Affaire C 140/12

Pensionsversicherungsanstalt contre Peter Brey

Arrêt du 19 septembre 2013

Libre circulation - Citoyen de l'Union européenne - Droit au séjour de plus de trois mois - Personne n'ayant plus la qualité de travailleur - Titulaire d'une pension de retraite - Conditions de ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour le système d'assurance sociale de l'État membre d'accueil - Demande de prestations spéciales à caractère non contributif - Compétence de l'État membre de résidence - Conditions d'octroi - Droit de séjour légal sur le territoire national - Conformité avec le droit de l'Union

« Le droit de l'Union, tel qu'il résulte, notamment, des articles 7, paragraphe 1, sous b), 8, paragraphe 4, et 24, paragraphes 1 et 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation d'un État membre, telle que celle en cause au principal, qui, même pour la période postérieure aux trois premiers mois de séjour, exclut en toutes circonstances et de manière automatique l'octroi d'une prestation telle que le supplément compensatoire prévu à l'article 292, paragraphe 1, de la loi générale relative à la sécurité sociale (Allgemeines Sozialversicherungsgesetz), telle que modifiée, à compter du 1er janvier 2011, par la loi budgétaire de 2011 (Budgetbegleitgesetz 2011) à un ressortissant d'un autre État membre économiquement non actif, au motif que celui-ci, malgré le fait qu'une attestation d'enregistrement lui a été délivrée, ne remplit pas les conditions pour bénéficier d'un droit de séjour légal de plus de trois mois sur le territoire du premier État, dès lors que l'existence d'un tel droit de séjour est subordonnée à l'exigence que ce ressortissant dispose de ressources suffisantes pour ne pas demander ladite prestation. »

Cette affaire oppose Monsieur Brey au Pensionsversicherungsanstalt au sujet du refus d'attribution d'un complément de pension du régime autrichien destiné à garantir un minimum vital en cas de pension insuffisante. Monsieur Brey et son épouse ont quitté l'Allemagne pour s'installer en Autriche en mars 2011. Compte tenu du faible montant de sa pension allemande l'intéressé a demandé à bénéficier du complément de pension autrichien qui est une prestation spéciale à caractère non contributif au sens de l'article 4, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1408/71 [devenu l'article 70 du règlement (CE) n° 883/2004] dès lors qu'il complète une pension de vieillesse ou d'invalidité d'un montant insuffisant. Cette prestation a été refusée à l'intéressé au motif qu'en raison du faible montant de sa pension, il ne disposait pas de ressources suffisantes pour justifier d'un séjour de plus de 3 mois en Autriche et bien que l'administration cantonale autrichienne avait délivré à l'intéressé et à son épouse une attestation d'enregistrement en qualité de citoyen de l'EEE.

La juridiction autrichienne saisie de l'affaire demande à la Cour de justice de l'Union européenne si un État membre peut refuser un ressortissant non actif, d'un autre État membre, l'octroi d'un supplément compensatoire au motif que l'intéressé ne remplit pas une des conditions pour bénéficier d'un séjour légal d'une durée supérieure à 3 mois, à savoir : disposer de ressources suffisantes pour ne pas demander cette prestation.

La Cour rappelle qu'elle a déjà été amenée à préciser que la prestation compensatoire autrichienne était une prestation spéciale à caractère non contributif qui devait, conformément à l'article 4 du règlement (CEE) n° 1408/71 être servie exclusivement par l'institution de l'État membre de résidence et rester à la charge de cet État. Le règlement (CE) n° 883/2004 reprend les dispositions relatives aux prestations spéciales à caractère non contributif.

La cour rappelle que le droit de séjour des ressortissants européens sur le territoire d'un autre État membre sans y exercer d'activité professionnelle est reconnu sous certaines conditions et limitations. Il peut en effet être exigé des intéressés qu'ils disposent pour eux-mêmes et pour les membres de leur famille d'une assurance maladie complète dans l'État membre d'accueil et de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale de l'État concerné.

Elle précise que si le règlement (CE) n° 883/2004 vise à garantir aux citoyens européens qui ont fait usage de leur droit à la libre circulation le maintien du droit à certaines prestations de sécurité sociale, la directive 2004/38 permet à l'État membre d'accueil d'imposer aux citoyens de l'Union européenne qui n'ont pas ou plus la qualité de travailleur, des restrictions légitimes en ce qui concerne l'octroi de prestations sociales afin que ces derniers ne deviennent pas une charge pour le système d'assistance sociale de l'État concerné. La notion de « système d'assistance sociale » au sens de l'article 7, paragraphe 1, sous b) de la directive 2004/38 doit être déterminée non pas en fonction de critères formels, mais de l'objectif poursuivi par cette disposition.

Elle ajoute que le supplément compensatoire autrichien peut être regardé comme relevant du système d'assistance sociale dans la mesure où il vise à garantir un minimum vital à son bénéficiaire en cas de pension insuffisante et qu'il est intégralement financé par les pouvoirs publics sans aucune contribution des assurés.

Toutefois, pour la Cour la directive 2004/38 n'exclut nullement toute possibilité d'octroi dans l'État membre d'accueil de prestations sociales à des ressortissants d'autres États membres. De plus, l'article 8, paragraphe 4, première phrase, de la directive 2004/38 prévoit que les États membres doivent tenir compte de la situation personnelle de l'intéressé.

Si la Cour reconnait aux États membres le pouvoir de fixer un montant de ressources de référence, ils ne peuvent pas imposer un montant de revenu minimal en dessous duquel il serait présumé qu'une personne ne dispose pas de ressources suffisantes.

Avant d'adopter une mesure d'éloignement il convient de déterminer si l'intéressé rencontre des difficultés d'ordre temporaire et prendre en compte la durée du séjour et la situation personnelle.

Il n'est pas possible d'exclure de manière automatique l'octroi d'une prestation du type du supplément compensatoire autrichien à un ressortissant inactif d'un autre État membre au motif que l'intéressé ne bénéficie pas des conditions pour bénéficier d'un séjour légal de plus de trois mois, dès lors que l'existence du droit au séjour est subordonné à l'exigence que l'intéressé dispose de ressources suffisantes pour ne pas demander la prestation en cause.

La Cour ajoute que les conditions fixées à l'article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 doivent être interprétées de manière stricte « dans le respect des limites imposées par le droit de l'Union et le principe de proportionnalité », dans la mesure où le droit à la libre circulation est un principe fondamental du droit de l'Union,.

Le seul fait de bénéficier d'une prestation d'assistance sociale n'est pas suffisant pour démontrer qu'il y a une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale de l'État membre d'accueil.

Il appartient aux autorités de l'État membre d'accueil de prendre en compte l'importance et la régularité des revenus dont dispose le requérant, la durée pendant laquelle la prestation demandée est susceptible d'être versée. C'est à la juridiction de renvoi qu'il appartient d'apprécier les faits et de déterminer si l'octroi d'une prestation supplémentaire telle que la prestation autrichienne est susceptible de présenter une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale.