Affaire C 290/00

Johann Franz Duchon et Pensionsversicherungsanstalt der Angestellten

Arrêt du 18 avril 2002

Libre circulation - Accident du travail survenu dans un État membre avant l'entrée en vigueur du Règlement dans l'État membre d'origine - Prolongation de la période de référence - Incapacité de travail - Règlement (CEE) n° 1408/71, article 9 bis - Invalidité - Exclusion expresse des périodes de perception de rentes accident du travail

1. « La situation d'une personne, ressortissante d'un État membre, qui, avant l'adhésion de celui-ci à l'Union européenne, a exercé une activité salariée dans un autre État membre où elle a été victime d'un accident du travail et qui, après l'adhésion de son État d'origine, demande aux autorités de ce dernier le bénéfice d'une pension pour incapacité de travail à la suite de cet accident, relève du champ d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil du 2 décembre 1996.

2. L'article 94, paragraphe 3, du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97, lu en combinaison avec l'article 48, paragraphe 2, du Traité CE (devenu, après modification, article 39, paragraphe 2, CE) doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une disposition nationale, telle que celle de l'article 235, paragraphe 3, sous a), de l'Allgemeines Sozialversicherungsgesetz, qui ne prévoit d'exception à l'exigence d'un délai de carence comme condition d'ouverture du droit à pension pour incapacité de travail, lorsque celle-ci est la conséquence d'un accident de travail - survenu, en l'occurrence, avant la date d'entrée en vigueur dudit règlement dans l'État membre concerné - que si la victime était à l'époque de l'accident assurée obligatoirement ou à titre volontaire sous la législation de cet État, à l'exclusion de la législation de tout autre État membre.

3. Les articles 48, paragraphe 2, et 51 du traité CE (devenus, après modification, articles 39, paragraphe 2, CE et 42 CE) doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une disposition telle que l'article 234, paragraphe 1, point 2, sous b), de l'Allgemeines Sozialversicherungsgesetz, lue en combinaison avec l'article 236, paragraphe 3, de cette même loi, qui ne prend en considération, aux fins de la prorogation de la période de référence au cours de laquelle doit avoir été accompli le délai de carence pour l'ouverture d'un droit à pension, que les périodes au cours desquelles l'assuré a perçu une pension d'invalidité au titre d'un régime national d'assurance contre les accidents, sans prévoir la possibilité de prorogation de ladite période lorsqu'une telle prestation a été servie au titre de la législation d'un autre État membre.

4. L'article 9 bis du règlement (CEE) n° 1408/71, dans sa version codifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97, qui est incompatible avec les articles 48, paragraphe 2, et 51 du traité CE dans la mesure où il exclut la possibilité de prendre en compte, aux fins de la prorogation de la période de référence sous la législation d'un État membre, les périodes au cours desquelles des rentes d'accident du travail ont été servies au titre de la législation d'un autre État membre, est déclaré invalide ».

Monsieur Duchon, né le 18 janvier 1949, de nationalité autrichienne, a été victime d'un accident du travail le 8 septembre 1968, alors qu'il effectuait un stage en Allemagne. Depuis cette date il perçoit une rente du régime allemand correspondant à une incapacité de travail de 50 %.

Le 1er janvier 1994, date de l'application du règlement aux institutions autrichiennes, l'intéressé a formulé auprès de l'institution d'assurance pension autrichienne une demande de pension pour incapacité qui a été rejetée au motif que le requérant n'avait pas accompli le délai de carence prévu par la législation autrichienne.

Monsieur Duchon ayant formé un recours, la juridiction autrichienne demande tout d'abord si compte tenu de l'article 94, du règlement (CEE) n° 1408/71, ledit règlement s'applique à des faits qui se sont produits avant d'adhésion de l'Autriche à l'Espace économique européen, puis à l'Union européenne .

La Cour de justice des Communautés européennes rappelle que le principe de sécurité juridique s'oppose, sauf dérogation expresse, à ce qu'un texte soit appliqué rétroactivement, quels que soient les effets (favorables ou défavorables) que pourrait avoir une telle application sur l'individu.

Elle précise que le paragraphe 2, de l'article 94 du règlement prévoit qu'un État ne peut pas refuser de prendre en compte des périodes d'assurance accomplies sur le territoire d'un autre État membre en vue de la constitution d'une pension, au motif que les périodes en cause ont été accomplies avant l'entrée en vigueur du règlement à son égard.

Elle conclut que le paragraphe 3 dudit article prévoit quant à lui, la prise en compte de toute éventualité survenue antérieurement à l'entrée en vigueur du règlement sur l'État membre concerné.

