Affaire C 333/13

Elisabeta Dano, Florin Dano contre Jobcenter Leipzig

Arrêt du 11 novembre 2014

Renvoi préjudiciel - Libre circulation des personnes - Citoyenneté de l'Union - Égalité de traitement - Ressortissants d'un État membre sans activité économique séjournant sur le territoire d'un autre État membre - Exclusion de ces personnes des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif en vertu du règlement (CE) no 883/2004 - Directive 2004/38/CE - Droit de séjour de plus de trois mois - Articles 7, paragraphe 1, sous b), et 24 - Condition de ressources suffisantes

"1) Le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (UE) no 1244/2010 de la Commission, du 9 décembre 2010, doit être interprété en ce sens que les «prestations spéciales en espèces à caractère non contributif» au sens des articles 3, paragraphe 3, et 70 de ce règlement relèvent du champ d'application de l'article 4 dudit règlement.

2) L'article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, lu en combinaison avec l'article 7, paragraphe 1, sous b), de celle ci, ainsi que l'article 4 du règlement no 883/2004, tel que modifié par le règlement no 1244/2010, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à la réglementation d'un État membre en vertu de laquelle des ressortissants d'autres États membres sont exclus du bénéfice de certaines «prestations spéciales en espèces à caractère non contributif» au sens de l'article 70, paragraphe 2, du règlement no 883/2004, alors que ces prestations sont garanties aux ressortissants de l'État membre d'accueil qui se trouvent dans la même situation, dans la mesure où ces ressortissants d'autres États membres ne bénéficient pas d'un droit de séjour en vertu de la directive 2004/38 dans l'État membre d'accueil.

3) La Cour de justice de l'Union européenne n'est pas compétente pour répondre à la quatrième question. "

Ce litige oppose Mme Dano et son fils, ressortissants roumains, au Jobcenter Leipzig (Allemagne) au sujet du refus de ce dernier de leur octroyer des allocations. Il s'agit des prestations de l'assurance de base («Grundsicherung») telles la prestation de subsistance («existenzsichernde Regelleistung»), l'allocation sociale («Sozialgeld»), ainsi que la participation aux frais d'hébergement et de chauffage, à compter du 25 janvier 2012 (une demande d'allocations lui avait été refusée en 2011 mais elle ne l'avait pas contestée, la décision avait alors acquis un caractère définitif).

Mme Dano détient une attestation de séjour à durée illimitée destinée aux ressortissants de l'Union depuis juillet 2011. Elle vit avec son fils chez sa sœur, qui pourvoit à leur alimentation. Elle perçoit, pour son fils, des prestations pour enfant à charge («Kindergeld») d'un montant de 184 euros par mois ainsi qu'une avance sur pension alimentaire d'un montant de 133 euros par mois.

L'octroi de prestations d'assurance de base leur est refusé. Mme Dano et son fils forment un recours mais la décision initiale est confirmée. En appel, la juridiction « exprime des doutes quant à savoir si les dispositions du droit de l'Union, notamment l'article 4 du règlement no 883/2004, le principe général de non-discrimination résultant de l'article 18 TFUE et le droit de séjour général résultant de l'article 20 TFUE, s'opposent auxdites dispositions du droit allemand ».

Décidant de surseoir à statuer, la juridiction de renvoi demande à la Cour de justice de l'Union européenne si le champ d'application de l'article 4 du règlement n°883/2004 vise les prestations spéciales à caractère non contributif ainsi que sur les capacités reconnues aux Etats membres pour légiférer en la matière tout en respectant le droit de l'Union.

La Cour de justice de l'Union européenne constate que « le règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que les «prestations spéciales en espèces à caractère non contributif» au sens des articles 3, paragraphe 3, et 70 de ce règlement relèvent du champ d'application de l'article 4 dudit règlement ».

Ensuite, expliquant l'étendue du principe de non-discrimination au sein de l'Union européenne, la juridiction européenne relève que « alors que l'article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38 et l'article 4 du règlement no 883/2004 rappellent l'interdiction de discrimination fondée sur la nationalité, l'article 24, paragraphe 2, de ladite directive comporte une dérogation au principe de non-discrimination. En vertu de cette dernière disposition, l'État membre d'accueil n'est pas obligé d'accorder le droit à une prestation d'assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour ou, le cas échéant, pendant la période de recherche d'emploi, visée à l'article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2004/38, qui se prolonge au-delà de cette première période, ni tenu, avant l'acquisition du droit de séjour permanent, d'octroyer des aides d'entretien aux études à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut et les membres de leur famille ».

Ainsi, la juridiction européenne considère que « Mme Dano réside en Allemagne depuis plus de trois mois, qu'elle n'est pas à la recherche d'un emploi et qu'elle n'est pas entrée sur le territoire de cet État membre pour y travailler de sorte qu'elle ne relève pas du champ d'application personnel de l'article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 ».

Or, « un citoyen de l'Union, pour ce qui concerne l'accès à des prestations sociales, telles que celles en cause au principal, ne peut réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l'État membre d'accueil que si son séjour sur le territoire de l'État membre d'accueil respecte les conditions de la directive 2004/38 ».

Au terme d'une analyse des dispositions litigieuses, la Cour de justice de l'Union européenne constate que « l'article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 cherche à empêcher que les citoyens de l'Union économiquement inactifs utilisent le système de protection sociale de l'État membre d'accueil pour financer leurs moyens d'existence ».

Enfin, quant à savoir si les articles 1er, 20 et 51 de la Charte autorisent les Etats à légiférer de manière discriminatoire de nature à rendre possible ou pas un séjour permanent, la Cour de justice de l'Union européenne se déclare incompétente pour trancher la question.