Affaire C 178/97

Bary Banks e.a. contre Théâtre royal de la monnaie

Arrêt du 30 mars 2000

Détermination de la législation applicable - Notion d'activité salariée et non-salariée - Libre prestation de services - Portée du certificat E 101

1. "Le terme "travail" qui figure à l'article 14 bis, point 1, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, puis par le règlement (CEE) n° 3811/86 du Conseil, du 11 décembre 1986, vise toute prestation de travail, salariée ou non salariée".

2. "Aussi longtemps qu'il n'est pas retiré ou déclaré invalide, le certificat E 101, délivré conformément à l'article 11 bis du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 2001/83 puis par le règlement n° 3811/86, lie l'institution compétente de l'État membre dans lequel le travailleur non salarié se rend pour effectuer un travail ainsi que la personne qui fait appel aux services de ce travailleur".

3. "Le certificat E 101, délivré conformément à l'article 11 bis du règlement n° 574/72, peut avoir un effet rétroactif".

Cette affaire oppose Monsieur Banks, huit autres chanteurs d'opéra et un chef d'orchestre, au théâtre royal de la monnaie à Bruxelles qui a prélevé sur les cachets des intéressés les cotisations de sécurité sociale belge des travailleurs salariés.

Monsieur Banks et ses collègues sont des artistes de nationalité britannique, qui résident au Royaume-Uni où ils exercent normalement leur activité professionnelle, au titre de laquelle ils sont soumis au régime de sécurité sociale britannique des travailleurs non salariés.

Durant la période de 1992 à 1995, les intéressés ont eu des engagements qui totalisaient pour chacun des artistes moins de trois mois, à l'exception de l'un d'entre eux, pour lequel l'engagement atteignait quatre mois et six jours.

Il existe en Belgique, comme en France, une présomption de salariat pour les artistes. De ce fait, le théâtre royal de la monnaie a assujetti les intéressés au régime belge de sécurité sociale et a procédé aux retenues de cotisations sur les cachets des intéressés.

Au cours de leurs engagements ou durant la procédure devant la juridiction de renvoi les intéressés ont produit un certificat E 101, attestant qu'ils étaient soumis au régime britannique de sécurité sociale en qualité de travailleurs non salariés et qu'ils exerçaient leur activité non salariée en Belgique durant leurs engagements au théâtre royal de la monnaie, conformément à l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71, qui prévoit que la personne qui exerce normalement son activité non salariée sur le territoire d'un État membre et qui effectue un travail sur le territoire d'un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre à condition que la durée prévisible du travail n'excède pas douze mois.

Le théâtre royal de la monnaie quant à lui, estimait que dans cette affaire la législation belge était applicable conformément à l'article 14 quater, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71, qui prévoit que la personne qui exerce simultanément une activité salariée et une activité non salariée sur le territoire de différents États membres est soumise à la législation de l'État membre sur le territoire duquel elle exerce son activité salariée. De plus, l'office national de sécurité sociale chargé du recouvrement des cotisations en Belgique refusait de tenir compte des formulaires E 101 dans une telle hypothèse.

La juridiction belge demande à la Cour de justice des communautés européennes si le terme
"travail" figurant à l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71, doit être déterminé selon la législation de l'État membre sur le territoire duquel l'intéressé exerce normalement son activité ou selon la législation de l'État membre dans lequel le travail est effectué.

La Cour de justice des communautés européennes indique que, certes l'article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) n° 1408/71 prévoit, sous réserve des dispositions des articles 14 à 17 que le travailleur non salarié relève de la législation de l'État sur le territoire duquel il exerce son activité, mais que selon l'article 14, paragraphe 1, sous a), la personne qui exerce normalement son activité sur le territoire d'un État membre et qui effectue un travail sur le territoire d'un autre État membre reste soumise à la législation du premier État à la condition que la durée prévisible du travail à effectuer ne dépasse pas douze mois.

La cour indique que le terme "travail" peut recouvrir indifféremment une prestation de travail salariée comme une prestation de travail non salariée. Elle précise que selon l'article 14 bis, du règlement (CEE) n° 1408/71, les termes "activité non salariée" désignent l'activité exercée normalement par la personne concernée sur le territoire de plusieurs États membres et non pas une prestation occasionnelle qu'elle effectue hors de l'État habituel de travail.

