Affaire C-631/17

SF contre Inspecteur van de Belastingdienst

Arrêt du 08/05/2019

Renvoi préjudiciel - Sécurité sociale des travailleurs migrants - Règlement (CE) n° 883/2004 - Article 11, paragraphe 3, sous e) - Ressortissant d'un État membre employé comme marin à bord d'un navire battant pavillon d'un État tiers - Employeur établi dans un État membre autre que celui de la résidence du travailleur - Détermination de la législation applicable

L'article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (UE) n° 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, doit être interprété en ce sens qu'une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle une personne, tout en travaillant en tant que marin pour le compte d'un employeur établi dans un État membre, sur un navire battant pavillon d'un État tiers et naviguant en dehors du territoire de l'Union européenne, a conservé sa résidence dans son État membre d'origine, relève du champ d'application de ladite disposition, de sorte que la législation nationale applicable est celle de l'État membre de résidence de cette personne.

1. Faits

Entre le 13 août et le 31 décembre 2013, SF, ressortissant letton résidant en Lettonie, travaille en tant que steward pour une entreprise établie aux Pays-Bas. Il exerce cette activité à bord d'un navire battant pavillon des Bahamas, qui navigue sur la mer du Nord en dehors du territoire de l'Union européenne (UE).

Les autorités fiscales néerlandaises émettent un avis d'imposition déclarant SF redevable de cotisations sociales auprès du régime d'assurance sociale néerlandais pour la période précitée.

2. Litige national et question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)

SF saisit les juridictions néerlandaises, soutenant qu'il ne relève pas du régime d'assurance sociale national durant la période en cause.

La Cour suprême des Pays-Bas pose à la CJUE la question de l'interprétation de l'article 11, paragraphe 3, sous e) du règlement (CE) n° 883/2004, afin de déterminer la législation applicable en l'espèce :

L'article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement (CE) n° 883/2004 doit-il être interprété en ce sens qu'une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle une personne, tout en travaillant en tant que marin pour le compte d'un employeur établi dans un État membre, sur un navire battant pavillon d'un État tiers et naviguant en dehors du territoire de l'Union européenne, a conservé sa résidence dans son État membre d'origine, relève du champ d'application de ladite disposition, de sorte que la législation nationale applicable est celle de l'État membre de résidence de cette personne ?

3. Réponse de la Cour

3.1. Critère du « rattachement suffisamment étroit avec le territoire de l'Union » pour appliquer le règlement (CE) n° 883/2004

La Cour rappelle d'abord que si une personne relève du champ d'application personnel du règlement (CE) n° 883/2004 (défini à l'article 2), la règle d'unicité (énoncée à l'article 11, paragraphe 1) est en principe pertinente et la législation nationale applicable est déterminée conformément aux dispositions du titre II.

La Cour précise que la seule circonstance que les activités d'un travailleur s'exercent en dehors du territoire de l'UE ne suffit pas à écarter l'application des règles de l'Union sur la libre circulation des travailleurs et en particulier des règlements de coordination, dès lors que le rapport de travail garde un rattachement suffisamment étroit avec ce territoire. Tel est notamment le cas lorsqu'un citoyen de l'UE, résidant dans un État membre, a été engagé par une entreprise établie dans un autre État membre pour le compte de laquelle il exerce ses activités.

En l'espèce, la Cour considère que le rapport de travail conserve un rattachement suffisamment étroit avec le territoire de l'Union puisque SF réside en Lettonie et son employeur est établi aux Pays-Bas. Cette situation relève donc du champ d'application du règlement (CE) n° 883/2004.

Après avoir constaté que SF ne relève pas des règles spéciales prévues aux articles 12 à 16 de ce règlement (concernant les personnes détachées, en pluriactivité, ayant choisi une assurance facultative et les agents contractuels des institutions européennes), ni des situations régies par l'article 11, paragraphe 3, sous a) à d) (concernant les personnes exerçant une activité salariée ou non salariée dans un État membre, les fonctionnaires, les chômeurs et les personnes appelées sous les drapeaux ou pour effectuer le service civil dans un État membre), ni de la règle générale relative aux marins à bord d'un navire en mer battant pavillon d'un État membre posée à l'article 11, paragraphe 4, la Cour précise le champ d'application de l'article 11, paragraphe 3, sous e), afin de déterminer si le cas porté devant elle par la juridiction de renvoi relève de cette disposition.

3.2. Interprétation large de l'article 11, paragraphe 3, sous e) du règlement (CE) n° 883/2004

La Cour s'appuie sur les règles générales d'interprétation d'une disposition du droit de l'Union : elle étudie ses termes, son contexte, les objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie et sa genèse.

Dans cette affaire, la Cour estime qu'il découle de l'analyse littérale de l'article 11, paragraphe 3, sous e) du règlement (CE) n° 883/2004 que le législateur de l'Union a employé des termes généraux (les expressions « les personnes autres » et « sans préjudice d'autres dispositions du présent règlement »), aux fins de conférer à cette disposition le caractère d'une règle résiduelle, qui a vocation à s'appliquer à toutes les personnes qui se trouvent dans une situation n'étant pas spécifiquement réglée par d'autres dispositions du règlement.

La Cour souligne qu'une interprétation restrictive de l'article 11, paragraphe 3, sous e), qui limiterait le champ d'application de cette disposition aux seules personnes économiquement non actives (comme soutenu devant la juridiction de renvoi) serait susceptible de priver des personnes, qui ne relèvent pas des hypothèses visées aux points a) à d) de cet article, ni d'autres dispositions du règlement, de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable. Une telle interprétation serait contraire à l'objectif poursuivi par cette disposition et de manière générale par le règlement, qui constitue un système complet et uniforme de règles de conflit de loi afin d'éviter l'application simultanée de plusieurs législations nationales et d'empêcher que les personnes entrant dans le champ d'application de ce règlement soient privées de protection sociale.

La Cour conclut qu'une personne se trouvant dans une situation telle que SF (salarié d'un navire battant pavillon d'un Etat tiers) relève du champ d'application du règlement (CE) n° 883/2004, et plus particulièrement de son article 11, paragraphe 3, sous e), qui prévoit que la législation nationale applicable est celle de l'État membre de résidence de l'intéressé (Lettonie).

3.3. Réponse aux arguments soutenus dans le cadre de l'affaire

Les Notes explicatives sur les règlements de coordination de la Commission et le Guide pratique sur la législation applicable dans l'UE, dans l'Espace économique européen (EEE) et en Suisse élaboré par la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale sont invoqués en soutien à une interprétation restrictive de l'article 11. La Cour précise que même si ces documents constituent des instruments utiles pour l'interprétation du règlement n° 883/2004, ils n'ont aucune force obligatoire et ne lient pas dans l'interprétation de ce règlement.

Le gouvernement néerlandais a invoqué lors de l'audience la circonstance selon laquelle certains États membres subordonneraient l'affiliation au système de sécurité sociale national à la condition d'exercer une activité salariée sur leur territoire, de sorte que SF serait susceptible de ne pas être affilié à un système de sécurité sociale et d'être privé de protection sociale. La Cour rappelle que la fixation des conditions d'affiliation à un régime de sécurité sociale (compétence nationale) doit respecter le droit de l'UE et ne peut donc avoir pour effet d'exclure du champ d'application de la législation nationale les personnes auxquelles cette législation est applicable en vertu des règles de conflit de loi prévues par le règlement (CE) n° 883/2004.