Affaire C 118/00

Gervais Larsy et Instituut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants (INASTI)

Arrêt du 28 juin 2001

Sécurité sociale - Règlement (CEE) n° 1408/71 et 1248/92 - Pension de vieillesse - Règles anti-cumul - Inopposabilité conformément à un arrêt de la Cour de justice - Limitation des effets - Violation caractérisée du droit communautaire

1) "L'article 95 bis, paragraphes 4 à 6, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE)
n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, tel que modifié par le règlement (CEE) n° 1248/92 du Conseil, du 30 avril 1992, ne s'applique pas à une demande de révision d'une pension de retraite dont le montant a été limité, en vertu d'une règle anti cumul applicable dans un État membre, au motif que son bénéficiaire est également titulaire d'une telle pension versée par l'institution compétente d'un autre État membre, lorsque la demande de révision est fondée sur d'autres dispositions que celles du règlement n° 1248/92.

2) Le fait, pour l'institution compétente d'un État membre, d'appliquer l'article 95 bis, paragraphe 4 à 6, du règlement (CEE) n° 1408/71 à une demande de révision d'une pension de retraite, limitant ainsi la rétroactivité de la révision au détriment de l'intéressé, constitue une violation caractérisée du droit communautaire, dès lors que, d'une part, l'article 95 bis, paragraphes 4 à 6, du règlement (CEE) n° 1408/71 n'est pas applicable à la demande en cause et que, d'autre part, il résulte d'un arrêt de la Cour prononcé avant la décision de l'institution compétente que celle-ci avait appliqué de manière erronée une règle anti cumul dudit État membre, sans qu'il puisse être déduit du même arrêt que la rétroactivité de la révision pouvait être limitée."

Monsieur Gervais Larsy, ressortissant belge, a travaillé en qualité de travailleur non salarié en Belgique de 1941 à 1985 inclus et il a obtenu une pension de vieillesse complète (45/45) du régime belge. Par la suite en 1987 il a bénéficié d'une pension de vieillesse du régime français pour la période de 1964 à 1977. A la suite de la liquidation de la pension française, l'institution belge a procédé à la révision de la pension belge et a réduit cet avantage au prorata de 31/45, par application du principe de l'unicité de carrière prévu par la législation belge. L'intéressé a introduit un recours, qui a été rejeté en 1990 par le tribunal belge. Toutefois, le jugement n'ayant pas été signifié, il n'est pas devenu définitif.

Le frère de l'intéressé se trouvant dans la même situation a également formé un recours devant les tribunaux belges. À la suite de ce recours une question préjudicielle sur les articles 12, paragraphe 2, et 46, du règlement (CEE) n° 1408/71 a été posée à la Cour de justice des Communautés européennes.

Dans son arrêt du 2 août 1993, Larsy (C-31/92, Rec. p. I-4543), la Cour a indiqué que les articles précités ne s'opposaient pas à l'application des règles anticumul nationales lors de la détermination de la pension nationale. Par contre, ces règles anticumul ne peuvent pas être appliquées pour déterminer une pension conformément à l'article 46. De plus, le paragraphe 3 de l'article 46 s'opposait à l'application d'une règle anti cumul à une personne qui avait travaillé pendant une même période dans deux États membres et qui a été soumise obligatoirement au versement de cotisations dans chacun des États.

Compte tenu de la position de la Cour de justice, le tribunal belge avait attribué une pension complète belge au frère de Monsieur Gervais Larsy. Ce dernier a demandé la régularisation de sa situation dans les mêmes conditions que celle de son frère. L'INASTI lui a demandé d'introduire une nouvelle demande dans le cadre du paragraphe 5 de l'article 95 bis du règlement (CEE) n° 1408/71 qui prévoit les révisions des pensions dans le cadre du règlement n° 1248/92. L'INASTI a liquidé une nouvelle pension avec effet au 1er juillet 1994.

Après avoir pris contact avec la Commission, Monsieur Larsy a fait appel du jugement du tribunal belge du 24 avril 1990 et l'INASTI a reconnu des droits à pension sur la base de 45/45 à compter du 1er mars 1987. Toutefois, il a estimé qu'en l'absence de faute, il ne pouvait pas être condamné au paiement de dommages et intérêts.

Le tribunal belge, afin de pouvoir se prononcer sur la demande de dommage et intérêts présentée par l'intéressé, demande à la Cour de justice si l'article 95 bis, paragraphes 4 à 6 du règlement (CEE) n° 1408/71 s'applique à une demande de révision d'une pension de retraite, dont le montant a été limité en vertu d'une règle anti cumul applicable dans un État membre, au motif que le titulaire bénéficie d'une autre pension de retraite, servie par l'institution d'un autre État membre.

La Cour indique que l'article 95 bis ayant été introduit dans le règlement (CEE) n° 1408/71 à titre transitoire pour l'application du règlement n° 1248/92, le droit à révision prévu par cet article doit être fondé sur les nouvelles dispositions introduites par le règlement n° 1248/92.

Elle constate que dans le cas particulier, le requérant n'invoquait pas une disposition quelconque du règlement n° 1248/92 qui lui serait plus favorable, il demandait simplement l'application des articles 12 et 46 du règlement (CEE) n° 1408/71 et l'attribution d'une pension de retraite complète, y compris pour la période pendant laquelle il avait bénéficié d'un avantage d'un autre État membre. Il n'y avait donc pas lieu en l'espèce d'invoquer l'article
95 bis.

Dans sa deuxième question le tribunal belge demande si le fait d'appliquer l'article 95 bis, paragraphes 4 à 6, du règlement (CEE) n° 1408/71, à une demande de révision de pension et en limitant de cette manière la rétroactivité de la révision au détriment de l'intéressé, constitue une violation caractérisée du droit communautaire dans la mesure où une jurisprudence de la Cour était applicable en l'espèce.

La Cour constate que dans cette affaire les articles 12 et 46 du règlement conféraient à Monsieur Larsy un droit à une pension de retraite complète et que l'article 95 bis ne pouvait en aucun cas limiter dans le temps le bénéfice de ce droit, contrairement à ce qui a été fait par l'institution belge.

La Cour précise qu'en refusant de liquider la pension de Monsieur Larsy de la même manière que celle de son frère, l'INASTI n'a pas tiré toutes les conséquences d'un de ses arrêts qui apportait une interprétation du règlement (CEE) n° 1408/71, dispositions qui étaient applicables à la situation de l'intéressé.

S'agissant de l'article 95 bis du règlement (CEE) n° 1408/71, la Cour relève que son application a eu pour effet de limiter dans le temps les dispositions des articles 12 et 46 du règlement. Elle précise que "la primauté du droit communautaire impose non seulement aux juridictions, mais également à toutes les instances de l'État de donner plein effet à la norme communautaire".