Affaire C 202/97

Fitzwilliam Executive Search Ltd. contre Bestuur Van Het Landelijk Instituut Sociale Verzekeringen

Arrêt du 10 février 2000

Sécurité sociale des travailleurs migrants - Détermination de la législation applicable - Travailleurs intérimaires détachés dans un autre État membre - Détachement - Notion d'exercice normal d'une activité

"1) L’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version codifiée par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, et mise à jour jusqu’à l’époque des faits, doit être interprété en ce sens que, pour bénéficier de l’avantage offert par cette disposition, une entreprise de travail temporaire qui met, à partir d’un État membre, des travailleurs à la disposition d’entreprises situées sur le territoire d’un autre État membre doit exercer normalement ses activités dans le premier État.

2) Une entreprise de travail temporaire exerce normalement ses activités dans l’État membre où elle est établie lorsqu’elle effectue habituellement des activités significatives sur le territoire de cet État.

3) L’article 11, paragraphe 1, sous a), du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement n° 1408/71, dans sa version codifiée par le règlement n° 2001/83 et mise à jour jusqu’à l’époque des faits, doit être interprété en ce sens que le certificat délivré par l’institution désignée par l’autorité compétente d’un État membre lie les institutions de sécurité sociale des autres États membres dans la mesure où il atteste l’affiliation des travailleurs détachés par une entreprise de travail temporaire au régime de sécurité sociale de l’État membre où cette dernière est établie. Toutefois, lorsque les institutions des autres États membres font valoir des doutes sur l’exactitude des faits sur lesquels repose le certificat, ou sur l’appréciation juridique de ces faits, et en conséquence sur la conformité des mentions dudit certificat avec le règlement n° 1408/71 et notamment avec son article 14, paragraphe 1, sous a), l’institution émettrice est tenue de réexaminer le bien-fondé de celui-ci et, le cas échéant, de le retirer."

Le litige oppose Fitz William Executive Search Ltd (FTS), société de droit irlandais établie à Dublin et exerçant des activités de travail temporaire à l’organisme de recouvrement néerlandais, le Bestuur van het handelijk instituut sociale verzekeringen (LISV) au sujet du paiement des cotisations patronales néerlandaises pour les travailleurs intérimaires occupés aux Pays-Bas par la société d’intérim irlandaise.

La société FTS exerce une activité de placement de travailleurs intérimaires en Irlande et aux Pays-Bas. Tous les travailleurs qu’elle emploie, y compris ceux qui sont embauchés pour être immédiatement détachés aux Pays-Bas, sont des ressortissants irlandais, résidant en Irlande. Les travailleurs intérimaires envoyés aux Pays-Bas sont essentiellement occupés dans l’agriculture et l’horticulture, ce qui n’est pas le cas des travailleurs mis à disposition d’entreprises irlandaises.

Le tribunal néerlandais saisi de l’affaire demande à la Cour de justice des Communautés européennes de préciser de quelle manière doivent être interprétés les termes « entreprise dont elle relève normalement » figurant à l’article 14, paragraphe 1, sous a) du règlement (CEE) n° 1408/71.

La Cour indique tout d’abord que les dispositions concernant le détachement ne sont susceptibles de s’appliquer à une entreprise de travail temporaire que si les deux conditions suivantes sont remplies : maintien d’un lien organique entre l’entreprise de travail temporaire et le travailleur détaché et exercice par l’entreprise de travail temporaire d’une activité normale sur le territoire de l’État où elle est établie.

S’agissant de la première condition (entreprise dont le travailleur relève normalement), la cour précise que selon la décision n° 128 de la commission administrative de sécurité sociale des travailleurs migrants un lien organique entre l’entreprise établie sur un territoire et les travailleurs détachés doit être maintenu. Pour déterminer l’existence de ce lien organique, il convient d’examiner des circonstances d’occupation des travailleurs que ceux-ci sont placés sous l’autorité de l’entreprise. Elle ajoute que sur ce point aucune des Parties n’a émis de doute sur l’existence d’un tel lien.

En ce qui concerne l’existence d’attaches de l’entreprise avec l’État membre d’établissement, la Cour indique que l’article 14, paragraphe 1, sous a) du règlement 1408/72 a notamment pour objet de promouvoir la libre prestation de services en évitant les complications administratives. Il évite à une entreprise établie dans un État membre d’affilier ses travailleurs à la législation de l’État où ils vont exercer une activité limitée dans le temps.

Une entreprise de travail temporaire ne peut bénéficier de ces dispositions que si elle exerce normalement des activités sur le territoire de l’État membre où elle est installée. La Cour de justice des communautés européennes examine ensuite selon quels critères on pourra déterminer qu’une entreprise de travail temporaire exerce normalement ses activités dans l’État membre où elle est installée.

Elle rappelle que l’article 14 paragraphe 1, sous a), du règlement 1408/71 étant une exception à la règle générale d'affiliation dans l’État d’emploi fixée à l’article 13, paragraphe 2, sous a), du même règlement, il convient que l’entreprise en cause exerce une «activité significative» sur le territoire de l’État membre d’établissement.

Elle examine ensuite les différents critères permettant de déterminer si une activité est significative tout en précisant que ces critères ne sont pas exhaustifs. Chaque cas doit être examiné de manière individuelle.

Elle indique toutefois qu’il convient de se référer aux critères suivants :

La juridiction néerlandaise demandait également à la Cour de justice dans quelle mesure le formulaire E 101 délivré par une institution compétente liait les institutions des autres États membres.

La Cour indique que par ce certificat l’institution compétente de l’État membre où l’entreprise est établie déclare que le travailleur reste assujetti à son régime de sécurité sociale durant la période du détachement et qu’il n’a donc pas à être affilié dans l’État membre où l’activité temporaire est exercée.

Elle précise que cette institution est tenue, conformément à l’article 5 du traité CE (devenu article CE) relatif à la coopération loyale, d’apprécier de manière correcte les faits relatifs à l’application de l’article 14, paragraphe 2, sous a) et de garantir l’exactitude des mentions figurant sur le certificat en cause.

Les dispositions des textes ne seraient pas reconnues si une institution compétente d’un État membre ne se reconnaît pas liée par un formulaire établi par l’institution d’un autre État membre.

La Cour conclut que le formulaire E 101 « crée une présomption de régularité d’affiliation du travailleur détaché » et s’impose à l’institution de l’État membre dans lequel le travailleur est détaché.

Cette présomption s’impose tant que le formulaire n’a pas été supprimé ou déclaré invalide par l’institution de l’État membre d’emploi habituel.

Toutefois, elle précise que l’institution qui a délivré l’imprimé, est tenue de réexaminer le bien fondé de cette délivrance et le cas échéant de retirer le certificat, lorsque l’institution compétente du lieu de détachement « émet des doutes sur l’exactitude des faits qui sont à la base dudit certificat » notamment, dans l’hypothèse où la situation du travailleur ne correspond pas aux exigences de l’article 14, paragraphe 1, sous a) du règlement (CEE) n° 1408/71.

Elle ajoute qu’il pourrait être fait appel la commission administrative de sécurité sociale des travailleurs migrants lorsque les institutions concernées ne parviennent à se mettre d’accord sur la situation du travailleur.

Elle prévoit même, en cas de non conciliation après intervention de la commission administrative, l’engagement d’une procédure en manquement de la part de l’État membre sur le territoire duquel les travailleurs sont détachés, afin de permettre à la Cour de se prononcer.