Arrêt du 7 avril 2016
Renvoi préjudiciel - Articles 45 TFUE et 48 TFUE - Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - Article 15, paragraphe 2 - Règlement (CEE) no 1408/71 - Article 67, paragraphe 3 - Sécurité sociale - Allocation de chômage destinée à compléter les revenus d'un emploi à temps partiel - Octroi de cette prestation - Accomplissement de périodes d'emploi - Totalisation des périodes d'assurance ou d'emploi - Prise en compte de périodes d'assurance ou d'emploi accomplies sous la législation d'un autre État membre
« 1) L'article 67, paragraphe 3, du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) no 592/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'un État membre refuse la totalisation des périodes d'emploi nécessaire à l'admissibilité au bénéfice d'une allocation de chômage destinée à compléter les revenus d'un emploi à temps partiel, lorsque l'occupation dans cet emploi n'a été précédée d'aucune période d'assurance ou d'emploi dans cet État membre.
2) L'examen de la seconde question posée n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l'article 67, paragraphe 3, du règlement no 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement no 118/97, tel que modifié par le règlement no 592/2008. »
Cette affaire concerne deux litiges joints, relatifs au paiement de l'allocation de chômage et de l'allocation de garantie de revenus en Belgique. Dans le premier, l'Office national de l'emploi belge (ONEm) est opposé à M. M., et dans le second, M. M. est opposé à l'ONEm et à la Caisse auxiliaire de paiement des allocations de chômage (CAPAC).
M.M. est un musicien tchèque qui, après avoir travaillé en République tchèque jusqu'au 27 avril 2008, emménage en Belgique. Il demande une allocation chômage à l'ONEm, dans son nouvel Etat de résidence, mais aucune suite n'est donnée à cette demande.
A compter du 9 septembre 2008, M.M. exerce les fonctions de professeur de violon et guitare à temps partiel (2h30 par semaine). Il sollicite alors auprès de l'ONEm une allocation de garantie de revenus, qui lui est refusée au motif suivant : « faute d'avoir été suivies de prestations de travail en Belgique, les prestations de travail accomplies en République tchèque ne pouvaient être prises en compte ».
Le travail à temps partiel de M.M. ayant cessé le 24 juin 2009, ce dernier sollicite une allocation chômage, auprès de l'ONEm, qui lui est refusée « au motif que l'octroi du bénéfice des allocations de chômage à un travailleur à temps partiel ayant cessé toute activité exigeait que le volume horaire hebdomadaire travaillé des emplois précédemment occupés ait été égal ou supérieur à 12 heures ».
A compter du 7 septembre 2009, M.M. reprend un travail à temps partiel et demande à nouveau une allocation de garantie des revenus, qui lui est refusée.
M.M. a contesté les décisions de l'ONEm devant le tribunal du travail de Bruxelles, qui a donné droit partiellement à ses demandes. Les deux parties ont fait appel de sorte que le conflit a été porté devant la cour du travail de Bruxelles.
La cour du travail de Bruxelles a décidé d'adresser à la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 67 paragraphe 3 du règlement n°1408/71 ainsi qu'à sa compatibilité avec le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Tout d'abord, la Cour de justice de l'Union européenne rappelle qu'en application de l'article 67 du règlement n°1408/71, « il est de jurisprudence constante qu'un demandeur d'emploi qui n'a jamais été soumis à la législation sociale de l'État membre dans lequel il demande à bénéficier des prestations de chômage et n'a donc pas accompli, en dernier lieu, des périodes d'assurance ou d'emploi conformément aux dispositions de la législation de cet État membre ne peut pas bénéficier des prestations de chômage ».
Elle écarte par voie de conséquence l'application de l'article 3 du même règlement (article relatif à l'égalité de traitement), pour décider que « l'article 67, paragraphe 3, du règlement no 1408/71 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'un État membre refuse la totalisation des périodes d'emploi nécessaire à l'admissibilité au bénéfice d'une allocation de chômage destinée à compléter les revenus d'un emploi à temps partiel, lorsque l'occupation dans cet emploi n'a été précédée d'aucune période d'assurance ou d'emploi dans cet État membre ».
Ensuite, la Cour de justice de l'Union européenne considère que les dispositions litigieuses de la loi belge sont conformes aux articles 45 et 48 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dans la mesure où le législateur peut « assortir de conditions les facilités qu'il accorde en vue d'assurer la libre circulation des travailleurs [et] en fixer les limites ».
Enfin, il résulte de l'article 15, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que « Tout citoyen ou toute citoyenne de l'Union a la liberté de chercher un emploi, de travailler, de s'établir ou de fournir des services dans tout Etat membre ». Pour retenir la conformité des dispositions litigieuses à cet article, la juridiction européenne invoque l'article 52, paragraphe 2 de la même Charte, selon lequel « Les droits reconnus par la présente Charte qui trouvent leur fondement dans les traités communautaires ou dans le Traité sur l'Union européenne s'exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci ». De ce fait, la liberté de circulation des travailleurs demeure valablement encadrée par l'article 45 TFUE.
La juridiction européenne retient donc que les dispositions litigieuses de la loi belge sont conformes au règlement n°1408/71, lui-même conforme au Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.