Affaire C 279/93

Finanzamt Köln-Altstadt contre Roland Schumacker

Arrêt du 14 février 1995

Article 48 du Traité CEE - Égalité de traitement - Imposition sur le revenu des non résidents

"L'article 48 du Traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il est susceptible de limiter le droit pour un État membre de prévoir les conditions d'assujettissement et les modalités d'imposition des revenus perçus sur son territoire par un ressortissant d'un autre État membre, dans la mesure où cet article, en matière de perception des impôts directs, ne permet pas à un État membre de traiter un ressortissant d'un autre État membre qui, ayant fait usage de son droit de libre circulation, exerce une activité salariée sur le territoire du premier État, de façon moins favorable qu'un ressortissant national se trouvant dans la même situation.

L'article 48 du Traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à l'application d'une réglementation d'un État membre imposant un travailleur ressortissant d'un autre État membre, qui réside dans ce dernier État et exerce une activité salariée sur le territoire du premier État et y occupant le même emploi, lorsque, comme en l'espèce au principal, le ressortissant du second État tire son revenu totalement ou presque exclusivement de l'activité exercée dans le premier État et ne perçoit pas dans le second État des revenus suffisants pour y être soumis à une imposition permettant de prendre en compte sa situation personnelle et familiale.

L'article 48 du Traité doit être interprété en ce sens qu'il fait obstacle à ce que la législation d'un État membre en matière d'impôts directs prévoie le bénéfice de procédures telles que la régularisation annuelle des retenues à la source au titre de l'impôt sur les salaires et la liquidation par l'administration de l'impôt sur les revenus d'origine salariale pour les seuls résidents, à l'exclusion des personnes physiques n'ayant ni domicile ni résidence habituelle sur son territoire, mais qui y perçoivent des ressources d'origine salariale. "

Monsieur Schumacker, qui a toujours résidé en Belgique avec son épouse et ses enfants, a exercé une activité salariée en Allemagne du 15 mai 1988 au 31 décembre 1989. Madame Schumacker, sans emploi, a perçu des allocations de chômage du régime belge durant l'année 1988. A compter de 1989, le salaire de Monsieur Schumacker est devenu la seule source de revenu du ménage. Conformément à la convention fiscale belgo-allemande, les revenus salariaux de l'intéressé sont imposables en Allemagne où ils font l'objet d'une retenue à la source effectuée par l'employeur. En Allemagne, on distingue les régimes d'imposition en fonction de la résidence. Les personnes physiques qui ont leur résidence en Allemagne sont assujetties à l'impôt sur l'intégralité de leurs revenus (assujettissement intégral). Par contre, celles qui n'ont pas leur résidence habituelle en Allemagne sont assujetties à l'impôt sur leur partie de revenus perçus en Allemagne (assujettissement partiel).

A l'époque des faits, il existait en Allemagne plusieurs classes d'imposition. Les célibataires entrent dans la classe I, les salariés mariés relèvent de la classe II (tarif dit du "Splitting") à condition que les deux conjoints soient résidents tous les deux en Allemagne. Ce régime du "Splitting" a été institué pour atténuer la progressivité du barème de l'impôt sur le revenu. Il consiste à additionner les revenus des deux conjoints et ensuite à en imputer fictivement la moitié sur chacun des conjoints. Ainsi, si le revenu de l'un est élevé et celui de l'autre faible, le système du''Splitting" atténue la progressivité du barème de l'impôt. De plus, les salariés entièrement assujettis à l'impôt bénéficient de la procédure de régularisation annuelle de l'impôt par laquelle l'employeur est tenu de reverser en fin d'année la partie de l'impôt qu'il a perçu lorsque le total des sommes mensuelles retenues excèdent le montant de l'impôt réellement dû. Enfin, pour les personnes intégralement assujetties à l'impôt, l'administration fiscale prend en considération la situation personnelle des contribuables (charges de famille, dépenses de prévoyance et autres éléments ouvrant droit, en général, à des déductions et abattements fiscaux).

Les personnes partiellement assujetties à l'impôt relèvent de la classe I sans que l'on tienne compte de leur situation familiale et ne bénéficient pas de l'avantage du "Splitting" lorsqu'elles sont mariées. Elles ne peuvent pas prétendre à la régularisation annuelle de l'impôt et n'ont pas la possibilité de déduire leurs dépenses sociales qui excéderaient les forfaits prévus dans les barèmes d'imposition.

