Affaire C-473/18

GP contre Bundesagentur für Arbeit - Familienkasse Baden-Württemberg West

Arrêt du 4 septembre 2019

Renvoi préjudiciel - Sécurité sociale - Travailleurs migrants - Règles de l'Union européenne (UE) sur la conversion des monnaies - Règlement (CE) n° 987/2009 - Décision H3 de la commission administrative pour la coordination des affaires sociales - Calcul du complément différentiel des allocations familiales dû à un travailleur résidant dans un Etat membre et travaillant en Suisse - Détermination de la date de référence du taux de change

1) En ce qui concerne la conversion monétaire d'une prestation pour enfant à charge en vue de déterminer le montant éventuel d'un complément différentiel au titre de l'article 68, paragraphe 2, du règlement n° 883/2004, l'application et l'interprétation de l'article 90 du règlement n° 987/2009, ainsi que de la décision H3 de la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, ne sont pas affectées par le fait que cette prestation est versée en francs suisses par une institution suisse.

2) La décision H3 doit être interprétée en ce sens que le point 2 de celle-ci est applicable lors de la conversion des monnaies dans lesquelles sont libellées des prestations pour enfant à charge afin de déterminer le montant éventuel d'un complément différentiel au titre de l'article 68, paragraphe 2, du règlement n° 883/2004.

3) Le point 2 de la décision H3 doit être interprété en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause dans le litige au principal, la notion de « jour où l'institution exécute l'opération en question », au sens de cette disposition, vise le jour auquel l'institution compétente de l'État d'emploi effectue le paiement de la prestation familiale en question.

I. Faits

GP et son époux résident en Allemagne et exercent une activité salariée en Suisse. Ils ont 2 enfants. A compter de février 2012, l'époux a perçu en Suisse 2 prestations mensuelles pour enfant à charge de 200 francs suisses (CHF) chacune. Le 19/08/2015, GP a demandé le bénéfice d'un complément différentiel d'allocations pour enfant à charge à la caisse d'allocations familiales allemande compétente (article 68, paragraphe 2 du règlement n° 883/2004).

Par décision du 08/09/2015, la caisse a rejeté cette demande pour la période d'avril 2012 à décembre 2014. Se référant à l'article 90 du règlement n° 987/2009 et la décision H3 relatifs à la conversion des monnaies, pour déterminer le montant éventuel du complément différentiel qui dépend du taux de change, cet organisme a retenu le taux publié le premier jour du mois précédant le mois au cours duquel le calcul est effectué (soit le jour de l'adoption de la décision du 08/09/2015). En application de ce taux (publié le 01/08/2015), le montant de 200 CHF correspond à 188,71 €, soit une somme supérieure à celle octroyée entre 2012 et 2014 par l'Allemagne au titre de l'allocation pour enfant à charge (184 €).

II. Litige national et question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)

GP a contesté le refus de versement du complément différentiel d'allocations familiales. La requérante estime relever du point 3, sous b), de la décision H3, qui retient le taux de change publié le premier jour du mois précédant « le mois au cours duquel la disposition doit s'appliquer ». GP considère que ces termes visent le mois au cours duquel les règlements n° 883/2004 et 987/2009 sont devenus applicables à sa situation, soit avril 2012. L'utilisation du taux de change publié le 01/03/2012 conduit à une prestation pour enfant à charge suisse de 165,95 €, soit un complément différentiel allemand mensuel de 18,05 € par enfant pour la période d'avril 2012 à décembre 2014.

Dans ce cadre, la juridiction de renvoi pose à la CJUE des questions préjudicielles :

III. Réponse de la Cour

A. Champ d'application des règlements de coordination et de leurs actes d'exécution

La CJUE rappelle que les règlements de coordination et leurs actes d'exécution comme la décision H3 sont applicables à la Suisse, conformément à l'article 8 de l'accord sur la libre circulation des personnes et son annexe II telle que remplacée par la décision n° 1/2012 (article 1, paragraphe 2 ; sections A et B).

Elle conclut qu'en application des règlements de coordination et de la décision H3, les prestations suisses et la conversion monétaire de leur montant sont traitées de la même manière que des prestations perçues dans un Etat membre de l'Union. Une application différente de ces actes serait contraire à l'objectif d'égalité de traitement que la coordination des systèmes de sécurité sociale prévue à l'article 8 de l'accord vise à assurer.

B. Interprétation de la décision H3 à la lumière de la nature et l'objectif de la prestation concernée

La Cour rappelle d'abord sa jurisprudence constante selon laquelle un acte d'exécution ou d'application doit être interprété conformément à l'acte de base.

Elle examine ensuite le libellé de la décision H3 et relève que :

La CJUE conclut que la disposition de la décision H3 applicable doit être déterminée en tenant compte de la nature et de l'objectif de la prestation concernée : un complément différentiel d'allocations familiales mensuelles, basé sur l'article 68 du règlement n° 883/2004.

Conformément au paragraphe 1, sous a), si, pour la même période et les mêmes membres de la famille, des prestations sont prévues par la législation de plus d'un Etat membre, les droits ouverts au titre d'une activité salariée sont dus en priorité par rapport à ceux ouverts au titre de la résidence. Le paragraphe 2 précise qu'en cas de cumul de droits, les prestations sont servies selon la législation prioritaire, les droits ouverts en vertu d'autres législations étant suspendus jusqu'à concurrence du montant prévu par la première législation et versés sous forme de complément différentiel pour la partie qui excéderait ce montant.

La Cour rappelle que cette règle anticumul vise à garantir au bénéficiaire de prestations versées par plusieurs Etats membres un montant total identique à la prestation la plus favorable prévue par la législation d'un de ces Etats.

Pour atteindre cet objectif en cas de comparaison de montants exprimés dans différentes monnaies, le taux de change de référence publié par la Banque centrale européenne à la date la plus proche du versement des prestations doit être utilisé. Cela implique, pour des prestations versées à intervalles réguliers (mensuellement dans cette affaire) sur une longue période de temps, l'utilisation d'un taux de change différent pour chaque versement.

Le gouvernement allemand souligne dans ses observations écrites que la nécessité de procéder à un calcul basé sur un nouveau taux de change à chaque échéance constitue une charge administrative supplémentaire. En réponse, la CJUE précise que la commodité d'une autre méthode de calcul ne justifie pas la violation du libellé d'un texte clair et de son objectif.

C. Applicabilité du point 2 de la décision H3

Le point 2 de la décision H3 prévoit que sauf disposition contraire, le taux de change à utiliser est celui publié « le jour où l'institution exécute l'opération en question ».

La Cour constate que l'application de cette règle conduit à l'utilisation d'un nouveau taux de change pour chaque versement mensuel de la prestation familiale et du complément différentiel correspondant éventuel. Néanmoins son libellé (« sauf disposition contraire ») lui confère un caractère résiduel, impliquant d'examiner si les points 3 à 5 de la décision H3, mentionnés par la juridiction de renvoi, sont applicables :

La CJUE conclut que le point 2 est applicable.

D. Portée de la notion de « jour où l'institution exécute l'opération en question »

La Cour précise que cette notion vise le jour auquel l'institution compétente de l'Etat d'emploi, responsable prioritairement du paiement de la prestation familiale, effectue ce paiement. Elle justifie sa position par le caractère conditionnel et incertain du paiement des prestations par l'Etat de résidence sous forme d'un complément différentiel, alors que le paiement par l'Etat d'emploi prioritaire est certain.