Affaire C-67/14

Jobcenter Berlin Neukölln Contre Nazifa Alimanovic, Sonita Alimanovic, Valentina Alimanovic, Valentino Alimanovic

Arrêt du 15 septembre 2015

Renvoi préjudiciel - Libre circulation des personnes - Citoyenneté de l'Union - Égalité de traitement - Directive 2004/38/CE - Article 24, paragraphe 2 - Prestations d'assistance sociale - Règlement (CE) nº 883/2004 - Articles 4 et 70 - Prestations spéciales en espèces à caractère non contributif - Ressortissants d'un État membre à la recherche d'un emploi séjournant sur le territoire d'un autre État membre - Exclusion - Maintien du statut de travailleur

« L'article 24 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, et l'article 4 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (UE) no 1244/2010 de la Commission, du 9 décembre 2010, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une réglementation d'un État membre qui exclut du bénéfice de certaines «prestations spéciales en espèces à caractère non contributif», au sens de l'article 70, paragraphe 2, du règlement no 883/2004, et qui sont également constitutives d'une «prestation d'assistance sociale», au sens de l'article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, les ressortissants d'autres États membres qui se trouvent dans la situation telle que celle visée à l'article 14, paragraphe 4, sous b), de ladite directive, alors que ces prestations sont garanties aux ressortissants de cet État membre qui se trouvent dans la même situation. »

Ce litige oppose le centre pour l'emploi de Berlin Neukölln à Nazifa Alimanovic et à ses trois enfants au sujet de l'annulation par cette agence de l'octroi de prestations d'assistance. En l'espèce, il s'agit de prestations d'assurance de base prévue par la législation allemande.

Madame Alimanovic, née en Bosnie, et ses enfants, nés en Allemagne, ont la nationalité suédoise. Après avoir vécu en Suède entre 1999 et 2010, ils rentrent en Allemagne et obtiennent une attestation de séjour illimité le 1er juillet 2010. Madame Alimanovic et une de ses filles y ont trouvé des emplois de courte durée (moins d'un an). Ensuite, elles ont bénéficié, entre le 1er décembre 2011 et le 31 mai 2012, de l'allocation de subsistance pour chômeurs de longue durée. Les deux autres enfants de Madame Alimanovic ont perçu l'allocation sociale pour bénéficiaires inaptes à travailler.

Le 19 décembre 2011, le gouvernement allemand émet des réserves à la convention d'assistance, stipulées comme suit : « Le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne ne s'engage pas à faire bénéficier les ressortissants des autres Parties contractantes, à l'égal de ses propres ressortissants et aux mêmes conditions, des prestations prévues dans le livre II du code social [(Sozialgesetzbuch Zweites Buch, ci-après le 'livre II')] - Protection sociale de base pour les chercheurs d'emploi, dans sa version en vigueur au moment de la demande ».

Par conséquent, à compter du 31 mai 2012, le centre pour l'emploi de Berlin Neukölln a cessé d'attribuer les allocations à Madame Alimanovic et aux membres de sa famille.

Ils saisissent alors le tribunal du contentieux social de Berlin pour faire annuler la décision. La juridiction leur donne raison, notamment sur le fondement « de l'article 4 du règlement no 883/2004 qui interdit toute discrimination de citoyens de l'Union par rapport aux ressortissants de l'État membre concerné, lu en combinaison avec l'article 70 de ce règlement qui concerne les prestations spéciales en espèces à caractère non contributif ».

En appel, le centre pour l'emploi de Berlin Neukölln « fait valoir, en particulier, que les prestations visant à garantir des moyens d'existence au titre du livre II constituent des «prestations d'assistance sociale», au sens de l'article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, permettant ainsi une exclusion des chercheurs d'emploi du bénéfice de ces prestations ».

La Cour de justice de l'Union européenne est alors saisie du litige.

