Affaire C-3/21

FS contre The Chief Appeals Officer e.a.

Arrêt du 29 septembre 2022

Renvoi préjudiciel - Sécurité sociale des travailleurs migrants - Règlement (CE) n° 883/2004 - Coordination des systèmes de sécurité sociale - Prestations familiales - Paiement rétroactif - Déménagement du bénéficiaire dans un autre Etat membre - Article 81 - Notion de "demande" - Article 76, paragraphe 4 - Obligation mutuelle d'information et de coopération - Non-respect - Délai de prescription de 12 mois - Principe d'effectivité

  1. L'article 81 du règlement (CE) n° 883/2004 doit être interprété en ce sens que la notion de "demande", au sens de cet article, vise uniquement la demande introduite, par une personne ayant fait usage de son droit à la libre circulation, auprès des autorités d'un Etat membre qui n'est pas compétent en vertu des règles de conflit prévues par ce règlement. Dès lors, cette notion n'inclut ni la demande initiale introduite en application de la législation d'un Etat membre par une personne n'ayant pas encore fait usage de son droit à la libre circulation, ni le versement périodique, par les autorités de cet Etat membre, d'une prestation normalement due, au moment de ce versement, par un autre Etat membre.
  2. Le droit de l'Union, et plus particulièrement le principe d'effectivité, ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation nationale qui soumet l'effet rétroactif d'une demande d'allocations familiales à un délai de prescription de 12 mois, dès lors que ce délai ne rend pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice, par les travailleurs migrants concernés, des droits conférés par le règlement (CE) n° 883/2004.

I. Faits et procédure

Dans cette affaire, la juridiction irlandaise interroge la CJUE dans le cadre d'un litige opposant FS, ressortissante roumaine ayant déménagé avec son enfant en Irlande, à l'office des recours en matière de protection sociale, au sujet du refus de paiement rétroactif d'allocations familiales. Avant son transfert de domicile en Irlande en 2016 pour rejoindre son époux y travaillant, FS avait demandé le bénéfice de prestations familiales roumaines et les percevait. En janvier 2018, sa demande de paiement rétroactif d'allocations familiales irlandaises a été rejetée, car introduite plus de 12 mois après son installation en Irlande sans justification (sa demande a en revanche été acceptée à compter de février 2018 et le versement des prestations familiales roumaines a cessé).

Le juge national s'interroge sur la notion de demande au sens de l'article 81 du règlement (CE) n° 883/2004. Il questionne aussi la conformité de la réglementation irlandaise (qui subordonne l'effet rétroactif d'une demande d'allocations familiales à un délai de prescription de 12 mois) au droit de l'Union et notamment au principe d'effectivité.

II. Réponse de la Cour

Dans ce contexte, la Cour précise que l'article 81 du règlement (CE) n° 883/2004 s'applique lorsqu'une demande de prestations familiales est introduite par un travailleur migrant auprès des autorités d'un Etat membre qui n'est pas compétent conformément aux règles de conflit prévues par ce règlement. Dans ce cas, la demande est transmise à l'autorité compétente et a les mêmes effets juridiques que si elle lui avait été directement présentée. Cette disposition vise à  faciliter la circulation des travailleurs migrants en simplifiant leurs démarches administratives et à éviter qu'ils soient privés de leurs droits pour des raisons de pur formalisme.

En revanche, lorsqu'une demande d'allocations familiales est introduite auprès des autorités d'un Etat membre sur la base du seul droit national et que la situation du bénéficiaire se cantonne à l'intérieur de cet Etat, cette demande ne relève pas du champ d'application du règlement (CE) n° 883/2004 et ne constitue donc pas une demande au sens de l'article 81 de ce règlement. En l'espèce, au moment de l'introduction de sa demande initiale de prestations familiales en Roumanie, la situation de FS ne présentait aucun élément d'extranéité et les autorités roumaines étaient seules compétentes. A partir de son transfert de domicile en Irlande, FS relève du champ d'application personnel du règlement (CE) n° 883/2004.

Toutefois, la CJUE estime que le système de transmission des demandes instauré par l'article 81 du règlement (CE) n° 883/2004 est subordonné au respect, par les institutions et personnes concernées, de leur obligation mutuelle d'information et de coopération (article 76, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 883/2004). Ces personnes sont tenues d'informer dans les meilleurs délais les institutions des Etats compétent et de résidence de tout changement dans leur situation personnelle ou familiale ayant une incidence sur leurs droits aux prestations. Dans cette affaire, en l'absence de toute démarche administrative de FS pour signaler son déménagement en Irlande, le fait de continuer à percevoir une prestation périodique des autorités roumaines n'est pas assimilé à une demande au sens de l'article 81 à transmettre aux autorités irlandaises.

La Cour rappelle enfin que le manquement à l'obligation d'information prévue à l'article 76 du règlement (CE) n° 883/2004 entraîne l'application de mesures proportionnées conformément au droit national, qui doivent notamment ne pas rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par ce règlement (principe d'effectivité). Or, la fixation de délais raisonnables de forclusion satisfait à l'exigence d'effectivité, en application du principe fondamental de la sécurité juridique, qui protège l'intéressé et l'administration concernée. La réglementation irlandaise est donc conforme au principe d'effectivité du droit de l'Union.