Affaire C 165/91

Simon J.M. Van Munster contre Rijksdienst Voor Pensioenen

Arrêt du 5 octobre 1994

Sécurité sociale - Libre circulation des travailleurs - Égalité entre hommes et femmes - Pension de retraite - Majoration pour conjoint à charge

"1) Le droit communautaire, en particulier les articles 48 et 51 du Traité, ainsi que l'article 4 paragraphe 1 de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, ne s'oppose pas à une législation nationale qui prévoit le droit à une pension au "taux de ménage" dans le cas où le conjoint du travailleur a cessé toute activité professionnelle et ne jouit pas d'une pension de retraite ou d'un avantage en tenant lieu, mais qui applique seulement le "taux d'isolé", moins avantageux, dans le cas où le conjoint du travailleur jouit d'une pension ou d'un avantage en tenant lieu tel que la pension accordée Madame Van Munster par l'Algemene Ouderdomswet.

2) En procédant à la qualification, aux fins de l'application d'une disposition de son droit interne, d'une prestation de sécurité sociale accordée sous le régime législatif d'un autre État membre, le juge national est tenu d'interpréter sa propre législation à la lumière des objectifs des articles 48 à 51 du Traité et d'éviter dans toute la mesure du possible que son interprétation soit de nature à dissuader le travailleur migrant d'exercer effectivement son droit à la libre circulation."

Monsieur Van Munster, ressortissant néerlandais, ayant exercé une activité salariée aux Pays- Bas durant 37 ans et en Belgique durant 8 ans, a obtenu une pension de vieillesse de chacun des deux États.

L'épouse de l'intéressé, qui n'a jamais travaillé, était âgée de moins de 65 ans au moment de la liquidation de la pension néerlandaise de ce dernier. L'institution néerlandaise a donc accordé au requérant une pension de vieillesse égale à 100 % du salaire minimal net (50 % à titre de personne mariée et 50 % pour conjoint à charge n'ayant pas atteint l'âge de 65 ans). La pension belge, quant à elle, a été calculée au taux "ménage", sur la base de la carrière en Belgique.

Il convient de préciser qu'en Belgique, il existe deux taux de pension, le "taux ménage" qui est attribué si le conjoint du travailleur n'exerce aucune activité et ne bénéficie d'aucun droit personnel, et le "taux isolé" dans les autres cas.

Toutefois, en 1987, lorsque l'épouse de Monsieur Van Munster a atteint l'âge de 65 ans, l'institution néerlandaise lui a attribué une pension personnelle représentant 50 % du salaire minimum.

Dans le même temps, la pension de Monsieur Van Munster a été réduite du montant de la majoration pour conjoint à charge. En pratique, les revenus du couple étaient identiques.

Toutefois, l'Office National des Pensions belge a réduit, à compter de la date à laquelle Madame Van Munster avait perçu la pension personnelle néerlandaise, le montant de la pension belge. La pension belge a été réduite au taux "isolé" au motif que l'épouse du pensionné bénéficiait d'un droit personnel.

Devant le refus de l'O.N.P. de reliquider la pension au "taux ménage", Monsieur Van Munster a saisi les tribunaux belges qui ont posé deux questions préjudicielles à la cour de justice des Communautés Européennes.

Dans sa première question, le tribunal demandait si la législation belge était en conformité avec l'article 4 § 1 de la directive 79/7 qui introduit notamment le principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes dans le domaine du calcul des prestations de sécurité sociale, y compris les majorations dues au titre du conjoint.

La Cour observe que l'adaptation de l'A.O.W. (Ndlr : législation néerlandaise) qui a été prise pour donner la plus large application au principe de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, n'était pas imposée par la directive 79/7. En effet, le paragraphe 1, sous c), de l'article 7 autorise les États membres à exclure du champ d'application de la directive l'octroi des droits à des prestations de vieillesse au titre des droits dérivés de l'épouse.

Elle précise que le principe de l'égalité de traitement énoncé dans la directive 79/7 ne s'oppose pas à ce qu'un État membre n'applique pas à la pension d'un travailleur le "taux ménage" prévu par sa législation pour les conjoints à charge, si le conjoint bénéficie d'une pension en son nom propre.

S'agissant de la libre circulation des travailleurs, elle rappelle que l'article 51 du Traité "laisse subsister des différences entre les régimes de sécurité sociale des divers États membres et, en conséquence, dans les droits des personnes qui y travaillent." Elle précise que la disposition en cause s'applique indistinctement aux nationaux et aux ressortissants des autres États membres.

Elle en conclut que ni le droit communautaire, relatif à la libre circulation des personnes, ni l'article 4 § 1 de la directive 79/7 ne s'opposent à ce qu'un État membre applique à une pension d'un travailleur le taux "isolé" lorsque le conjoint de ce travailleur bénéficie lui- même d'un droit propre.

Dans sa seconde question, le tribunal belge demande si le juge national est tenu d'interpréter sa propre législation à la lumière du droit communautaire. La Cour observe que l'épouse du travailleur n'a jamais exercé d'activité, que selon la législation belge, la pension est plus élevée lorsque le conjoint du travailleur ne bénéficie pas d'un droit propre à pension de vieillesse, que la modification de la législation néerlandaise a été faite pour être le plus fidèle possible à l'esprit de la directive 79/7 - de plus, cette pension n'est pas due au titre d'une activité et le bénéficiaire ne peut pas y renoncer - et qu'enfin l'attribution d'une pension néerlandaise au conjoint n'a nullement modifié le montant des revenus de ce ménage.

Elle indique qu'en l'espèce, l'application de la législation nationale faite à un travailleur migrant de la même manière qu'à un travailleur qui aurait effectué toute sa carrière dans le même État, entraîne des répercussions qui ne sont pas compatibles avec le but des articles 48 à 51 du Traité.

La Cour rappelle le principe de coopération loyale énoncé à l'article 5 du Traité qui oblige les autorités compétentes des États membres à mettre en oeuvre tous les moyens dont elles disposent pour réaliser la libre circulation.

Elle en conclut que la législation nationale doit donner une interprétation conforme aux exigences du droit communautaire dans l'application de sa législation interne.

Article 5 du Traité : "Les États membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté. Ils facilitent à celle-ci l'accomplissement de sa mission.

Ils s'abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité."