Affaire C 145/03

Héritiers d'Annette Keller c/ Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS), Instituto Nacional de gestion Sanitaria (Ingesa), anciennement Instituto Nacional de la Salud (Insalud)

Arrêt du 12 avril 2005

Règlement (CEE) n° 1408/71, articles 3 et 22 - Règlement n° 574/72, article 22 - Hospitalisation dans un État membre autre que l'État membre compétent - Nécessité de soins urgents à caractère vital - Transfert de l'assuré dans un établissement hospitalier d'un État tiers - Portée des formulaires E 111 et E 112

1. L’article 22, paragraphe 1, sous a), i), et c), i), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, et l’article 22, paragraphes 1 et 3 du règlement n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement n° 1408/71, dans leur version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, doivent être interprétés en ce sens que l’institution compétente qui a consenti, par la délivrance d’un formulaire E 111 ou d’un formulaire E 112, à ce que l’un de ses assurés sociaux reçoive des soins médicaux dans un autre État membre que l’État membre compétent et liée par les constatations relatives à la nécessité de soins urgents à caractère vital, effectuées au cours de la période de validité du formulaire par des médecins agréés par l’institution de l’État membre de séjour, ainsi que par la décision de tels médecins, prise, au cours de cette même période, sur le fondement desdites constatations et de l’état des connaissances médicales du moment, de transférer l’intéressé dans un établissement hospitalier situé dans un autre État, ce dernier fût-il un État tiers. Toutefois, dans une telle situation, conformément à l’article 22, paragraphe 1, sous a), i), et c), i), du règlement n° 1408/71, le droit de l’assuré aux prestations en nature servies pour le compte de l’institution compétente est soumis à la condition que, selon la législation appliquée par l’institution de l’État membre de séjour, celle-ci soit tenue de servir à une personne qui y est affiliée les prestations en nature correspondant à de tels soins.

Dans de telles circonstances, l’institution compétente n’est pas en droit ni d’exiger le retour de l’intéressé dans l’État membre compétent aux fins de l’y soumettre à un contrôle médical, ni de faire contrôler celui-ci dans l’État membre de séjour, ni de soumettre les constatations et les décisions susmentionnées à une approbation de sa part.

2. Dans le cas où des médecins agréés par l’institution de l’État membre de séjour ont opté, pour des raisons d’urgence vitale et au vu des connaissances médicales du moment, pour le transfert de l’assuré dans un établissement hospitalier situé sur le territoire d’un État tiers, l’article 22, paragraphe 1, sous a), i), et c) i), du règlement n° 1408/71 doit être interprété en ce sens que les soins prodigués dans ce dernier État doivent être pris en charge par l’institution de l’État membre de séjour conformément à la législation appliquée par cette dernière institution, dans des conditions identiques à celles dont bénéficient les assurés sociaux qui relèvent de cette législation. S’agissant de soins figurant parmi les prestations prévues par la législation de l’État membre compétent, il appartient ensuite à l’institution de ce dernier État de supporter la charge des prestations ainsi servies, en remboursant l’institution de l’État membre de séjour dans les conditions prévues à l’article 36 du règlement n° 1408/71.

Dès lors que les soins prodigués dans l’établissement situé dans un État tiers n’ont pas été pris en charge par l’institution de l’État membre de séjour, mais qu’il est établi que la personne concernée était en droit d’obtenir une telle prise en charge et que lesdits soins figurent parmi les prestations prévues par la législation de l’État membre compétent, il incombe à l’institution compétente de rembourser directement à ladite personne ou à ses ayants droit le coût de ces soins de manière à garantir un niveau de prise en charge équivalent à celui dont cette personne aurait bénéficié si les dispositions de l’article 22, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 avaient été appliquées.

Madame Keller, ressortissante allemande, résidant en Espagne est affilée au régime de sécurité sociale espagnol. Un formulaire E 111 lui a été délivré par l’institution espagnole pour un séjour en Allemagne pour la période du
15 septembre au 15 octobre 1994.

