Affaire C 34/98

Commission des communautés européennes contre République Française

Arrêt du 15 février 2000

Sécurité sociale - Financement - Législation applicable - CRDS

1) "En appliquant la contribution pour le remboursement de la dette sociale aux revenus d'activité et de remplacement des travailleurs salariés et indépendants qui résident en France mais travaillent dans un autre État membre et qui, en vertu du règlement (CEE) n°1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, tel que modifié et mis à jour par le règlement (CE) n°118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, ne sont pas soumis à la législation française de sécurité sociale, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 13 dudit règlement ainsi que des articles 48 et 52 du traité CE (devenus, après modification, article 39 CE et 43 CE).

2) La République française est condamnée aux dépens."

Est en cause dans cette affaire le champ d'application du recouvrement de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) par le système français.

Sont redevables de la CRDS sur leurs revenus d'activité ou de remplacement, toutes les personnes physiques qui ont leur domicile fiscal en France aux fins de l'établissement de l'impôt sur le revenu. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France, celles qui y ont leur foyer ou le lieu de leur séjour principal, celles qui exercent une activité professionnelle et celles qui y ont le centre de leurs activités économiques. Sous réserve des conventions fiscales internationales, les revenus d'activité et de remplacement de source étrangère soumis en France à l'impôt sur le revenu sont également assujettis à la CRDS.

Par lettre en date du 6 décembre 1996, la Commission a mis en demeure le Gouvernement français de prouver la compatibilité entre le droit communautaire et l'application de la CRDS aux revenus d'activité et de remplacement des travailleurs. La Commission invoque la règle de l'unicité de législation applicable posée par l'article 13 du règlement (CEE) n° 1408/71 ; dès lors, l'application de la CRDS à des revenus ayant déjà subi des prélèvements sociaux dans l'État membre d'emploi irait selon la Commission, à l'encontre du règlement (CEE) n° 1408/71. De surcroît, la Commission considère qu'il y a une violation des droits des assurés à la liberté de circulation et à la liberté d'établissement prévues par les articles 48 et 52 du traité.

Par lettre du 3 mars 1997, les autorités françaises répondent que la CRDS qui doit être qualifiée d'impôt, ne constitue pas un prélèvement de sécurité sociale entrant dans le champ d'application du règlement (CEE) n° 1408/71. Aussi, elles estiment que la Commission fait omission des réelles caractéristiques et de l'objet de la CRDS.

La Commission a invité les autorités de la France à se conformer à son avis motivé du

23 juillet 1997 dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Elle rappelle que l'avis met en cause la perception de la CRDS sur la partie qui porte sur les revenus d'activité et de remplacement des travailleurs résidant en France et relevant du système fiscal français et qui, à l'occasion d'une activité professionnelle dans un autre État membre sont soumis au régime de sécurité sociale dudit État d'emploi, en application du règlement (CEE) n° 1408/71.

Les autorités françaises ne s'étant pas conformées à l'avis dans le délai imparti, la Commission a introduit un recours.

Le recours porte uniquement sur la perception de la CRDS. La Commission estime que la CRDS constitue un double prélèvement social contraire à l'article 13 du règlement (CEE) n° 1408/71 et aux articles 48 et 52 du traité.

Sur le premier grief :

Selon la Commission, la CRDS constitue une cotisation de sécurité sociale qui relève du champ d'application du règlement (CEE) n° 1408/71. Par conséquent, la France méconnaît la règle de l'unicité de législation posée par l'article 13 du règlement (CEE) n° 1408/71.

La France fait valoir qu'en raison de ses caractéristiques particulières, la CRDS doit être qualifiée d'impôt échappant, de ce fait, au champ d'application du règlement (CEE) n° 1408/71. Au soutien de sa thèse, elle expose que la CRDS est due en fonction du seul critère du domicile fiscal sur le territoire français sans égard ni au statut professionnel, ni au régime de sécurité sociale dont dépend l'intéressé. De surcroît, elle rappelle qu'il n'existe aucun lien entre le paiement de la CRDS et les prestations de protection sociale. Le Gouvernement français ajoute que le règlement (CEE) n° 1408/71 laisse à la libre appréciation des États contractants la définition du terme « cotisations sociales ».

Au vu de la jurisprudence de la Cour, le fait pour un travailleur de supporter les charges sociales découlant de l'application de plusieures législations nationales, alors qu'il n'est considéré comme assuré que d'un seul régime, est contraire à l'article 13 du règlement (CEE) n° 1408/71.

La Cour ne retient pas l'argument français selon lequel la CRDS doit être qualifiée d'impôt et échappe dès lors, au champ d'application du règlement (CEE) n° 1408/71. Selon elle, cette qualification n'entraîne pas systématiquement la non-application des règles communautaires.

Comme l'a relevé l'avocat général, la Cour note que la CRDS a pour objet spécifique et direct d'apurer les déficits du régime général de sécurité sociale français.

Certes, le produit de la CRDS est versé à la CADES (caisse d'amortissement de la dette sociale), établissement public et non pas directement aux organismes de sécurité sociale et son prélèvement, pour les travailleurs visés dans cet arrêt, est effectué par voie de rôle comme pour l'impôt sur le revenu et non pas directement pas les organismes compétents en matière de recouvrement de cotisations sociales. Cependant, selon la Cour, ces deux éléments ne sont pas de nature à remettre en cause le fait que la CRDS est affectée de manière spécifique et directe au financement du régime de protection sociale français et relève par conséquent du champ d'application du règlement (CEE) n° 1408/71.

La Cour ajoute que le critère déterminant quant à l'application de l'article 13 du règlement (CEE) n° 1408/71 est celui de l'affectation spécifique d'une contribution au financement d'un régime de sécurité sociale d'un État membre. L'existence d'absence de contreparties en matière de prestations ne remet pas en cause l'application de cette disposition. De plus, l'objet de la CRDS ne saurait entraîner son exclusion du champ d'application du règlement (CEE) n° 1408/71.

Aussi, la Cour conclut que la Commission est fondée sur le premier grief.

Sur le second grief

La Commission relève que les contribuables résidant en France et relevant du régime français de protection sociale, ainsi que les contribuables résidant en France mais travaillant sur le territoire d'un autre État membre, sont tenus indifféremment de contribuer au financement du régime de sécurité sociale. La Commission soutient qu'en ne prenant pas en considération cette différence, la France a violé le principe d'égalité de traitement.

Le Gouvernement français se basant sur le fait que la CRDS fait partie intégrante du système fiscal français, estime qu'aucune différence ne doit être effectuée entre les deux catégories de contribuables. L'assujettissement à la CRDS est fonction de la résidence. De plus, la CRDS entre dans le champ d'application des conventions fiscales visant à éviter les doubles impositions. Enfin, la France rappelle que le taux appliqué à la CRDS est très faible.

La Cour considère que la législation française va à l'encontre du principe posé à l'article 13 du règlement (CEE) n° 1408/71 dans la mesure où le travailleur résidant en France et exerçant son activité professionnelle sur le territoire d'un autre État membre doit financer d'une part, le régime de protection sociale de l'État d'emploi et d'autre part, celui du pays de résidence, en l'espèce la France. Selon la Cour, le régime de la CRDS étant à l'origine d'une inégalité de traitement contraire à l'article 13 du règlement (CEE) n° 1408/71, il méconnaît dans la même mesure les articles 48 et 50 du traité. L'inégalité de traitement en cause constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs. La Cour ajoute que même si l'entrave à la liberté de circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est d'importance minime, comme le relève la France, cette entrave à cette liberté fondamentale ne peut être tolérée.

Sur le second grief, la Commission est fondée.