Elle ajoute qu'il ne fait aucun doute qu'un accident du travail qui s'est produit sur le territoire d'un État membre avant l'entrée en vigueur du règlement à l'État membre concerné constitue une "éventualité" au sens de l'article précité.

Dans sa deuxième question, le tribunal autrichien demandait si la disposition de la législation autrichienne qui ne prévoit une exception à l'exigence d'un délai de carence pour ouvrir droit à pension pour incapacité de travail, lorsque celle-ci est la conséquence d'un accident du travail survenu avant l'entrée en vigueur du règlement, que lorsque l'intéressé était assuré à titre obligatoire ou volontaire du régime autrichien a moment des faits, n'est pas contraire aux dispositions du traité relatives à la libre circulation et à celles du règlement (CEE) n° 1408/71.

La Cour indique que la liquidation d'un droit à pension pour une incapacité de travail qui a pour origine un accident du travail survenu antérieurement à la date d'entrée en vigueur du règlement pour l'État membre concerné, doit être effectué par les autorités autrichiennes conformément au droit communautaire et plus particulièrement à celles relatives à la libre circulation des travailleurs.

Elle précise que l'activité de Monsieur Duchon en Allemagne avant l'application du règlement à l'Autriche ne peut pas faire obstacle à l'application de l'article 94, paragraphe 3 du règlement.

Elle ajoute que l'article 94, paragraphe 3, lu en liaison avec l'article 48, paragraphe 2 du traité s'oppose à la disposition de la législation autrichienne qui ne prévoit d'exception à l'exigence du délai de carence comme condition d'ouverture du droit à prestation lorsque l'incapacité résulte d'un accident du travail, qu'en cas de soumission au régime autrichien de sécurité sociale, à titre obligatoire ou volontaire.

La juridiction autrichienne posait une dernière question, elle s'interrogeait sur la validité de l'article 9 bis du règlement (CEE) n° 1408/71 avec les articles 48, paragraphe 2 et 51 du traité dans la mesure où il exclut expressément la possibilité de prendre en compte aux fins de la prolongation de la période de référence sous la législation d'un État membre, les périodes au cours desquelles des rentes d'accident du travail ont été servies au titre de la législation d'un autre État membre.

La Cour observe que cette disposition de la législation autrichienne qui s'applique indifféremment, sans condition de nationalité, est susceptible de porter préjudice de manière beaucoup plus importante aux travailleurs migrants notamment en matière d'invalidité, car les intéressés ont tendance à revenir dans leur pays d'origine.

Elle déduit que la disposition en cause qui permet dans certaines conditions la prolongation de la période de référence, sans cependant prévoir la possibilité de prorogation lorsque des faits ou circonstances correspondant à ceux qui permettent la prolongation surviennent dans un autre État membre, est contraire aux articles 48, paragraphe 2, et 51 du traité. De même, l'article 9 bis du règlement qui exclut expressément la possibilité de prendre en compte, aux fins de la prolongation de la période de référence dans un État membre, les périodes au cours desquelles des rentes accidents du travail ont été servies au titre de la législation d'un autre État membre est invalide.

A l'argument du Gouvernement autrichien qui faisait valoir que l'accident du travail était survenu avant l'accord sur l'Espace économique européen et que les dispositions transitoires de l'article 94 du règlement (CEE) n° 1408/71 ne contenaient pas de règle d'assimilation comparable à celle de l'article 9 bis garantissant la prolongation de la période de référence, la Cour répond qu'il s'agit dans le cas d'espèce de l'ouverture d'un droit à pension pour une période antérieure à l'entrée en vigueur de l'accord Espace économique européen pour l'Autriche, l'ouverture du droit prenant effet au 1er janvier 1998.

Elle ajoute que l'acte relatif aux conditions d'adhésion de l'Autriche, la Finlande et la Suède à l'Union européenne ne contient aucune disposition transitoire en rapport avec l'application de l'article 48 du Traité. Cet article doit donc être considéré comme directement applicable à l'Autriche depuis le 1er janvier 1995.

Certes, l'article 94 du règlement (CEE) n° 1408/71 ne contient pas de dispositions expresses sur la possibilité de prise en compte aux fins de l'ouverture d'un droit à prestations au regard de la législation d'un État membre, des périodes d'assurance accomplies dans un autre État avant l'entrée en vigueur du règlement sur le territoire du premier État, mais les intéressés peuvent invoquer les dispositions de l'article.