Affaire C 20/96

Kelvin Albert Snares Contre Adjudication Officer

Arrêt du 4 novembre 1997

Prestations spéciales à caractère non contributif - Champ d'application personnel - Champ d'application matériel - Prestations pour handicapé non contributives et indépendantes des ressources - Non exportabilité

"L'article 10 bis du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, tel que modifié par le règlement (CEE) n° 1247/92 du Conseil, du 30 avril 1992, lu en combinaison avec l'annexe II bis, doit être interprété en ce sens que la disability living allowance relève de son champ d'application et, partant, constitue une prestation spéciale à caractère non contributif au sens de l'article 4, paragraphe 2 bis, du même règlement, en sorte que la situation d'une personne comme le demandeur au principal, qui, postérieurement au 1er juin 1992, date d'entrée en vigueur du règlement n° 1247/92, remplit les conditions d'octroi de cette prestation, est exclusivement régie par le système de coordination mis en place par ledit article 10 bis.

L'examen du règlement n° 1247/92, en ce qu'il écarte, s'agissant de la disability living allowance, l'application du principe de la levée des clauses de résidence prévu à l'article 10 du règlement n° 1408/71, n'a révélé aucun élément de nature à mettre en cause sa validité. "

Cette affaire oppose Monsieur Snares, de nationalité britannique, qui a travaillé au Royaume-Uni durant vingt-cinq ans. En 1993, il a été victime d'un grave accident à la suite duquel il a obtenu à compter du 1er septembre 1993 une "disability living allowance" (allocation de subsistance pour handicapés) au taux intermédiaire de l'élément "autonomie" et au taux le plus élevé de l'élément "mobilité". L'intéressé est également titulaire d'une prestation d'invalidité de nature contributive.

Il faut préciser qu'avant le 1er avril 1992, la loi britannique prévoyait deux prestations en matière d'invalidité : l'attendance allowance (allocation d'aide) et la mobility allowance (allocation de mobilité). Ces deux prestations étaient des prestations non contributives servies indépendamment des ressources du titulaire de la prestation.

A compter du 1er avril 1992, une nouvelle allocation à caractère non contributif a été instaurée. Cette prestation, qui ne présuppose aucune incapacité de travail, n'est soumise à aucune condition de ressources. Elle est composée de deux éléments : un élément d'autonomie, versé à trois taux différents en fonction de la nature du handicap, destiné aux personnes dépendantes et en cela elle se rapproche de l'ancienne attendance allowance, et un élément de mobilité, versé à deux taux différents selon la limitation de la capacité de déplacement destiné à la personne qui présente des difficultés pour se déplacer et qui correspond à l'ancienne mobility allowance.

Pour pouvoir bénéficier de cette prestation, l'intéressé doit être résident en Grande Bretagne, présent sur le territoire britannique et y avoir été présent pendant au moins vingt-six semaines durant les cinquante-deux semaines précédentes. La prestation peut être servie si l'absence de Grande Bretagne est temporaire et n'a pas durée plus de vingt-six semaines.

En novembre 1993, soit deux mois après l'obtention de la disability living allowance, l'intéressé est parti s'installer définitivement à Ténériffe où habite sa mère qui serait susceptible de s'occuper de lui. Le 6 janvier 1994, sa disability living allowance a été supprimée avec effet au 13 novembre 1993, date de départ de Grande Bretagne de l'intéressé.

Le tribunal britannique auprès duquel Monsieur Snares a formulé un recours demande à la Cour de Justice des Communautés Européennes si la modification de l'article 10 bis du règlement (CEE) n° 1408/71 par le règlement (CEE) n° 1247/92 en combinaison avec l'annexe II bis, s'applique à la disability living allowance attribuée à un travailleur postérieurement au 1er juin 1992.

La Cour de Justice des Communautés Européennes indique tout d'abord, que le requérant ayant été soumis à la législation d'un État membre, il relève du champ d'application personnel du règlement. Elle observe que pour que les dispositions de l'article 10 bis, tel que modifié par le règlement (CEE) n° 1247/92, soient applicables à des personnes bénéficiant de prestations spéciales à caractère non contributif visées à l'article 4, paragraphe 2 bis, il faut que les prestations soient mentionnées à l'annexe II bis, ce qui est le cas de la disability living allowance qui est mentionnée au point f) de la section L, Royaume-Uni, de ladite annexe. Cette prestation étant bien une prestation spéciale à caractère non contributif visée à l'article 4, paragraphe 2 bis, les dispositions de l'article 10 bis du règlement sont applicables et cette prestation ne peut pas être exportée.

Le tribunal britannique, en deuxième lieu, s'interrogeait sur la validité du règlement (CEE) n° 1247/92 au regard des articles 51 et 235 du traité, dans la mesure où il interdit la levée des clauses de résidence prévues à l'article 10 du règlement (CEE) n° 1408/71 pour une prestation telle que la disability living allowance.

Sur ce deuxième point, la Cour observe que l'article 10 du règlement (CEE) n° 1408/71 qui pose le principe de la levée des clauses de résidence prévoit que le règlement peut limiter ce principe. Ainsi, en matière de chômage, l'exportabilité des prestations est limitée à trois mois et cela n'a pas été reconnu contraire à l'article 51 du traité par la Cour dans l'affaire Testa e. a. (arrêt du 19 juin 1980).

Elle précise qu'en l'absence du règlement (CEE) n° 1247/92, l'intéressé aurait pu faire valoir que la disability living allowance étant une prestation octroyée en dehors de toute appréciation individuelle discrétionnaire des besoins personnels, et venant en complément d'une prestation d'invalidité, elle même exportable, cette prestation de type mixte devait donc elle aussi être exportée.

Elle ajoute que, s'agissant des prestations spéciales à caractère non contributif, elle a toujours dit que le principe de l'exportabilité de ces prestations s'appliquait tant que le législateur communautaire n'avait pas pris d'autres mesures. De plus, une prestation telle que celle dont il est question est étroitement liée au niveau du coût de la vie dans l'État où elle est attribuée, ce qui justifie de la condition de résidence qui est posée pour son obtention.

Le fait que l'intéressé ne puisse pas bénéficier dans son nouvel État de résidence d'une prestation semblable ou d'un montant au moins équivalent "n'est pas de nature à invalider le régime mis en place par l'article 10 bis du règlement (CEE) n° 1408/71".

Enfin, le règlement (CEE) n° 1247/92 a mis en place des règles de coordination qui n'existaient pas auparavant et qui obligent le nouvel État de résidence du travailleur à tenir compte des périodes d'activité ou de résidence accomplies sous le territoire d'un autre État membre, et à considérer les prestations acquises sous un autre État membre comme si elles étaient acquises au titre de l'État de résidence pour l'examen des droits à prestations non contributives de type mixte.

La Cour de Justice ne retient pas l'argument selon lequel le non versement de la prestation britannique empêcherait le requérant de remplir les conditions de ressources pour obtenir le droit au séjour dans un État membre, conformément à l'article 1er de la directive 90/365/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour.

Elle conclut que rien dans les dispositions du règlement (CEE) n° 1247/92 qui écarte des prestations non contributives de type mixte comme celles de la disability living allowance ne permet de remettre en cause la validité de ce règlement.