Affaire C-115/24

UJ contre Österreichische Zahnärztekammer (chambre autrichienne des médecins-dentistes)

Arrêt du 11 septembre 2025

Renvoi préjudiciel - Santé publique - Soins de santé transfrontaliers - Directive 2011/24/UE - Article 3, sous d) et e) - Prestation de soins de santé par télémédecine - Notion de "télémédecine" - Soins de santé transfrontaliers dispensés par télémédecine - Traitement médical complexe comprenant des soins de santé dispensés par télémédecine et en présentiel - Etat membre de traitement - Directive 2000/31/CE - Service de la société de l'information - Directive 2005/36/CE - Qualifications professionnelles - Liberté de prestation des services - Champ d'application - Article 56 TFUE

  1. L'article 3, sous d) et e), de la directive 2011/24/UE relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers doit être interprété en ce sens que : la notion de soins de santé transfrontaliers dispensés dans le cas de la télémédecine correspond uniquement aux soins de santé dispensés à un patient par un prestataire de soins de santé établi dans un Etat membre autre que l'Etat membre d'affiliation de ce patient, à distance et donc sans la présence physique simultanée au même endroit du patient et du prestataire, exclusivement au moyen des technologies de l'information et de la communication.
  2. L'article 3d de la directive 2011/24 doit être interprété en ce sens qu'il s'applique à tous les domaines régis par cette directive et non pas seulement au remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers visés à l'article 7 de la directive.
  3. L'article 3d de la directive 2011/24 et l'article 3§1 de la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique doivent être interprétés en ce sens que : les prestations de télémédecine doivent être dispensées conformément à la législation de l'Etat membre dans lequel le prestataire est établi.
  4. L'article 5 de la directive 2005/36/CE relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles doit être interprété en ce sens que : cette directive ne s'applique ni à un prestataire de soins de santé transfrontaliers dans le cas de la télémédecine ni à un prestataire, établi dans un Etat membre, qui, sans se déplacer lui‑même, fait effectuer, par un prestataire établi dans un autre Etat membre, des prestations de soins de santé en présentiel au profit d'un patient résidant dans ce dernier Etat.

I. Faits et procédure

Dans cette affaire, la juridiction autrichienne interroge la CJUE dans le cadre d'un litige opposant une dentiste établie en Autriche (UJ) à la chambre autrichienne des médecins-dentistes. Cette dernière a introduit une action en cessation assortie d'une demande en référé (procédure d'urgence permettant d'ordonner rapidement des mesures provisoires) visant à interdire à UJ de participer à des activités de médecine dentaire exercées en Autriche par 2 sociétés établies en Allemagne qui ne disposent pas des autorisations prévues par le droit autrichien. En réalité, le traitement orthodontique litigieux (mise en place d'un aligneur dentaire) comprend des soins préliminaires prodigués en présentiel par un dentiste autrichien partenaire comme UJ (anamnèse, entretien d'information, scanner de la mâchoire) et des soins de télémédecine s'agissant du suivi ultérieur assuré par l'une des entreprises allemandes (via une application permettant aux patients de transmettre des images de leur dentition).

Le juge national doute quant à l'interprétation de la notion de télémédecine au sens de la directive 2011/24/UE sur les soins de santé transfrontaliers. Elle définit les soins de santé transfrontaliers comme des soins de santé dispensés ou prescrits dans un Etat membre autre que l'Etat d'affiliation (article 3e). En principe, l'Etat de traitement correspond au pays où les soins sont effectivement dispensés au patient. Par dérogation dans le cas de la télémédecine, les soins sont considérés comme dispensés dans l'Etat où le prestataire de soins est établi (article 3d).

II. Réponse de la Cour

Dans ce contexte, la Cour relève que la directive 2011/24 ne définit pas la télémédecine et ne prévoit aucun renvoi au droit des Etats membres. Ce terme constitue une notion autonome du droit de l'Union. Il doit être interprété selon son sens habituel en langage courant (interprétation littérale), en tenant compte du contexte (interprétation contextuelle), des objectifs de la réglementation dont il fait partie (interprétation téléologique) et de sa genèse. L'étymologie du mot télémédecine fait référence à des services de santé fournis à distance, c'est-à-dire sans la présence physique simultanée au même endroit du prestataire et du patient, au moyen des technologies de l'information et de la communication. Dans le cadre de la directive 2011/24, les soins de télémédecine peuvent être dispensés dans un Etat différent du pays d'affiliation, présentant ainsi un caractère transfrontalier comme en l'espèce (Etat d'affiliation = Autriche ; Etat de traitement / d'établissement du prestataire des soins de télémédecine = Allemagne). En raison des spécificités de la télémédecine tenant à la prestation à distance, la directive sur les soins transfrontaliers prévoit une règle dérogatoire pour déterminer l'Etat de traitement et le droit applicable à cette pratique médicale. Les soins transfrontaliers de télémédecine sont soumis à la législation de l'Etat d'établissement du prestataire, incluant les normes en vigueur dans cet Etat en matière de qualité, sécurité et responsabilité.

La CJUE conclut que :