Affaire C 311/01

Commission des Communautés européennes contre Royaume des Pays-Bas

Arrêt du 6 novembre 2003

Manquement d'État - Sécurité sociale - Règlement (CEE) n° 1408/71, articles 69 et 71 - Prestations de chômage - Travailleurs frontaliers - Maintien du droit aux prestations en cas de recherche d'un emploi dans un autre État membre

1. « En déniant aux travailleurs frontaliers en chômage complet la faculté de faire usage de la possibilité prévue à l'article 69 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, de se rendre, aux conditions énoncées dans cette disposition, dans un ou plusieurs États membres pour y chercher un emploi tout en conservant leur droit aux prestations de chômage, le Royaume des Pays Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 69 et 71 dudit règlement.

2. Le Royaume des Pays Bas est condamné aux dépens ».

Monsieur Lorenz, travailleur frontalier exerçant une activité en Allemagne et résidant aux Pays Bas, en chômage complet a bénéficié des prestations de chômage du régime néerlandais, pays de sa résidence, conformément à l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement (CEE) n° 1408/71.

Envisageant de se rendre en France pour y chercher un emploi, il a demandé à l'institution néerlandaise d'assurance chômage s'il pouvait bénéficier des dispositions de l'article 69 du règlement (CEE) n° 1408/71 et être autorisé à transférer sa résidence en France pour y chercher un emploi. L'organisme néerlandais a opposé un refus à la demande de l'intéressé, au motif qu'en sa qualité de travailleur frontalier, il ne pouvait pas bénéficier des dispositions relatives au transfert de résidence pour chercher un emploi.

L'intéressé a déposé une plainte devant la Commission et le ministère néerlandais a indiqué qu'il partageait la position de l'institution d'assurance chômage. La Commission a donc ouvert une procédure d'infraction contre les autorités néerlandaises qui ont indiqué qu'elles contestaient les griefs formulés par la Commission. Le Gouvernement néerlandais ayant maintenu sa position après l'avis motivé émis par la Commission, cette dernière a décidé d'introduire un recours en manquement.

La Cour de justice des Communautés européennes indique que l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement (CEE) n° 1408/71 prévoit que le travailleur frontalier en chômage complet bénéficie des prestations selon les dispositions de la législation de l'État de sa résidence. Elle en déduit que l'institution compétente pour le service des prestations de chômage est celle de l'État de résidence. Cette disposition prise pour des raisons pratiques et d'efficacité, déroge à la règle générale de rattachement à la législation du dernier lieu d'emploi.

Le Gouvernement néerlandais faisait valoir que l'État de résidence ne devrait pas être l'État compétent en cas de transfert de résidence pour chercher un emploi. Les droits du chômeur trouvent leur source dans la législation du dernier emploi. A cette argumentation, la Cour réplique que la législation de l'État membre de résidence s'applique au chômeur complet en raison d'une fiction juridique, selon laquelle aux fins d'application de la législation de l'État de résidence, le travailleur doit être considéré comme ayant été soumis à cette législation au cours de son dernier emploi. Cette fiction pour la Cour n'est pas de nature à remettre en cause le fait que l'intéressé relève de la seule compétence de l'État de résidence.

Par ailleurs, les obligations du dernier État d'emploi se trouvent suspendues et non éteintes, aussi longtemps que le chômeur réside sur le territoire de l'autre État membre. Ces obligations seraient reprises dans le cas où le chômeur viendrait à établir sa résidence sur le territoire du dernier lieu de travail. La Cour indique que l'élément déterminant pour l'application de l'article 71, du règlement (CEE) n° 1408/71 est la résidence du travailleur dans l'État autre que l'État d'emploi. C'est donc l'État de résidence qui est l'État compétent et c'est cet État qui est le seul en mesure de maintenir les prestations de chômage, lorsque le chômeur se rend sur le territoire d'un autre État pour y chercher un emploi.

Sur l'application de l'article 69 au travailleur frontalier, la Cour rappelle que l'article 71 vise tout simplement à assimiler la situation du travailleur frontalier à celle des travailleurs qui ont exercé leur dernier emploi dans l'État de résidence.

Par ailleurs, rien dans l'article 69 n'indique que le législateur a entendu exclure les travailleurs frontaliers du bénéfice de cet article.

La Cour rappelle que l'article 69 a pour but de favoriser la mobilité des demandeurs d'emploi et ainsi contribuer à assurer la libre circulation des travailleurs, conformément à l'article 42 du traité.

De ce fait, une interprétation de l'article 69 qui aurait pour résultat d'exclure les travailleurs frontaliers en chômage complet du bénéfice de cet article, défavoriserait cette catégorie de travailleurs par rapport aux autres travailleurs et cela ne serait pas conforme à la libre circulation des travailleurs. C'est ainsi que les travailleurs frontaliers se trouveraient non seulement découragés d'aller chercher un emploi sur le territoire communautaire, mais en plus ils seraient pénalisés pour avoir exercé leur droit à la libre circulation, dans la mesure ils ne pourraient pas se prévaloir de l'article 69.

Sur les arguments du Gouvernement néerlandais relatifs au considérant du règlement qui se réfère à l'exportation des prestations prévues par la législation de l'État membre à laquelle le chômeur a été soumis en dernier lieu et qui implique donc de ce fait d'après lui que l'article 69 ne peut pas concerner le travailleur frontalier et sur les dispositions de l'article 70 lui-même, qui fait référence pour le remboursement des prestations servies dans le cadre de l'article 69 à l'institution de l'État membre à la législation duquel le travailleur a relevé au cour de son dernier emploi, la Cour oppose les arguments suivants :

- sur la précision figurant dans le considérant selon lequel les prestations qui sont maintenues sont celles prévues par la législation de l'État à laquelle le travailleur a été soumis en dernier lieu, elle indique que cette observation ne vise pas obligatoirement la législation de l'État du dernier emploi, mais plutôt la législation en vertu de laquelle les prestations de chômage sont dues.

- Sur les dispositions de l'article 70, la Cour précise que pour des frontaliers en chômage complet, la législation de l'État de résidence doit être considérée comme la législation compétente pour procéder au remboursement des prestations versées dans le cadre de l'article 69.