Affaire C 255/99

Anna Humer

Arrêt du 5 février 2002

Règlement (CEE) n° 1408/71 - Notion de prestations familiales - Versement d'avances sur pension alimentaire - Exportation des prestations à l'étranger

"1) « Une prestation telle que l'avance sur pension alimentaire prévue par l'österreichische Bundesgesetz, über die Gewährung von Vorschüssen auf den Unterhalt von Kindern (Unterhaltsvorschussgesetz) (loi fédérale autrichienne relative à l'octroi d'avances pour l'entretien d'enfants), adopté en 1985, constitue une prestation familiale au sens de l'article 4, paragraphe 1, sous h), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97, du Conseil, du 2 décembre 1996.

2) Une personne, dont l'un ou l'autre des parents est travailleur salarié ou chômeur, entre dans le champ d'application personnel du règlement (CEE) n° 1408/71, modifié, en tant que membre de la famille d'un travailleur au sens de l'article 2, paragraphe 1, du même règlement, lu à la lumière de l'article 1er, sous f), i) dudit règlement.

3) Les articles 73 et 74 du règlement (CEE) n° 1408/71 doivent être interprétés en ce sens qu'un enfant mineur, qui réside avec le parent qui en a la garde dans un État membre autre que l'État membre prestataire et dont l'autre parent, tenu de lui verser une pension alimentaire, travaille ou est au chômage dans l'État membre prestataire, a droit à une prestation familiale telle que l'avance sur pension alimentaire prévue par l'Unterhaltsvorschussgesetz ».

Anna Humer, mineure, née en septembre 1987, est de nationalité autrichienne comme ses parents. Le divorce des parents a été prononcé en mars 1989 et la mère a reçu la garde exclusive de sa fille. En 1992 la mère et la fille ont quitté l'Autriche pour la France où elles se sont installées définitivement. Le père quant à lui a continué à résider en Autriche jusqu'à son décès survenu en mars 1999. En 1993, au moment où le père s'était engagé à verser une pension alimentaire pour sa fille, il exerçait une activité salariée. Il a occupé cet emploi jusqu'en janvier 1998, avant de se trouver au chômage.

Lorsqu'elle résidait en Autriche la mère était professeur de religion en vertu d'un certificat d'aptitude à l'enseignement qui lui avait été délivré par l'église catholique et qui était reconnu en Autriche.

Après le transfert de résidence en France, le certificat d'aptitude à l'enseignement n'étant pas reconnu, elle a enseigné l'allemand dans des écoles privées, puis après avoir suivi des cours à l'université, elle a obtenu un diplôme lui permettant d'enseigner l'allemand dans tous les établissements.

En juillet 1998 Anna Humer, représentée par sa mère, sollicite auprès de l'État autrichien une demande d'avance sur pension alimentaire à compter du 1er juillet 1998 et pour une durée de trois ans, le père ayant des mois de retard dans le versement de la pension alimentaire et les mensualités courantes n'étant plus versées.

La juridiction autrichienne a rejeté la demande au motif que l'enfant et sa mère résidaient en France. En appel, une avance sur pension alimentaire a été accordée du 1er juillet 1998 au 30 juin 2001. Saisie d'un recours en révision, l'Oberster Gerichtshof a demandé tout d'abord à la Cour de justice des Communautés européenne si une prestation telle que l'avance sur la pension alimentaire constituait une prestation familiale au sens du règlement (CEE) n° 1408/71 et si un enfant mineur tel que la demanderesse relevait du champ d'application personnel du règlement et enfin si cet enfant pouvait se prévaloir des articles 73 et 74 du règlement (CEE) n° 1408/71 pour bénéficier de la prestation en cause.

Sur la qualification de prestation familiale, la Cour rappelle que dans l'arrêt du 15 mars 2001 (Offermanns, C 85/99, Rec. P. I-2261) elle a déjà été amenée à préciser que des prestations comme la prestation de l'avance sur pension alimentaire qui est destinée à alléger les charges découlant de l'entretien des enfants correspond à la définition des prestations familiales donnée à l'article 1er, sous u), i), du règlement (CEE) n° 1408/71.

En ce qui concerne le champ d'application personnel du règlement, la Cour constate que le père, comme la mère, au moment de la demande avaient la qualité de travailleur salarié ou de chômeur ; pour l'enfant il n'était pas contesté qu'elle avait la qualité de membre de la famille. L'enfant relevait donc du champ d'application personnel du règlement.

Sur l'application des articles 73 et 74, la Cour observe que ces articles sont destinés à garantir, pour les membres de la famille qui ne résident pas dans l'État compétent, l'octroi de prestations familiales prévues par la législation de l'État compétent. Elle précise que les articles en cause interdisent de faire dépendre le montant des prestations familiales de la résidence des membres de la famille du travailleur afin de ne pas dissuader celui-ci d'exercer son droit à la libre circulation.

Bien que la Cour reconnaisse que le règlement (CEE) n° 1408/71 ne vise pas expressément les situations familiales à la suite de divorce, elle précise que rien ne justifie que ces situations soient exclues du champ d'application dudit règlement. Elle ajoute que c'est justement dans de telles situations que le parent qui a la garde de l'enfant quitte son pays d'origine pour aller s'installer sur un autre territoire et dans un tel cas l'enfant se déplace également.

Elle observe que dans cette affaire la jeune Anna Humer aurait pu prétendre à l'avance sur la pension alimentaire si elle était restée en Autriche, la seule raison pour laquelle elle ne peut pas y prétendre c'est parce que sa mère a usé de son droit à la libre circulation, ce qui a entraîné l'application de la clause de résidence prévue par la législation autrichienne.

Sur le fait que ce n'est pas le travailleur qui a usé de son droit à la libre circulation et que ce n'est pas lui qui réclame les prestations, la Cour observe que si le règlement (CEE) n° 1408/71 s'applique aux membres de la famille du travailleur, cela est d'autant plus juste lorsque le déplacement de l'enfant du travailleur membre de la famille est dû au déplacement de l'ancien conjoint qui exerce son droit à la libre circulation. Certes, l'avance sur pension alimentaire instaure un droit original attribué à l'enfant lui-même, mais les prestations familiales ne peuvent pas être considérées comme dues à un individu indépendamment de sa situation familiale. Pour l'application des articles 73 et 74 du règlement (CEE) n° 1408/71 la Cour indique qu'il est sans importance que l'attributaire de la prestation soit le membre de la famille du travailleur, plutôt que le travailleur lui-même.

Pour la Cour si le conjoint d'un travailleur salarié peut se prévaloir d'un droit à prestations familiales en vertu de l'article 73 du règlement (CEE) n° 1408/71, à condition d'être membre de la famille du travailleur et que dans l'État compétent les prestations familiales soient prévues pour les membres de la famille, ce raisonnement peut être étendu à tous les membres de la famille.

Elle conclut que même un enfant mineur membre de la famille d'un travailleur peut se fonder sur les articles 73 et 74 du règlement (CEE) n° 1408/71 pour demander à bénéficier de prestations, sans l'intervention du travailleur lui-même. Elle ajoute que cela est d'autant plus vrai lorsque le droit à la prestation trouve son objet dans le manquement du travailleur à ses obligations familiales.

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