Affaire C 157/99

Smits contre Stichting Ziekenfonds VGZ et Peerbooms contre Stichting CZ Groep Zorgverzekeringen

Arrêt du 12 juillet 2001

Libre prestation de services - Articles 59 du Traité (49 CE) et 60 du Traité (50 CE) - Assurance maladie - Système de prestations en nature - Conventionnement - frais d'hospitalisation engagés dans un autre État membre - Autorisation préalable - Critères - Justifications

" Les articles 59 du traité (devenu, après modification, article 49 CE) et 60 du traité CE (devenu article 50 CE) ne s'opposent pas à la législation d'un État membre, telle que celle en cause au principal, qui subordonne la prise en charge de soins dispensés dans un établissement hospitalier situé dans un autre État membre à l'obtention d'une autorisation préalable de la caisse de maladie à laquelle l'assuré est affilié et qui soumet l'octroi d'une telle autorisation à la double condition que, d'une part, le traitement puisse être considéré comme « usuel dans les milieux professionnels concernés », critère également appliqué lorsqu'il s'agit de déterminer si des soins hospitaliers dispensés sur le territoire national bénéficient d'une couverture, et que, d'autre part, le traitement médical de l'assuré l'exige. Il n'en va toutefois de la sorte que pour autant
- que l'exigence relative au caractère « usuel » du traitement soit interprétée de telle manière que l'autorisation ne puisse être refusée de ce chef lorsqu'il apparaît que le traitement concerné est suffisamment éprouvé et validé par la science médicale internationale, et
- que l'autorisation ne puisse être refusée du chef d'une absence de nécessité médicale que lorsqu'un traitement identique ou présentant le même degré d'efficacité pour le patient peut être obtenu en temps opportun auprès d'un établissement ayant conclu une convention avec la caisse de maladie dont relève l'assuré. "

L'affaire SMITS :

Mme SMITS qui souffre de la maladie de Parkinson, a demandé à la Stichting VGZ, par courrier du 5 septembre 1996, le remboursement de soins effectués en Allemagne dans le cadre du traitement de sa maladie.

Par décisions du 30 septembre et du 28 octobre 1996, la caisse néerlandaise a refusé de lui rembourser lesdits frais en se fondant sur le fait qu'un traitement satisfaisant et adéquat pouvait être également effectué aux Pays Bas.

Suite à une demande de l'assurée, le 14 novembre 1996, le Ziekenfonsdsraad a déclaré dans son avis du 7 avril 1997 que la décision de la Stichting VGZ est fondée.

Mme SMITS a introduit un recours contre la décision de la caisse au motif que le traitement effectué en Allemagne présentait des avantages par rapport à celui prodigué aux Pays Bas.

La juridiction néerlandaise déclare que d'une part, le traitement effectué en Allemagne ne constitue pas une prestation remboursée par la caisse néerlandaise et que d'autre part, un traitement satisfaisant et adéquat aurait pu être effectué aux Pays Bas. Elle a désigné un expert qui a déclaré, dans son rapport du 3 février 1998 qu'aucune indication strictement médicale ne justifiait l'hospitalisation et le traitement de l'assurée sur le territoire allemand.

L'affaire Peerbooms

Suite à un coma survenu en 1996, M. PEERBOOMS a été hospitalisé aux Pays Bas et ensuite, été transféré dans une clinique universitaire en Autriche où il a reçu des soins particuliers qui ne sont prodigués qu'à titre expérimental aux Pays Bas et pour une certaine partie de la population à laquelle l'intéressé n'appartient pas.

En date du 24 février 1997, le neurologue de l'assuré a sollicité la prise en charge des soins effectués sur le territoire autrichien. Cette demande a été rejetée par décision du 26 février 1997, rendue sur avis du médecin-conseil, au motif que des soins adéquats auraient pu être réalisés aux Pays Bas auprès d'une entité conventionnée. Un second refus fut à nouveau opposé audit neurologue le 5 mars 1997 et la Stichting CZ rejeta également la réclamation portée devant elle.

De retour aux Pays Bas, M. PEERBOOMS a introduit un recours auprès du tribunal compétent contre la décision de la caisse. La Cour relève que la caisse a refusé le remboursement des soins au motif que le traitement étant expérimental aux Pays Bas, ce type de prestations n'entre pas dans le cadre des soins soumis à remboursement. L'expert désigné par la juridiction néerlandaise a déclaré que l'assuré n'aurait pas pu bénéficier d'un traitement approprié et adéquat aux Pays Bas. Après l'intervention du neurologue de la Stichting CZ soulignant le caractère expérimental de la thérapie, l'expert a maintenu ses conclusions le 31 août 1998.

Par ordonnance du 28 avril 1999, la juridiction néerlandaise a sursis à statuer et a posé des questions préjudicielles sur le point de savoir :
- Si les articles 59 et 60 du traité CE énonçant la libre prestation des services sont incompatibles avec une législation prévoyant qu'un assuré doit obtenir une autorisation préalable de sa caisse de maladie afin d'être en mesure de s'adresser à une entité en dehors des Pays Bas en vue de faire valoir son droit à prestation.
- La réponse à la première question serait elle différente si le traitement dispensé dans l'autre État membre n'était pas considéré comme « usuel » aux Pays Bas ? Est il nécessaire que le système légal de l'autre État membre prévoit le remboursement de ce traitement ?
- Quelle sera la réponse à la première question si le traitement dispensé à l'étranger est considéré comme un traitement usuel et donc comme une prestation, mais que l'autorisation est refusée au motif que des soins adéquats auraient pu être dispensés aux Pays-Bas ?
- Si l'exigence d'une autorisation implique une entrave aux articles 59 et 60 du traité CE, l'intérêt général peut il justifier une telle entrave ?