Elle relève que lors de l'extension du règlement aux travailleurs non salariés par le règlement n° 1390/81, dans la proposition initiale, la commission avait utilisé les termes "prestation de service" au lieu du terme "travail", " entendant ainsi réserver l'application de cette disposition au seul cas de la réalisation d'un travail non salarié sur le territoire d'un autre État membre". Elle conclut que si le conseil a utilisé le terme "travail" cela était dans l'intention d'inclure également le travail salarié.

Devant la crainte de certains États membres que les travailleurs utilisent cette interprétation pour aller s'installer dans un État où les cotisations de sécurité sociale des travailleurs non salariés sont faibles dans le seul but d'aller exercer sur le territoire d'un autre État membre un emploi salarié, sans acquitter les cotisations plus lourdes dans ce dernier État, la Cour réplique que l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71, exige que l'intéressé exerce normalement son activité non salariée sur le territoire d'un État membre. Il faut donc que le travailleur exerce habituellement une activité significative sur le territoire de l'État où il est établi. Elle ajoute que le travailleur doit avoir exercé depuis un certain temps son activité sur le territoire où il est établi avant de demander à bénéficier des dispositions de l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a) du règlement. De plus, durant l'activité sur l'autre territoire, il doit continuer à entretenir les moyens nécessaires à l'exercice de cette activité sur son territoire d'origine (usage de bureaux, paiement de cotisations au régime de sécurité sociale, versement d'impôts, détention d'une carte professionnelle…) afin de pouvoir reprendre cette activité dès son retour.

Elle conclut que le terme travail qui figure à l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a) du règlement (CEE) n° 1408/71 vise toute prestation de travail salariée ou non salariée.

Sur la deuxième question du juge de renvoi qui s'interrogeait sur l'interprétation qu'il convenait de donner au terme "simultanément" figurant à l'article 14 quater du règlement (CEE) n° 1408/71 qui vise la personne qui exerce une activité salariée et une activité non salariée sur le territoire de plusieurs États membres la Cour répond que dans la mesure où elle a estimé que l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a) était applicable en espèce il n'y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

Il est également demandé à la Cour si le formulaire E 101, délivré par l'institution compétente de l'État membre dont la législation reste applicable, lie l'institution de l'État membre dans lequel est effectué le travail, comme la personne qui fait appel aux services des travailleurs en cause.

La Cour indique que le certificat E 101 qui crée une présomption de régularité de l'affiliation du travailleur non salarié au régime de sécurité sociale où il exerce habituellement son activité, s'impose à l'institution compétente de l'État où le travailleur va exercer son activité. Elle précise que si cette solution n'était pas respectée, cela porterait atteinte au principe d'unicité de législation comme au principe de sécurité juridique, dans la mesure où il serait impossible de déterminer le régime de sécurité social applicable.

Elle ajoute que tant que le formulaire E 101 n'est pas retiré ou déclaré invalide, l'institution de l'État membre où l'activité est exercée doit tenir compte du fait que l'intéressé est déjà assujetti dans un État membre.

Toutefois, la Cour ajoute que l'institution qui a délivré l'imprimé est tenue de reconsidérer le bien fondé de la délivrance de ce document et, le cas échéant, de le retirer, lorsque l'institution de l'État où est effectué le travail émet des doutes sur l'exactitude des faits qui sont à la base de la délivrance du document.

Dans l'hypothèse où les différentes institutions n'arriveraient pas à se mettre d'accord sur la législation applicable, la Cour indique que les États peuvent demander à la commission administrative de se prononcer sur ce point. Et, dans le cas où la commission ne parviendrait pas à concilier les points de vue des deux États, il serait toujours possible d'engager une procédure en manquement afin de permettre à la Cour elle-même de donner son avis.

Elle conclut que le formulaire E 101, aussi longtemps qu'il n'a pas été déclaré invalide, s'impose à l'institution compétente du nouveau lieu de travail, comme à la personne qui fait appel aux services du travailleur.

Enfin, sur l'effet rétroactif du formulaire E 101, la Cour indique que l'article 11 bis, du règlement (CEE) n° 574/72, n'impose aucun délai pour la délivrance de l'attestation. De plus, elle constate que ce document se borne à déclarer que le travailleur reste affilié à la législation de travail habituel, pendant la période au cours de laquelle il effectue son travail sur l'autre territoire. Elle observe qu'il est plus aisé que le certificat soit délivré dès le début de la période concernée, mais que rien ne s'oppose à ce que le certificat E 101 produise des effets rétroactifs et qu'il soit délivré au cours de la période concernée ou encore à son expiration.