Affaire C 103/94

Zoulika Krid contre Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse des Travailleurs Salariés (CNAVTS)

Arrêt du 5 avril 1995

Accord de coopération CEE-Algérie, article 39 § 1 - Effet direct - Principe de non discrimination - Champ d'application personnel et matériel - Allocation supplémentaire du Fonds National de Solidarité

"L'article 39, paragraphe 1, de l'accord de coopération entre la Communauté économique européenne et la République algérienne démocratique et populaire, signé à Alger le 26 avril 1976 et approuvé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) n° 2210/78 du Conseil, du 26 septembre 1978, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un État membre refuse d'accorder une prestation telle que l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité, prévue par sa législation en faveur des nationaux ayant leur résidence dans cet État, à la veuve d'un travailleur algérien, laquelle réside dans cet État membre et y bénéficie d'une pension de réversion, au motif que l'intéressée est de nationalité algérienne. "

Madame KRID, de nationalité algérienne, veuve d'un ressortissant algérien ayant uniquement travaillé en France a bénéficié d'une pension de réversion servie par la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse des Travailleurs Salariés à partir du 1er novembre 1992. Le 23 juin 1993, elle a formulé une demande d'allocation supplémentaire du Fonds National de Solidarité qui a été rejetée par la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse des Travailleurs Salariés au motif que l'intéressée était de nationalité algérienne et que la convention franco-algérienne du 1er octobre 1980 ne prévoit pas le versement d'une telle allocation.

Le rejet de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse des Travailleurs Salariés était conforme aux articles L. 815-2 et L. 815-5 du code de la sécurité sociale selon lesquels l'allocation supplémentaire est servie aux personnes de nationalité française ou aux ressortissants étrangers sous réserve de la signature de conventions internationales de réciprocité.

Le tribunal des affaires sociales de Nanterre, saisi de cette affaire, a demandé à la Cour de Justice des Communautés Européennes si l'allocation supplémentaire du Fonds National de Solidarité, visée à l'article 10 bis du règlement n° 1408/71 est réservée aux seuls ressortissants communautaires ou si elle peut être servie à des ressortissants algériens résidant en France, en application de l'article 39 de l'accord de coopération entre la CEE et l'Algérie ou / et en application du règlement.

La Cour indique que pour répondre au tribunal français, il convient de déterminer dans un premier temps si l'article 39 § 1 de l'accord CEE-Algérie est d'application direct et dans un deuxième temps si cette disposition vise la situation d'un membre de la famille d'un travailleur algérien bénéficiant d'une pension de réversion.

1. Effet direct de l'article 39, paragraphe 1, de l'accord CEE-Algérie

L'article 39 § 1 de l'accord CEE-Algérie est rédigé de la même manière que l'article 41 § 1 de l'accord CEE-Maroc. Or, la Cour de Justice, dans l'affaire Kziber (arrêt du 31 janvier 1991 n° C 18/90) comme dans l'affaire Yousfi (arrêt du 20 avril 1994 n° C 58/93) a reconnu à l'article 41 § 1 consacrant l'interdiction de discrimination un effet direct permettant aux personnes auxquelles cette disposition s'applique de s'en prévaloir devant les juridictions nationales. La Cour conclut donc que l'on doit reconnaître à l'article 39 § 1 de l'accord CEE-Algérie un effet direct.

Cet effet direct étant reconnu, il s'agissait alors pour la Cour de démontrer que Madame KRID était visée dans le champ d'application personnel de l'article 39 § 1 de l'accord et qu'une prestation telle que l'allocation supplémentaire relevait du domaine de la sécurité sociale, conformément à cet article.

2. Portée du principe de non discrimination

S'agissant du champ d'application personnel de l'article 39 § 1 de l'accord, la Cour observe que cet article vise le travailleur de nationalité algérienne de manière large. C'est à dire qu'il peut s'agir de travailleurs actifs, comme de travailleurs ayant quitté le marché du travail pour bénéficier d'une pension de vieillesse ou d'une prestation au titre d'une autre branche de la sécurité sociale. S'il ne fait pas de doute que cet article s'applique au membre de la famille résidant avec le travailleur dans l'État membre où il est occupé, qu'en est-il du survivant de ce travailleur ?

La Cour observe que le paragraphe 2 comme le paragraphe 4 de l'article 39 font référence aux pensions et rentes de décès en faveur de la famille du travailleur algérien, elle en conclut que le paragraphe 1 de cet article vise donc les membres de la famille du travailleur algérien qui après le décès de ce dernier continuent à résider sur le territoire de l'État où le travailleur était occupé. Madame KRID est donc visée dans le champ d'application personnel de l'article 39 § 1.

S'agissant du champ d'application matériel, la Cour se référant aux arrêts Kziber et Yousfi précise que la notion de sécurité sociale doit être comprise par référence au règlement n° 1408/71. Elle rappelle que même avant l'entrée en vigueur du règlement n° 1247/92, qui introduit expressément dans le champ d'application matériel du règlement, les prestations spéciales à caractère non contributif, elle avait toujours considéré que des prestations comme l'allocation supplémentaire étaient visées dans le champ d'application du règlement lorsqu'elles étaient destinées à venir en complément d'une pension relevant de la sécurité sociale.

Au cours de la procédure, le gouvernement français a fait savoir qu'il ne contestait pas le fait que le conjoint d'un travailleur algérien rentrait dans le champ d'application ratione personae et que l'allocation supplémentaire rentrait quant à elle dans le champ d'application matériel de l'article 39 § 1 de l'accord. Toutefois, il ajoutait que la prestation en cause ne pouvait pas être servie à Madame KRID dans la mesure où cette allocation était conçue en droit français comme un droit propre et non pas comme un droit dérivé.

En effet, cette distinction entre droits propres et droits dérivés a été faite par la Cour dans certains arrêts lorsqu'elle a été amenée à se prononcer sur le champ d'application personnel du règlement n° 1408/71. Si le travailleur peut bénéficier de prestations prévues par le règlement en tant que droits propres, les membres de sa famille par contre ne peuvent revendiquer que les droits dérivés, c'est à dire les droits acquis en raison de la qualité de membre de la famille d'un travailleur migrant.

Sur ce point, la Cour écarte toute référence au règlement n° 1408/71 et indique "que l'article 39 § 1 de l'accord se borne à consacrer le principe de l'absence de toute discrimination fondée sur la nationalité des travailleurs migrants algériens et des membres de leur famille résidant avec eux par rapport aux propres ressortissants des États membres dans lesquels ils sont occupés. Elle en conclut que l'allocation supplémentaire doit être servie à Madame KRID.