La Cour reformule les deux questions préjudicielles en une seule : les articles 59 et 60 du traité s'opposent-ils à ce que la législation d'un État subordonne la prise en charge de soins dans un autre État membre à l'obtention d'une autorisation préalable de la caisse de maladie de l'assuré soumise à deux conditions ?
Ces deux conditions sont les suivantes :
- le traitement doit relever des prestations prises en charge par le système d'assurance maladie du premier État membre, autrement dit le traitement doit être considéré comme usuel dans ledit État.
- le traitement à l'étranger doit être nécessaire à l'état de l'assuré.

La Cour note que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale. En l'absence d'harmonisation communautaire, il appartient à chaque État membre de déterminer les conditions d'affiliation au régime de protection sociale et de droits aux prestations dans le respect du droit communautaire.

La Cour énonce que les activités médicales relèvent du champ d'application de l'article 60 du traité. Elle déclare que le fait que la réglementation nationale en cause au principal relève du domaine de la sécurité sociale n'est pas de nature à exclure l'application des articles 59 et 60 du traité sur la libre prestation des services.

La Cour examine si le fait de soumettre la prise en charge par l'assurance maladie de prestations effectuées sur le territoire d'un autre État membre à l'obtention d'une autorisation préalable soumise aux deux conditions vues plus haut est contraire au droit communautaire.

La Cour relève qu'au vu de la jurisprudence, l'article 59 du traité s'oppose à l'application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne dans un État membre.

La Cour relève que même si la caisse néerlandaise n'empêche pas les assurés d'effectuer des soins sur le territoire d'un autre État membre, elle subordonne cependant le remboursement des soins aux deux conditions susvisées. De surcroît, la Cour ajoute que les soins dispensés aux Pays Bas sont pris en charge par les caisses maladie sans être soumis à une autorisation préalable.

Par conséquent, la Cour conclut qu'une telle réglementation constitue une entrave à la liberté de prestation des services car elle décourage, voire empêche les assurés de recevoir des soins dans des États membres autre que l'État d'affiliation.

La Cour examine ensuite, si une telle réglementation peut être objectivement justifiée. En premier lieu, elle analyse les impératifs pouvant être invoqués qui justifieraient les obstacles à la libre prestation des services. Elle énonce que le risque d'atteinte grave à l'équilibre financier du système de sécurité sociale peut constituer une raison impérieuse d'intérêt général justifiant une entrave à la liberté de prestation des services. De plus, selon la Cour, le maintien d'un service médical et hospitalier équilibré et accessible peut justifier une telle entrave. Enfin, elle note que l'objectif de maintien d'une capacité de soins ou d'une compétence médicale du fait de son caractère essentiel pour la santé publique autorise le non-respect de la liberté de prestation de services.

La Cour énonce toutefois, que cette entrave ne doit pas excéder ce qui est objectivement nécessaire et que le même résultat ne doit pouvoir être obtenu par des règles moins contraignantes.

En second lieu, la Cour examine si le système de l'autorisation préalable est susceptible d'être justifié au regard de tels impératifs. L'autorisation préalable donnée par la caisse maladie néerlandaise pour effectuer des soins à l'étranger dans un établissement conventionné vise, d'une part, à garantir aux Pays Bas, un système équilibré et accessible et d'autre part, à maîtriser les coûts. De plus, si les assurés pouvaient librement s'adresser à n'importe quel établissement hospitalier situé sur le territoire d'un autre État membre, tout l'effort de planification au travers du système de conventionnement serait compromis. Aussi, la Cour relève que le droit communautaire n'interdit pas ce principe d'autorisation préalable, mais estime qu'il est néanmoins nécessaire que les conditions relatives à une telle autorisation soient justifiées et quelles soient proportionnelles.

La Cour rappelle que le fait de limiter les traitements médicaux pris en charge par le régime de protection sociale de l'État n'est pas contraire au droit communautaire. Cependant, cette limitation doit respecter les critères d'objectivité et d'indépendance, ne pas être établie de façon discrétionnaire et doit enfin être connue à l'avance. Toutefois, le système néerlandais n'a pas mis en place une liste préétablie, mais édicte une règle : les soins pris en charge sont ceux qui sont considérés comme « usuels dans les milieux professionnels concernés ». C'est l'interprétation qui en est faite qui déterminera selon la Cour, si la règle est objective. Elle relève que seule l'interprétation se référant à ce qui est suffisamment éprouvé et validé par la science médicale internationale (et non pas seulement au niveau national) peut être considérée comme objective et non-discrétionnaire. Aussi, l'interprétation faite par la caisse néerlandaise respecte les exigences communautaires d'objectivité et d'indépendance en ce qui concerne le lieu des soins ; en effet, ladite caisse examine le caractère « usuel » de manière objective indistinctement du lieu des soins.

La législation néerlandaise soumet l'octroi de ladite autorisation à la seconde condition que le traitement médical de l'assuré l'exige. Cette règle est généralement interprétée de la façon suivante : l'autorisation pourra être accordée dans la mesure où un traitement adéquat ne peut être dispensé en temps opportun aux Pays Bas. La Cour estime que cette seconde condition ne porte pas atteinte au droit communautaire.

La Cour conclut de l'ensemble de son argumentation que la législation néerlandaise n'est pas contraire aux règles du droit communautaire et plus précisément à la liberté de prestation des services.