Le 6 mars 1989, Monsieur Schumacker a demandé à l'administration fiscale allemande que son impôt soit calculé par référence à la classe II (avec application du "Splitting") et que le trop versé de l'impôt retenu à la source au titre de la classe I lui soit remboursé. La juridiction allemande saisie de l'affaire a demandé à la Cour de Justice si l'article 48 du Traité était susceptible de réduire le droit pour un État de prévoir des conditions d'assujettissement et des modalités d'imposition des revenus perçus sur son territoire par des ressortissants d'un autre État membre. En cas de réponse affirmative, le tribunal souhaitait également savoir si l'article précité s'oppose à une réglementation fiscale plus lourde pour la personne qui ne réside pas sur l'État d'où elle perçoit ses revenus que pour celle qui y réside ?

La Cour observe en préalable qu'en l'état actuel du droit communautaire, les impôts directs ne relèvent pas du domaine de la compétence du droit communautaire, mais les États membres doivent toutefois exercer leurs compétences en la matière dans le respect de ce droit. La Cour indique que l'article 7 du règlement (CEE) n°1612/68 relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté, impose que les ressortissants des États membres bénéficient sur le territoire d'un autre État membre, des mêmes avantages fiscaux que les nationaux.

Bien que non visée dans la réglementation communautaire, la législation fiscale d'un État membre est susceptible d'être limitée en vertu de l'article 48 du Traité, dans la mesure où cet article ne permet pas de traiter un travailleur ayant fait usage de son droit à la libre circulation et exerçant une activité salariée sur le territoire de cet État, de manière moins favorable qu'un ressortissant national se trouvant dans la même situation. Le problème de la non-discrimination en matière fiscale ayant été posé, il convenait de déterminer si un État membre pouvait imposer plus lourdement un ressortissant communautaire exerçant son activité sur son territoire, mais n'y résidant pas qu'un travailleur y résidant et y occupant un même emploi.

Après avoir rappelé que les règles d'égalité de traitement prohibent non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité, mais également toute forme dissimulée de discrimination, la Cour indique qu'une législation qui prévoit une distinction fondée sur le critère de résidence en accordant moins d'avantages aux non résidents qu'aux résidents risque de jouer principalement au détriment des ressortissants des autres États membres dans la mesure où les non résidents sont les plus souvent des non nationaux.

Les avantages fiscaux réservés aux seuls résidents sont susceptibles de constituer une discrimination indirecte. Toutefois, en matière d'impôts directs, les situations des résidents et celles des non résidents ne sont pas comparables. En règle générale, le revenu global est centralisé dans le pays de résidence et le fait pour un État membre de ne pas faire bénéficier un non résident de certains avantages sociaux accordés aux résidents n'est pas discriminatoire dans la mesure où ces deux catégories de contribuables ne se trouvent pas dans une situation identique.

Cependant, dans le cas d'espèce, Monsieur Schumacker tire l'essentiel de ses ressources imposables d'une activité exercée dans l'État d'emploi, ce qui fait que l'État de résidence n'est pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale. Cette situation n'est prise en compte ni dans l'État d'emploi, l'Allemagne, ni dans l'État de résidence, la Belgique. De plus, dans ses relations avec les Pays-Bas, l'Allemagne accorde aux personnes travaillant en Allemagne et résidant aux Pays- Bas les mêmes avantages fiscaux que les résidents, à condition qu'ils perçoivent au moins 90 % de leurs revenus sur le territoire allemand.

La Cour conclut que dans la mesure où dans le pays de résidence l'intéressé ne dispose pas de ressources suffisantes pour y être soumis à une imposition qui tiendrait compte de sa situation personnelle et familiale, il existe une discrimination sur le plan matériel entre les ressortissants communautaires non résidents et les nationaux allemands.

S'agissant de la deuxième question posée concernant la disposition de la législation allemande prévoyant pour les résidents le bénéfice de procédures telle que la régularisation annuelle des retenues à la source au titre de l'impôt sur les salaires, la Cour indique que la procédure d'équité prévue par le droit allemand et permettant à l'administration fiscale d'examiner au cas par cas, sur demande du non résident, un nouveau calcul du montant imposable n'est pas suffisante pour établir l'égalité de traitement. En effet, "l'article 48 du Traité impose une égalité de traitement sur le plan procédural entre les ressortissants communautaires non résidents et les nationaux résidents". Le fait de ne pas faire bénéficier les non résidents de la régularisation annuelle prévue pour les résidents constitue une discrimination non justifiée.

Dans cet arrêt, en se basant sur l'égalité de traitement prévue par le Traité, la Cour réussit à fixer des règles d'application d'une législation nationale portant sur un domaine non visé dans le droit communautaire.