Affaire C 302/98

Manfred Sehrer contre Bundesknappschaft

Arrêt du 15 juin 2000

Libre circulation des travailleurs - Sécurité sociale - Cotisations d'assurance maladie perçues par un État membre sur les retraites complémentaires d'origine conventionnelle versées dans un autre État membre - Base de calcul des cotisations - Prise en compte dans l'assiette des cotisations déjà retenues dans cet autre État membre

"L'article 48 du traité CE (devenu après modification, article 39 CE) s'oppose à ce qu'un État membre calcule les cotisations d'assurance maladie d'un travailleur retraité soumis à sa législation sur la base du montant brut de la pension de retraite complémentaire d'origine conventionnelle que ce travailleur perçoit dans un autre État membre, sans tenir compte de la circonstance qu'une partie du montant brut de cette pension a déjà été retenue à titre de cotisations d'assurance maladie dans ce dernier État. "

Ce litige oppose Monsieur Sehrer à la Bundesknappschaft (Caisse fédérale de prévoyance des mineurs) qui exige le versement de cotisations d'assurance maladie au titre de la pension complémentaire française perçue par l'intéressé. Cette retraite fait déjà l'objet en France d'un précompte de cotisation au taux de 2,4 %.

Monsieur Sehrer, ancien mineur de nationalité allemande a travaillé en qualité de mineur en Allemagne et en France. Il perçoit une pension légale du régime allemand et une retraite complémentaire de la corporation des mineurs et de la métallurgie. Au titre de son activité dans les mines en France, il perçoit une retraite complémentaire versée par la caisse de retraites complémentaires des ouvriers mineurs (CARCOM). Ce dernier avantage fait l'objet d'une cotisation au taux de 2,40 %, au titre du régime français d'assurance maladie, qui ne lui ouvre pas de droit à prestations. La caisse maladie allemande, lorsqu'elle a appris l'existence de la retraite complémentaire française, a exigé le paiement de cotisations sur le montant brut de cet avantage.

Le tribunal allemand saisi de cette affaire s'interroge sur la compatibilité, avec le droit communautaire, d'un système selon lequel un retraité est soumis, sur un même avantage, à une double cotisation maladie de la part de deux législations différentes.

La Commission et le Gouvernement allemand estimaient qu'avant d'examiner la question posée par le tribunal allemand, il convenait de s'interroger sur la conformité avec le droit communautaire de la cotisation précomptée sur la pension complémentaire française. En effet, Monsieur Sehrer dispose d'une couverture maladie en Allemagne et la cotisation française ne lui confère aucun droit supplémentaire à ceux dont il dispose déjà au regard du régime allemand. Cette cotisation est contraire à l'article 48 du traité.

Toutefois, la Cour indique qu'elle doit s'en tenir à la question posée qui porte sur la conformité, par rapport au droit communautaire, du précompte de cotisation opéré par l'institution allemande, sur le montant brut d'une pension déjà soumise à une cotisation d'assurance maladie dans un autre État. Elle précise que dans la question, il n'est pas fait référence à la compatibilité avec le droit communautaire d'une cotisation maladie qui n'ouvre aucun droit à prestation.

De plus, la juridiction allemande avait précisé que l'intéressé préférait mettre en cause la cotisation allemande dont le montant était plus élevée que celui de la cotisation française. La Cour précise que c'est au juge national qu'incombe la responsabilité de la question posée et c'est pour cette raison qu'elle se limite à la question posée par la juridiction allemande et ne se prononce pas sur la conformité du précompte français qui n'ouvre aucun droit à prestation.

La Cour de justice observe que l'intéressé étant titulaire d'une pension de l'État sur le territoire duquel il réside, il est soumis à ce titre à la législation allemande. Par ailleurs, la pension complémentaire française repose sur une convention entre partenaires sociaux, qui n'a pas fait l'objet d'une déclaration de l'État français conformément à l'article 1er, sous j)1, de ce fait la pension complémentaire n'étant pas visée dans le champ d'application du règlement communautaire, l'intéressé doit être considéré comme étant titulaire d'une seule pension, sa pension allemande. Les dispositions du règlement relatives aux soins de santé aux pensionnés ne sont pas applicables en l'espèce et la cotisation imposée par l'institution allemande relève de la seule législation allemande.

Bien que d'après la Cour seule la législation allemande soit en cause, elle précise que pour l'application de leur législation les autorités allemandes doivent respecter le droit à la libre circulation prévu par le traité.

Certes, Monsieur Sehrer est de nationalité allemande et il convient d'appliquer la législation allemande, mais l'intéressé est en droit de demander l'application des règles relatives à la libre circulation dans la mesure où il a fait usage de ce droit en allant exercer une activité professionnelle dans un autre État membre.

La Cour indique que le droit communautaire s'oppose aux mesures qui pourraient défavoriser le travailleur qui souhaite exercer une activité professionnelle sur le territoire d'un autre État membre. Toute mesure susceptible d'empêcher un ressortissant d'un État membre de quitter son pays d'origine pour aller exercer une activité dans un autre État constitue une entrave à la libre circulation, même si ces mesures s'appliquent indépendamment de la nationalité de l'intéressé.

Elle observe que la mesure allemande s'applique aussi bien aux ressortissants allemands qu'aux ressortissants des autres États, mais l'éventualité qu'une pension complémentaire servie à un travailleur qui a toujours exercé son activité en Allemagne, soit soumise à un double prélèvement est peu probable. Par contre, ce risque est réel pour une personne qui a également exercé son activité en dehors du territoire allemand et qui perçoit une pension complémentaire d'un autre État membre.

Elle conclut que la législation allemande est contraire à l'article 48 du traité CE (devenu après modification, article 39 CE).

Il convient de préciser que du côté français, lorsque le retraité réside sur le territoire d'un État membre et que la couverture maladie de l'intéressé n'est pas à la charge d'un régime français depuis les instructions du 17 juillet 2001 (circulaire DSS/DACI n° 349/2001) et celles du 31 mai 2002 (circulaire DSS/DACI n° 323/2002) le précompte n'est plus opéré sur les avantages servis au titre d'un régime complémentaire d'origine légale et conventionnelle pour la première circulaire et sur les avantages servis par les régimes supplémentaires d'entreprises pour la deuxième. Les cotisations indûment prélevées ont été remboursées depuis le 1er janvier 1998, date de modification de l'article L. 131.7.1 du Code de la sécurité sociale qui introduit des taux particuliers de cotisations maladie pour les retraités qui ne résident pas en France, mais qui relèvent à titre obligatoire d'un régime français d'assurance maladie.


1 - Les faits dans cette affaire sont antérieurs à la déclaration de l'État français du 29 mars 1999 qui a notifié au Conseil l'application du règlement européen aux régimes de retraites complémentaires conventionnels français. Application qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2000.