Affaire C 277/99

Doris Kaske et Landesgeschäftsstelle des Arbeitsmarktservice Wien

Arrêt du 5 février 2002

Sécurité sociale - Assurance chômage - Substitution du Règlement (CEE) n° 1408/71 aux conventions de sécurité sociale intervenues entre États membres - Maintien des avantages assurés antérieurement par la combinaison du droit national et du droit conventionnel - Liberté de circulation des travailleurs

1) « Les principes dégagés par la Cour dans l'arrêt du 7 février 1991, Rönfeldt (C 227/89), qui permettent d'écarter l'application des dispositions du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à la libre circulation des travailleurs salariés, des travailleurs non salariés et des membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, pour continuer à appliquer au travailleur ressortissant d'un état membre une convention bilatérale à laquelle ce règlement s'est normalement substitué, valent également dans le cas où le travailleur a exercé un droit de libre circulation avant l'entrée en vigueur dudit règlement et avant que le traité CE soit applicable dans son état membre d'origine.

2) Si les périodes d'assurance ou d'emploi ouvrant au travailleur ressortissant d'un état membre le droit à l'allocation de chômage à laquelle il prétend ont commencé à courir avant l'entrée en vigueur du règlement (CEE) n° 1408/71, sa situation doit être appréciée au regard des dispositions de la convention bilatérale pour toute la période pendant laquelle il a exercé son droit à la libre circulation et en prenant en compte l'ensemble des périodes d'assurance ou d'emploi qu'il a accomplies, sans distinguer selon que ces périodes se situent avant ou après l'entrée en vigueur du traité et du règlement (CEE) n° 1408/71 dans l'état membre d'origine du travailleur. Si, en revanche, après avoir épuisé tous les droits qu'il tirait de la convention, l'intéressé exerce à nouveau son droit à la libre circulation et s'il accomplit de nouvelles périodes d'assurance ou d'emploi situées exclusivement après l'entrée en vigueur du règlement (CEE) n° 1408/71, sa situation nouvelle est régie par ce règlement.

3) Un droit national peut édicter des règles plus favorables que le droit communautaire, à la condition qu'elles respectent les principes de ce droit. La réglementation d'un état membre qui privilégie, au regard des conditions pour bénéficier d'une allocation de chômage, les travailleurs qui ont séjourné quinze ans sur le territoire de cet état membre avant leur dernier emploi à l'étranger est incompatible avec l'article 48 du traité ».

Madame Kaske, allemande de naissance a également la nationalité autrichienne depuis 1968. De 1972 à fin 1982, elle a exercé une activité salariée en Autriche où elle a cotisé aux assurances pension, maladie, accident et chômage. En 1983 elle s'est établie en Allemagne où elle a travaillé en qualité de salariée jusqu'en avril 1995. De mai 1995 à février 1996, elle a perçu des prestations de chômage du régime allemand avant de reprendre une activité salariée. Le 12 juin 1996, elle est retournée en Autriche où elle a formulé une demande de prestations de chômage, qui lui a été refusée au motif qu'elle n'avait pas travaillé en dernier lieu en Autriche.

L'intéressée a introduit un recours contre cette décision en estimant qu'après avoir travaillé en Autriche, puis en Allemagne avant de se trouver au chômage dans ce dernier état, avant de retourner immédiatement en Autriche, elle devait pouvoir prétendre à des prestations de chômage du régime autrichien, dans le cadre de la convention germano-autrichienne.

Le tribunal autrichien saisi de l'affaire demande à la Cour de justice des Communautés européennes s'il est possible d'appliquer la jurisprudence Rönfeldt qui permet, sous certaines conditions, d'écarter l'application du règlement (CEE) n° 1408/71 pour continuer à appliquer, au travailleur qui a exercé son droit a la libre circulation avant l'entrée en vigueur du règlement, la convention bilatérale à laquelle le règlement s'est substitué.

