Affaire C-356/15

Commission Européenne contre Royaume de Belgique

Arrêt du 11 juillet 2018

Manquement d'État - Sécurité sociale - Règlement (CE) n° 883/2004 - Articles 11 et 12 ainsi que article 76, paragraphe 6 - Règlement (CE) n° 987/2009 - Article 5 - Détachement de travailleur - Affiliation à un régime de sécurité sociale - Lutte contre la fraude - Certificat A1 - Refus de reconnaissance par l'État membre de l'exercice de l'activité professionnelle en cas de fraude ou d'abus.

« 1) En adoptant les articles 23 et 24 de la loi-programme du 27 décembre 2012, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 11, paragraphe 1, de l'article 12, paragraphe 1, et de l'article 76, paragraphe 6, du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (UE) n° 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, ainsi que de l'article 5 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d'application du règlement no 883/2004.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens. »

Dans sa requête en manquement, la Commission Européenne demande à la Cour de Justice européenne de constater que le Royaume de Belgique, en adoptant les articles 23 et 24 de la loi-programme du 27/12/2012, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des règlements (CE) 883/2004 et 987/2009 et de la Décision A1 de la Commission Administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale. En effet, les articles 23 et 24 de cette loi permettent l'assujettissement à la législation belge d'un travailleur détaché lorsqu'un juge national, une institution publique de sécurité sociale ou un inspecteur social constate que ce travailleur n'a pas été détaché dans les conditions fixées par les règlements de coordination 883/2004 et 987/2009.

Pour justifier ce manquement, la Commission avance les arguments suivants :

De son côté, le Royaume de Belgique estime que :

La Cour de Justice européenne, après avoir validé les arguments avancés par la Commission, rappelle sa jurisprudence constante, notamment le principe de coopération loyale, énoncé dans le Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, qui impose à l'institution émettrice de procéder à une appréciation correcte des faits pertinents pour l'application des règles relatives à la détermination de la législation applicable en matière de sécurité sociale et, partant, de garantir l'exactitude des mentions figurant dans le formulaire E 101ou A1.

La Cour confirme que la procédure à suivre pour résoudre les éventuels différends portant sur la validité et l'exactitude d'un formulaire E101/A1 s'impose aux États membres et elle en rappelle les étapes :

Elle rappelle, en outre, que l'application provisoire d'une législation envisagée à l'article 6 du règlement 987/2009 ne peut être envisagée que lorsque les institutions ou les autorités de deux États membres ou plus ont des avis différents quant à la détermination de la législation applicable, ce qui n'est pas le cas si le travailleur présente un formulaire E101/A1 prouvant son affiliation dans l'État membre qui a délivré ce formulaire.

Certes, la Cour indique que l'application des règlements communautaires ne doit pas aboutir à ce que les justiciables puissent frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes de l'Union. Le principe d'interdiction de la fraude et de l'abus de droit constitue un principe général du droit de l'Union dont le respect s'impose aux justiciables.

Mais elle ajoute que si, dans le cadre du dialogue entre l'institution émettrice des formulaires E101/A1 et l'institution de l'État membre dans lequel le travailleur est détaché, la première institution s'abstient de procéder à un réexamen de l'émission des formulaires, les éléments d'abus ou de fraudes doivent pouvoir être invoqués dans le cadre d'une procédure judiciaire diligentée contre des personnes ayant eu recours aux travailleurs détachés couverts par ces formulaires, aux fins d'obtenir du juge de l'État membre dans lequel les travailleurs ont été détachés qu'il écarte les formulaires en cause.

La procédure doit offrir les garanties du droit des personnes à un procès équitable et le juge de l'Etat d'accueil doit apprécier la responsabilité des auteurs responsables de l'obtention frauduleuse du formulaire en fonction du droit national applicable.

Or, la réglementation nationale belge litigieuse ne satisfait pas à ces conditions d'une part, car elle ne prévoit aucune obligation d'entamer la procédure de dialogue et de conciliation prévue par les règlements. En outre, ladite réglementation ne se limite pas à conférer au seul juge national le pouvoir de constater l'existence d'une fraude et d'écarter, pour ce motif, un formulaire A1, mais prévoit que, en dehors de toute procédure judiciaire, les institutions de sécurité sociale belges ainsi que les inspecteurs sociaux belges décident de soumettre les travailleurs détachés à la législation belge en matière de sécurité sociale.

Enfin, la Cour ajoute que, si la procédure de coopération et de conciliation ne fonctionne pas toujours de façon satisfaisante et sans heurts dans la pratique, les États membres ne sauraient, cependant, tirer des difficultés éventuelles rencontrées pour réunir les informations requises ou des carences susceptibles de se produire dans la coopération entre leurs administrations compétentes, une justification au non-respect de leurs obligations résultant du droit de l'Union.

La Cour en conclut que les articles 23 et 24 de la loi-programme de 2012 qui autorisent les autorités compétentes belges à soumettre unilatéralement un travailleur à la législation belge s'oppose au principe de l'affiliation des travailleurs salariés à un seul régime de sécurité sociale prévu par les règlements 883/2004 et 987/2009, ainsi qu'au principe de sécurité juridique qui exige, notamment, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu'elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables. La législation belge en cause s'oppose, par ailleurs, aux procédures de coopération loyale prévues par ces mêmes règlements. La Cour condamne donc le Royaume de Belgique.

S'agissant du grief tiré d'une violation de la décision A1, La Cour estime qu'il résulte d'une jurisprudence constante qu'une telle décision, tout en étant susceptible de fournir une aide aux institutions de sécurité sociale chargées d'appliquer le droit de l'Union dans ce domaine, n'est pas de nature à obliger ces institutions à suivre certaines méthodes ou à adopter certaines interprétations lorsqu'elles procèdent à l'application des règles de l'Union. De ce fait, la décision A1 étant dépourvue de caractère normatif, il ne saurait être reproché au Royaume de Belgique d'avoir violé cette décision, par l'adoption des articles 23 et 24 de la loi-programme.