Durant son séjour elle a été admise dans un établissement de soins allemand qui a diagnostiqué une tumeur maligne. L’institution espagnole, sur demande de l’institution allemande a délivré pour la période du 24 octobre 1994 au 21 juin 1996 une série de formulaires E 112, au motif que, compte tenu de la gravité de l’état de santé, le transfert en Espagne était déconseillé. Par la suite la clinique allemande dans laquelle séjournait Madame Keller a estimé que son état exigeait une intervention chirurgicale qui ne pouvait être pratiquée qu’en Suisse, État tiers qui n’avait pas encore conclu d’accord avec l’Union européenne. L’intéressée a donc été transférée à Zurich où, du 10 au 25 novembre 1994 elle a été hospitalisée et du 15 décembre 1994 au 22 janvier 1995 elle s’est soumise à une radiothérapie. Le coût global des soins en Suisse a été réglé directement par Madame Keller qui en a ensuite réclamé le remboursement à l’institution espagnole d’affiliation. Cette dernière a refusé de rembourser au motif que la prise en charge de soins médicaux dans un État tiers nécessitait une autorisation expresse préalable. Madame Keller est décédée au cours de la procédure et ses héritiers ont repris l’instance.

Le tribunal espagnol demande à la Cour de justice des Communautés européennes si la délivrance par une institution d’affiliation d’un formulaire E 111 ou E 112 implique que l’institution qui a délivré l’attestation est liée par les constatations effectuées par les services médicaux de l’État membre dans lequel l’assuré social séjourne, ainsi que par l’option thérapeutique prise par lesdits services de transférer le malade dans un établissement hospitalier situé dans un État tiers.

La Cour constate que selon l’article 22 du règlement n° 1408/71 il revient à l’institution compétente de décider de l’octroi de l’autorisation de transfert pour se faire soigner et à l’institution du lieu de séjour de servir les prestations comme si l’intéressé était assuré auprès de ses services. L’institution d’affiliation s’en remet aux médecins agréés de l’institution de l’État membre de séjour, elle est tenue d’accepter et de reconnaître les constatations effectuées et les options thérapeutiques arrêtées par ces médecins, comme si celles-ci émanaient de ses propres médecins ; les médecins établis dans le pays de séjour qui sont mieux à même d’apprécier la situation du malade et les soins immédiats requis par son état, peuvent décider de transférer l’intéressé dans un État non membre de l’Union européenne, si pour ses propres assurés de tels soins sont pris en charge.

Dans ces conditions l’institution compétente n’est ni en droit d’exiger le retour de son assuré sur son territoire en vue d’un contrôle médical, ni de faire effectuer le contrôle dans l’État de séjour, ni de soumettre la décision prise par les médecins de l’État de séjour à une approbation de sa part.

S’agissant de la prise en charge des frais exposés, la Cour observe que selon l’article 22 du règlement l’institution du lieu de séjour prend en charge les frais dans les mêmes conditions que pour ses propres assurés, il appartient ensuite à l’institution compétente de procéder au remboursement des frais ainsi exposés. Que les soins médicaux soient prodigués en dehors du territoire de l’État membre de séjour ne créé pas une situation différente de celle dans laquelle les soins auraient été fournis sur le territoire de l’État de séjour, dans la mesure où dans les deux cas le montant du remboursement est celui prévu par la législation qu’applique l’institution du lieu de séjour.

Dès lors que les frais n’ont pas été pris en charge par l’institution du lieu de séjour, mais qu’une telle prise en charge aurait pu être effectuée, et que les soins figurent parmi les prestations prévues par la législation de l’État membre compétent, l’institution compétente est tenue de garantir un remboursement à l’assurée ou ses héritiers au moins équivalent à celui qui aurait été effectué par l’institution du lieu de séjour.