La Cour rappelle que les articles 48 et 51 du traité s'opposent à ce qu'un travailleur perde des droits du fait de l'inapplicabilité, à la suite de l'entrée en vigueur du règlement d'une convention bilatérale intégrée dans le droit interne des états signataires.

Certains états membres estimaient que le règlement ayant déjà été appliqué à l'intéressée lors de sa première indemnisation au chômage en Allemagne, elle relevait définitivement du règlement et que l'arrêt Rönfeldt concernait l'assurance vieillesse dans le contexte des droits à pension alors que dans le cas particulier il s'agit d'assurance chômage dont le droit est lié au dernier emploi.

La Cour de justice des Communautés européennes constate que dans l'arrêt Rönfeldt il convenait de déterminer si la perte des avantages de sécurité sociale qui découlent de l'inapplication pour les travailleurs concernés des conventions conclues entre deux états membres du fait de l'application du règlement (CEE) n° 1408/71 était compatible avec les articles 48 et 51 du traité. Cet arrêt ne vise pas un risque particulier, mais l'ensemble des avantages de sécurité sociale visés dans le champ d'application du règlement. Elle précise que l'arrêt Rönfeldt concerne certes les pensions de vieillesse qui ont pour caractéristique d'être définitives, mais également les pensions d'invalidité qui sont variables, voire même des prestations provisoires parfois, comme les prestations de chômage.

Un ressortissant autrichien qui aurait pu bénéficier de la convention germano autrichienne signée avant l'entrée en vigueur du règlement en Autriche a un droit acquis au maintien de l'application de la convention après l'entrée en vigueur du règlement, à condition que cette personne ait occupé en emploi en Allemagne avant l'entrée en vigueur du règlement.

Le tribunal autrichien souhaitait également savoir, lorsque le bénéfice d'une convention bilatérale entre deux états est plus favorable que l'application d'un règlement communautaire postérieur, si le droit que l'intéressé tire de la convention lui est définitivement acquis.

La Cour indique qu'il n'y a pas lieu de faire la différence entre les périodes d'exercice du droit de la libre circulation et les périodes d'assurance ou d'emploi selon que ces périodes sont situées avant ou après l'entrée en vigueur du règlement dans l'état membre d'origine.

Par contre le règlement est applicable si les droits acquis en vertu de la convention bilatérale ont été entièrement épuisés au cours de la première période de chômage. S'ils ne l'ont pas été, l'intéressé bénéficie du régime plus favorable de la convention, même pour des périodes postérieures.

Si le droit à prestations de chômage a commencé à courir avant l'entrée en vigueur du règlement, la situation doit être examinée dans le cadre de la convention bilatérale pour toute la période pendant laquelle il a exercé son droit à la libre circulation en prenant en compte l'ensemble des périodes d'assurance ou d'emploi accomplies, sans faire la distinction selon que les périodes se situent avant ou après l'entrée en vigueur du règlement à l'état membre d'origine.

Par contre, si après avoir épuisé ses droits au titre de la convention, l'intéressé exerce de nouveau son droit à la libre circulation et s'il accompli des périodes d'assurance ou d'emploi situées après l'application du règlement, ses droits doivent être examinés dans le cadre du règlement.

Enfin la dernière question du tribunal autrichien concernait la compatibilité du droit autrichien avec les dispositions du traité. La législation autrichienne prévoit, lorsqu'une personne a séjourné pendant au moins 15 ans en Autriche, ou dans le cadre d'un regroupement familial, que la demande d'allocation de chômage ne doit pas être nécessairement introduite dans le dernier état d'emploi, mais qu'elle peut être introduite en Autriche.

La Cour indique que la législation nationale peut édicter des règles plus favorables que le droit communautaire, mais elle doit respecter les principes du droit communautaire. Elle observe que la mesure incriminée profite principalement aux ressortissants autrichiens stables au détriment des ressortissants autrichiens qui ont exercé leur droit à la libre circulation, ainsi qu'à la plupart des ressortissants des autres états membres.

Elle en conclut qu'une telle disposition est une restriction à la libre circulation et qu'elle doit être considérée comme une discrimination fondée sur la nationalité.