Affaire C 243/94

Alejandro Rincon Moreno contre Bundesanstalt Fur Arbeit

Arrêt du 28 mars 1996

Chômage - Prestations familiales

"L'article 74 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version codifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, tel que modifié par le règlement (CEE) n° 3427/89 du Conseil, du 30 octobre 1989, doit être interprété en ce sens que l'expression "travailleur ... en chômage qui bénéficie des prestations de chômage au titre de la législation d'un État membre" vise également des chômeurs inscrits auprès de l'autorité nationale compétente dont le droit à des allocations de chômage est suspendu en raison de la prise en considération d'une indemnité qui leur a été versée par l'employeur du fait que la relation de travail a pris fin sans que le délai de préavis soit respecté, ou en raison d'une exclusion temporaire du droit aux prestations de chômage en espèces, lorsque, pendant cette période d'exclusion, ils sont couverts, au titre de la législation de l'État compétent, contre les risques de maladie et d'accidents. "

Monsieur Moreno, ressortissant espagnol, a travaillé de 1966 au 15 décembre 1992 en qualité de salarié en Allemagne. Lors de son licenciement, la société qui l'employait lui a demandé de ne pas effectuer son préavis et, en compensation, elle lui a versé une indemnité de licenciement. De ce fait, la Bundesanstalt fur Arbeit a décidé de suspendre le droit de Monsieur Moreno aux prestations de chômage du 16 décembre 1992 au 21 février 1993, dans la mesure où l'intéressé avait perçu une indemnité de préavis, la durée de la suspension dépendant du montant de l'indemnité reçue.

Dans un deuxième temps, l'institution de chômage allemande a pris à l'encontre de Monsieur Moreno une mesure d'exclusion temporaire pour la période du 16 décembre 1992 au 9 mars 1993, conformément à la loi allemande qui prévoit que le chômeur qui a rompu la relation de travail ou qui, par son comportement, a entraîné la rupture de cette relation est exclu pendant une certaine période du bénéfice des prestations de chômage. Il convient de préciser que durant la période de suspension ou d'exclusion temporaire, le chômeur continue à bénéficier d'une assurance maladie et d'une garantie d'assurance accidents.

Par décision du 6 avril 1993, la Bundesanstalt fur Arbeit a refusé de verser les allocations familiales pour les mois de janvier et février 1993, au motif que, durant cette période, Monsieur Moreno n'avait pas perçu d'indemnités de chômage. Devant ce refus, Monsieur Moreno a saisi un tribunal allemand qui a demandé à la Cour de Justice des Communautés Européennes si l'expression "travailleur salarié en chômage qui bénéficie de prestations de chômage" pouvait viser la situation du requérant, à savoir la situation d'un travailleur inscrit auprès des services pour l'emploi d'un État membre, et dont le droit aux indemnités de chômage est suspendu en raison de la prise en considération d'une indemnité de licenciement versée par l'employeur, ou en raison d'une exclusion temporaire.

La Cour, après avoir indiqué que selon l'article 74 du règlement (CEE) n° 1408/71 le droit aux prestations familiales est ouvert pour les enfants résidant sur le territoire d'un autre État membre lorsque le chômeur bénéficie de prestations de chômage au titre de la législation d'un État membre, précise qu'il convient de distinguer la période de suspension des prestations et la période d'exclusion temporaire.

S'agissant de la période de suspension, la question est de savoir si l'indemnité de licenciement perçue par Monsieur Moreno peut être considérée comme une prestation de chômage au sens de l'article 74. La Cour rappelle que selon une jurisprudence constante (affaire n° C 66/92, Acciardi, du 2 août 1993 ; affaires jointes 379/85, 380/85, 381/85 et 93/86, Giletti et autres, du 2 février 1987), une prestation se rapportant à l'un des risques visés dans le champ d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 peut être considérée comme une prestation de sécurité sociale dans la mesure où elle est octroyée, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, aux bénéficiaires sur la base d'une situation légalement définie.

Le mode de financement de la prestation importe peu, ainsi, par exemple, dans l'arrêt Paletta (C 45/90), la Cour avait dit que peu importait que les indemnités journalières maladie étaient servies par l'employeur, cela ne modifiait pas le fait qu'il s'agissait de prestations en espèces de l'assurance maladie. Elle indique que dans le cas qui lui est soumis, le montant de l'indemnité versée par l'employeur est pris en compte par" les services pour l'emploi afin de déterminer la durée de suspension des indemnités de chômage. L'indemnité de licenciement se substitue donc à l'indemnité de chômage, elle peut donc être assimilée à une prestation de chômage au sens de l'article 74 du règlement (CEE) n° 1408/71.

Il appartenait ensuite à la Cour de se prononcer sur la mesure d'exclusion temporaire. Elle indique que dans l'article 74 précité, le terme "prestations de chômage" est employé, et qu'il n'est fait aucune référence à un type particulier de prestations. Elle précise que, dans le cas d'espèces, le chômeur qui est victime d'une mesure d'exclusion continue à relever de l'assurance maladie et de l'assurance accidents. Elle ajoute que le terme "prestations de chômage" à l'article 74 doit être compris comme visant également ces types de prestations maladie ou accidents. Durant la période d'exclusion, elle assimile les prestations de maladie ou d'accident à des prestations de chômage au sens de l'article 74 du règlement (CEE) n° 1408/71. Elle conclut que l'article 74 vise également la situation de chômeurs inscrits auprès des services pour l'emploi du pays compétent et dont le droit aux prestations a été suspendu ou qui se voient opposer une exclusion temporaire.