas de cumul de prestations familiales, autorise l'institution d'un Etat membre dont la législation n'est pas prioritaire de réclamer le remboursement partiel des prestations versées, en raison de l'existence d'un droit prévu par la législation d'un autre Etat membre applicable en priorité et même si aucune prestation n'a été calculée puis versée dans cet autre Etat.
Dans ce contexte, la Cour rappelle le principe de l'assimilation selon lequel une personne peut prétendre aux allocations familiales pour les membres de sa famille résidant dans un Etat membre autre que l'Etat compétent pour les verser, comme s'ils résidaient dans ce dernier Etat (article 67 du règlement n° 883/2004). Cet article vise à faciliter la perception des prestations familiales dans l'Etat d'emploi des travailleurs migrants dont la famille ne s'est pas déplacée.
Ce principe de l'assimilation n'est pas absolu. Lorsque plusieurs droits sont dus en vertu de différentes législations, les règles prévues à l'article 68 du règlement n° 883/2004 doivent s'appliquer pour éviter des cumuls injustifiés de prestations familiales. A cet égard, l'article 60 du règlement n° 987/2009 précise que l'institution d'un Etat membre saisie d'une demande d'octroi d'allocations familiales, qui estime être compétente en ordre subsidiaire, est tenue de verser les prestations prévues par sa législation en cas d'absence de prise de position par l'institution supposée compétente à titre prioritaire.
En l'espèce, le requérant a introduit une demande initiale de prestations familiales en Allemagne. Ce pays a d'abord octroyé les prestations en tant qu'Etat prioritairement compétent du fait de son activité salariée. Lors d'un contrôle ultérieur dû à une modification de la législation polonaise permettant de bénéficier de prestations famille 500+ sans conditions de revenus, l'Allemagne a considéré sa législation comme subsidiaire et transmis la demande à la Pologne qui s'est abstenue de prendre position.
La CJUE rappelle également le principe de coopération loyale et l'obligation mutuelle d'information auxquels sont soumis les institutions des Etats membres et les personnes couvertes par les règlements de coordination (article 76, paragraphe 4, du règlement n° 883/2004). Elle en déduit qu'un Etat membre peut exiger d'un autre Etat prioritaire le remboursement d'un trop-perçu d'allocations familiales versées pour un montant excédant celui dont il a finalement la charge.
Dans cette affaire, l'institution allemande, en tant que première institution saisie, doit verser les prestations prévues au titre de sa législation mais pourra réclamer par la suite auprès de l'institution polonaise compétente à titre prioritaire le remboursement du montant des prestations familiales qui excède celui lui incombant. Si la juridiction allemande estime que la déclaration du requérant selon laquelle son épouse ne travaille pas en Pologne est frauduleuse, une telle violation de l'obligation d'information ne permet pas le recouvrement des prestations, mais l'application de mesures proportionnées prévues par le droit national et respectant les principes d'équivalence et d'effectivité (article 76, paragraphe 5, du règlement n° 883/2004).