Affaire C 116/94

Jennifer Meyers contre Adjudication Officer

Arrêt du 13 juillet 1995

Égalité de traitement entre les hommes et les femmes - Directive 76/207/CEE - Conditions d'accès aux emplois - Conditions de travail - Family credit

"Une prestation ayant les caractéristiques et la finalité du "Family credit" a pour objet l'accès à l'emploi et les conditions de travail et, dès lors, entre dans le champ d'application de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail. "

Cette affaire porte sur la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail et sur son application à une aide familiale telle que le "Family credit".

Madame Jennifer Meyers ouvre droit au versement du "Family credit" qui, en Grande- Bretagne, est versé à condition que les ressources ne dépassent pas un certain plafond, que le demandeur, ou s'il est membre d'un couple, lui-même ou l'autre membre du couple, exerce une activité rémunérée et qu'il ait à charge un enfant. Cette prestation a pour but de compléter le régime des prestations sociales et de faire en sorte que les familles qui travaillent ne se trouvent pas dans une situation matérielle plus désavantageuse que celles qui ne travaillent pas. Cette prestation est accordée pour 26 semaines, que la situation du demandeur change ou ne change pas durant cette période. Si la prestation est accordée à un couple, elle est versée dans tous les cas à la femme, même si elle ne travaille pas.

Le 26 avril 1989, Madame Meyers formule une demande de "Family credit" pour elle même et sa fille âgée de trois ans. Cette demande est rejetée au motif que ses revenus sont trop élevés. Il faut préciser que pour l'attribution de cette prestation les frais de garde des enfants sont exclus des déductions des ressources. Si les frais de garde de la fille de Madame Meyers avaient été pris en compte, l'intéressée aurait pu prétendre au "Family credit". Madame Meyers fait donc valoir que le mode de calcul du revenu constitue une discrimination indirecte à l'égard des parents isolés. En effet, les couples peuvent s'entendre pour se partager la garde des enfants, ce qui n'est pas le cas des parents isolés qui doivent rémunérer une personne pour garder leur enfant. Il est donc plus difficile pour un parent isolé d'accepter un travail mal rémunéré. La grande majorité des parents isolés sont des femmes, il y aurait donc, selon Madame Meyers, une discrimination indirecte à l'égard de celles-ci.

Le tribunal britannique admet qu'il s'agit d'une discrimination à l'égard des femmes, et que Madame Meyers pourra se prévaloir de la directive si le "Family credit" entre dans le champ d'application de celle-ci. La question posée à la Cour de Justice est donc la suivante : "une prestation ayant les caractéristiques et la finalité du "Family credit" entre-t-elle dans le champ d'application de la directive 76/207/CEE du Conseil ?"

La Cour indique que l'article 1er § 1 de la directive vise la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'accès à l'emploi, à la formation professionnelle et aux conditions de travail. Le paragraphe 2 de l'article précité prévoit qu'en vue d'assurer la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement en matière de sécurité sociale, des mesures seraient arrêtées par le Conseil afin d'en préciser le contenu, la portée et les modalités d'application.

Le gouvernement britannique fait valoir que le "Family credit" est exclu du champ d'application de la directive car il s'agit d'une prestation de sécurité sociale destinée à assurer un complément de revenu aux personnes disposant de ressources insuffisantes pour subvenir à leurs besoins. La Cour indique que l'appartenance d'une prestation à un système de sécurité sociale n'est pas suffisante pour exclure cette prestation du champ d'application de la directive. Elle précise que dans son arrêt du 16 juillet 1992 (Hughes, affaire n° C 78/91, elle avait retenu la seconde fonction du "Family credit" (compenser les charges de la famille), pour considérer qu'une prestation comme le "Family credit" entrait dans le champ d'application du règlement (CEE) n° 1408/71. Mais cette prestation, comme elle l'avait déjà observé, a une autre fonction qui consiste à maintenir des travailleurs mal rémunérés au travail en leur procurant un supplément de revenu. Un des objectifs de cette prestation est de faciliter la décision d'accepter ou de continuer à exercer une activité mal rémunérée. La notion d'exercice d'une activité figure d'ailleurs parmi les conditions d'attribution du "Family credit".

La Cour observe que dans la mesure où la perspective de percevoir le "Family credit" en cas d'acceptation d'un emploi à bas salaire incite le travailleur en chômage à accepter cet emploi, cela prouve bien que cette prestation se rapporte à des considérations d'accès à l'emploi. La Cour conclut qu'une prestation du type du "Family credit" qui a pour objet l'accès à l'emploi et les conditions de travail entre dans le champ d'application de la directive.