Il importe de préciser que, conformément à la décision rendue dans l'affaire Dano (arrêt du 11 novembre 2014, affaire C 333/13), « les «prestations spéciales en espèces à caractère non contributif» [...] relèvent du champ d'application de l'article 4 dudit règlement », c'est-à-dire que le principe de non-discrimination s'applique à ce type d'aides spéciales.

Par ailleurs, la Cour fédérale du contentieux social demande à la juridiction européenne si « des restrictions au principe de non-discrimination prévu à l'article 4 du règlement no 883/2004, au titre de dispositions de la législation nationale ayant transposé l'article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, en vertu desquelles l'accès auxdites prestations n'existe en aucun cas lorsqu'un droit de séjour du citoyen de l'Union dans l'autre État membre résulte uniquement de l'objectif d'une recherche d'emploi, sont [...] possibles et, le cas échéant, dans quelle mesure ».

La Cour de justice de l'Union européenne commence par qualifier les allocations en cause de « prestations d'assistance sociale », car « la fonction prépondérante des prestations en cause est précisément de garantir le minimum des moyens d'existence nécessaires pour mener une vie conforme à la dignité humaine ».

Pour statuer sur la deuxième question préjudicielle, la Cour de justice de l'Union européenne explique que, « pour ce qui concerne l'accès à des prestations d'assistance sociale, telles que celles en cause au principal, un citoyen de l'Union ne peut réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l'État membre d'accueil en vertu de l'article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38 que si son séjour sur le territoire de l'État membre d'accueil respecte les conditions de la directive 2004/38 ». Dès lors, « admettre que des personnes qui ne bénéficient pas d'un droit de séjour en vertu de la directive 2004/38 puissent réclamer un droit à des prestations d'assistance sociale dans les mêmes conditions que celles qui sont applicables pour les ressortissants nationaux irait à l'encontre d'un objectif de ladite directive, énoncé à son considérant 10, qui vise à éviter que les citoyens de l'Union ressortissants d'autres États membres deviennent une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale de l'État membre d'accueil ».

La juridiction européenne précise que « si le travailleur se trouve en chômage involontaire dûment constaté à la fin de son contrat de travail à durée déterminée inférieure à un an ou après avoir été involontairement au chômage pendant les douze premiers mois et qu'il s'est fait enregistrer en qualité de demandeur d'emploi auprès du service de l'emploi compétent, il conserve le statut de travailleur pendant au moins six mois ».

Ainsi, le maintien, pour un ancien travailleur, du bénéfice d'une aide sociale pendant six mois au minimum à l'issue de la fin de son activité professionnelle, est « de nature à garantir un niveau élevé de sécurité juridique et de transparence dans le cadre de l'octroi de prestations d'assistance sociale de l'assurance de base, tout en étant conforme au principe de proportionnalité ».

Or, au moment où les prestations sociales leur sont refusées, Madame Alimanovic et sa fille n'ont plus la qualité de travailleur puisqu'elles ont perdu ce statut à l'expiration du délai de six mois qui suivait la fin de leur activité professionnelle.

La juridiction européenne constate qu'« il ressort expressément du renvoi opéré par l'article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 à l'article 14, paragraphe 4, sous b), de celle-ci que l'État membre d'accueil peut refuser à un citoyen de l'Union bénéficiant d'un droit de séjour sur le seul fondement de cette dernière disposition toute prestation d'assistance sociale ». En vertu de cette analyse, les réserves à la convention d'assistance formulées par l'Allemagne sont conformes au droit de l'Union.

Par ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne souligne que la qualification de « charge déraisonnable » pour l'Etat membre d'accueil n'est pas susceptible d'être retenue dans un cadre individuel. Elle considère qu'une telle charge « serait susceptible de peser sur l'État membre concerné non pas après qu'il a été saisi d'une demande individuelle, mais nécessairement au terme d'une addition de l'ensemble des demandes individuelles qui lui seraient soumises ».